•     Pour faire suite à l'article précédent, je ne résiste pas au plaisir de vous citer le poème qui fut à l'origine de ce pastiche. Le pauvre Agrippa s'y efforçait à l'infidélité pour oublier un amour malheureux ; c'est pourquoi il se "blessait" pour se "guérir", formule précieuse s'il en fut... En effet la mode à l'époque, mode de la "préciosité", consistait à exprimer des sensations extrêmes et souvent opposées pour créer le saisissement chez le lecteur, pour l'impressionner  en quelque sorte.

       
        Notes : Agrippa écrit en alexandrins, vers de douze syllabes ; et dans le titre qui est aussi le premier vers, il faut prononcer en deux syllabes le verbe "aie", en donnant une valeur séparée à l'e muet de l'impératif (prononciation de la Renaissance).
        Au 4e vers : "au premier" signifie ici "tout d'abord".


    Ô divine Inconstance, aie pitié de moi

     
     
    Ô divine Inconstance, aie pitié de moi,
    Guéris en me blessant ma plaie et mon émoi,
    Pardonne le dépit de mon âme pressée,
    Pardonne-lui les maux qu'au premier offensée,
    Elle a vomi sur toi frénétique en courroux.
    Change sa volonté, ton nom lui sera doux,
    Et comme j'ai tourné le médire en louange,
    Fais qu'un cœur amoureux à n'aimer plus se change.
    Je te ferai rouler un autel d'un ballon,
    J'immolerai dessus des feuilles qu'Aquilon
    Ton père nous fait choir au pluvieux automne,
    Je t'offrirai de l'air d'une cloche qui sonne,
    Et le coq qui virait sur le haut du clocher,
    Dansant de cent façons ; je courrai te chercher
    De l'eau et du savon, et ferai à merveilles
    D'une paille fendue envoler des bouteilles ;
    J'offrirai du duvet, plumes, fleurs et chardons,
    Et de l'eau de la mer et des petits glaçons,
    Un caméléon vif, et au lieu de paroles,
    Je dirai sans propos cent mille fariboles !
    Et sacrant tout cela à ton nom immortel
    Je brûlerai encor, et le temple, et l'autel. 
     
     
     Agrippa d'Aubigné
     
     
     

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  •     Comme il n'est pas permis de recopier des pages entières d'un livre, je note ici quelques simples citations de ce dernier livre d'Hélène Grimaud qui fait mes délices (Robert Laffont, 2005).

     

    Leçons particulières

     
     
     
     
        "Il y a quelque chose de sorcier chez les petites filles : cette façon d'être feuille et fleur, ce frémissement à la vie. On les sent si proches du secret qu'on les sait complices avec la mort, elles l'invitent dans leur voile de communiantes, leurs dînettes de cérémonie et l'ourlet de leurs robes." (p.92)

           "Etre libre, c'est faire du corps une puissance qui ne se réduit pas à son organisme, c'est faire de la pensée une puissance qui ne se réduit pas à la seule conscience. Appelons la pensée l'âme et concluons : l'âme doit vivre avec le corps et le corps avec l'âme ; autant dire, l'âme doit vivre la vie, sa vie, ici et maintenant, comme le corps doit vivre l'âme, son âme, ici et maintenant.
        "J'ai eu la grande prétention de vous suggérer d'expérimenter la musique. Peut-être ces petites précisions (...) vous éclaireront-elles sur ce que j'entendais par là, et au-delà du fait, que bien évidemment, expérimenter la musique, c'est d'abord (...) que vous deveniez la vie continuée de la musique." (p.80)

        "Et si, ces dernières années, je m'étais limitée à n'être le médium que de la musique ? (...) Et si j'avais sacrifié trop de ma liberté - mais sur quel autel - et qu'alors, les ailes rognées, elle ne permette plus ni à mon âme de vivre ma vie, ni à mon corps de vivre son âme." (p.99-100)
     

