Pour faire suite à l'article précédent, je ne résiste pas au plaisir de vous citer le poème qui fut à l'origine de ce pastiche. Le pauvre Agrippa s'y efforçait à l'infidélité pour oublier un amour malheureux ; c'est pourquoi il se "blessait" pour se "guérir", formule précieuse s'il en fut... En effet la mode à l'époque, mode de la "préciosité", consistait à exprimer des sensations extrêmes et souvent opposées pour créer le saisissement chez le lecteur, pour l'impressionner en quelque sorte.
Notes : Agrippa écrit en alexandrins, vers de douze syllabes ; et dans le titre qui est aussi le premier vers, il faut prononcer en deux syllabes le verbe "aie", en donnant une valeur séparée à l'e muet de l'impératif (prononciation de la Renaissance).
Au 4e vers : "au premier" signifie ici "tout d'abord".
Ô divine Inconstance, aie pitié de moi
Ô divine Inconstance, aie pitié de moi,
Guéris en me blessant ma plaie et mon émoi,
Pardonne le dépit de mon âme pressée,
Pardonne-lui les maux qu'au premier offensée,
Elle a vomi sur toi frénétique en courroux.
Change sa volonté, ton nom lui sera doux,
Et comme j'ai tourné le médire en louange,
Fais qu'un cœur amoureux à n'aimer plus se change.
Je te ferai rouler un autel d'un ballon,
J'immolerai dessus des feuilles qu'Aquilon
Ton père nous fait choir au pluvieux automne,
Je t'offrirai de l'air d'une cloche qui sonne,
Et le coq qui virait sur le haut du clocher,
Dansant de cent façons ; je courrai te chercher
De l'eau et du savon, et ferai à merveilles
D'une paille fendue envoler des bouteilles ;
J'offrirai du duvet, plumes, fleurs et chardons,
Et de l'eau de la mer et des petits glaçons,
Un caméléon vif, et au lieu de paroles,
Je dirai sans propos cent mille fariboles !
Et sacrant tout cela à ton nom immortel
Je brûlerai encor, et le temple, et l'autel.
Agrippa d'Aubigné