           "Rien n'est jamais acquis, rien ne nous est dû, et plus la relation avec l'autre est une relation rare - et quelle merveille, quelle rareté, quel privilège que cette relation avec le loup -, plus elle est fragile, incontrôlable.
         "J'ai appris à garder la plus grande vigilance, à être intensément, de toutes mes fibres, de tous mes neurones, dans la relation du moment, comme si elle pouvait m'échapper à tout instant. Et ce qui vaut avec les loups vaut avec la musique."(p.114)

        "L'amour est partout où est l'art. L'art déploie l'amour. (...) L'art tutoie l'âme car c'est à l'âme qu'il s'adresse."(p.139)
     
     

    Leçons particulières

     
            

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  •     Pour faire une parenthèse humoristique à mon voyage à travers le Québec, voici un poème délicieux extrait d'un recueil de Denise Miège-Simansky, que je viens de découvrir. Il est édité au "Dé Bleu", une maison vendéenne, et admirablement illustré d'aquarelles de Marina Damestoy. 


       

    Animalimages

     
     
     
    Ne mangez pas les chiens chauds
    en sandwich à la moutarde
    Ne mangez pas les chiens chauds

    N’écrivez pas aux chats-mots
    qui s’en vont dans le désert
    comme bouteille à la mer
    N’écrivez pas aux chats-mots

    Mais dansez avec les ours
    mais hurlez avec les loups
    excités comme des puces
    chantez avec le coucou

    Chantez avec le coucou
    apprenez tous les langages
    et ne mettez pas en cage
    ce qui vit tout comme vous.
     
     

    Denise Miège-Simansky

     
        Je n'ai pas résisté à vous livrer ce poème au moment où mes souvenirs canadiens affluent, avec les expressions savoureuses chères aux québécois si amoureux du français à l'époque !
        (À dire avec l'accent, en chantant et en parlant un peu du nez)
              - "Çà c'est un morceau d'chance !"
     puis : - "Je m'loue un chàr et j'vais faire un tour !"
      et :
      - "Voulez-vous un chien chaud ?"...


     

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            Bonsoir ! Ce soir, je pense à l'un de mes poètes préférés...

            Des poètes préférés, j'en ai beaucoup ! Mais celui-là, je serais tentée de dire que c'est mon modèle absolu, pour certains de ses vers.

     
         Voyez plutôt :

    Descendant des hauteurs où pense la lumière
    Jardins rouant plus haut que tous les ciels mobiles
    L'avenir masqué flambe en traversant les cieux


     

        Mais QUI a écrit cela ?
     
     
     
     
     
     

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    Suite de cet article.


         Eh ! oui, comme certains l'ont si brillamment trouvé, ces trois vers étaient de Guillaume Apollinaire, pseudonyme - ou raccourci du nom - de "Guilhelmus (alias Wilhelm) Apollinaris Albertus de Kostrowitzky", fils naturel et non reconnu d'un officier italien, et petit-fils par sa mère d'un noble Balte. Né à Rome en 1880, il fit de brillantes études à Monaco, Cannes puis Nice, et à 18 ans, il était anarchiste, poète, et avait choisi son pseudonyme.
     
     
          Aventurière désargentée, sa mère le poussa bientôt au travail (voir le dernier vers du poème La Porte, dans Alcools). Il trouve divers emplois de bureau puis devient répétiteur en Allemagne, aux côtés de la jeune anglaise Annie Playden, son premier grand amour, pour laquelle il écrira La Chanson du Mal-Aimé, un monument d'inventivité, d'équilibre formel, et de beauté pure.
        À son retour, en 1904, il devient l'ami de Picasso, et de bien d'autres (le Douanier Rousseau), et vit une liaison avec Marie Laurencin (qu'il nommera dans certains poèmes d'Alcools). Une erreur judiciaire, heureusement bientôt réparée le conduira, à l'instar de Verlaine, pour quelque temps en prison. En 1914, déjà très célèbre pour Alcools, il s'engage volontairement pour combattre sur le front et, délaissé de Marie Laurencin, écrit pour Lou, sa "marraine de guerre" ; mais il est blessé en 1916 à la tempe.
        Reconnu comme précurseur de l'esprit nouveau, lancé dans l'aventure des Calligrammes, il succombera en 1918 à l'épidémie de grippe espagnole.

         Cantonner Apollinaire dans le style élégiaque du Pont Mirabeau (qu'on a tant chanté), ou la drôlerie des Saltimbanques (qu'on apprend souvent à l'école) est faire injure à son génie, d'une rare force imaginative et d'une grande rigueur formelle.

         La Chanson du Mal-Aimé, toute écrite en strophes de cinq vers aux rimes remarquablement agencées, est une composition "en abîme", c'est à dire où les éléments se répondent en partant des opposés pour arriver au centre, comme des couches concentriques.

        J'aurais aimé vous citer essentiellement la totalité du troisième volet du Brasier, extrait de Alcools, dont sont tirés les trois vers du précédent article.
        Mais je ne résiste pas au plaisir de noter auparavant le poème le plus original d'Apollinaire, le plus court aussi ; celui qu'il écrivit en quelque sorte par gageure, pour illustrer le fait que si un musicien peut faire de la musique avec un instrument d'une seule corde, un poète peut aussi faire de la poésie avec un poème d'un seul vers... C'est le poème intitulé Chantre.
     

    Et l'unique cordeau des trompettes marines


    Guillaume Apollinaire

    Ange jouant de la trompette marine (à gauche)

     
     
    *   *   *

        Voici maintenant le dernier volet du Brasier. Vous remarquerez bien sûr l'importance qui est accordée à l'alexandrin, base de toute la poésie française (pourtant parfois malmené), avec un usage fantaisiste de la rime, parfois absente, parfois allusive, mais parfois aussi présente et riche. Vous constaterez également la richesse et la recherche du vocabulaire, le tout concourant évidemment à donner l'impression d'une splendeur visuelle et auditive - c'est-à-dire d'un spectacle.
     


    Descendant des hauteurs où pense la lumière
    Jardins rouant plus haut que tous les ciels mobiles
    L'avenir masqué flambe en traversant les cieux

    Nous attendons ton bon plaisir ô mon amie

    J'ose à peine regarder la divine mascarade

    Quand bleuira sur l'horizon la Désirade

    Au-delà de notre atmosphère s'élève un théâtre
    Que construisit le ver Zamir sans instrument
    Puis le soleil revint ensoleiller les places
    D'une ville marine apparue contremont
    Sur les toits se reposaient les colombes lasses

    Et le troupeau de sphinx regagne la sphingerie
    A petits pas Il orra le chant du pâtre toute la vie
    Là-haut le théâtre est bâti avec le feu solide
    Comme les astres dont se nourrit le vide

    Et voici le spectacle
    Et pour toujours je suis assis dans un fauteuil
    Ma tête mes genoux mes coudes vain pentacle
    Les flammes ont poussé sur moi comme des feuilles

    Des acteurs inhumains claires bêtes nouvelles
    Donnent des ordres aux hommes apprivoisés
    Terre
    O Déchirée que les fleuves ont reprisée

    J'aimerais mieux nuit et jour dans les sphingeries
    Vouloir savoir pour qu'enfin on m'y dévorât


        Si Apollinaire est indéniablement très érudit en ce qui concerne l'Antiquité grecque et celle du Moyen-Orient, il est aussi très marqué de l'esprit germanique, et c'est pourquoi son allusion aux "sphinx" n'est pas sans me rappeler le "Carnaval" de Robert Schumann... Mais au fait, Apollinaire n'est-il pas d'origine italienne ? Et le Carnaval de Venise...

    Guillaume Apollinaire

     Masque vénitien
     
     
     

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