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         Depuis que je suis à la retraite, je n'ai jamais été si occupée ! Autrefois, travaillant toute la journée sur ordinateur, il m'était facile de garder une petite fenêtre en réserve pour vous visiter ou alimenter mon blog, mine de rien... Mais maintenant, j'y suis beaucoup moins, et cela explique mes absences prolongées - du moins en ce moment.
        De plus, je viens de transcrire sur CD de vieux microsillons, desquels on m'avait fourni des enregistrements sur cassette audio absolument immondes, remplis de grésillements, de craquements, voire de sillons qui sautent. Des jours et des jours de travail pour essayer de nettoyer le son, et je ne jongle pas avec internet tandis que je suis désespérément concentrée sur Audacity...
          Vous en aurez bientôt un aperçu !

         En attendant ce plaisir, je vous offre une petite parenthèse Apollinarienne, qui aura elle aussi prochainement sa suite...

        Il s'agit du "Bestiaire ou Cortège d'Orphée", où le poète, à la fois magnifié à travers son modèle, est aussi considéré avec un certain humour.
         Guillaume, s'identifiant à Orphée, poète inspiré et même "initié" aux connaissances secrètes par les dieux, l'imagine entraînant après lui tous les animaux qui dit-on tombaient sous le charme des accents de sa lyre. Avant chaque famille d'animaux correspond de lui une description différente.  Il s'agit à chaque fois, pour lui comme pour les animaux, d'un simple quatrain de vers courts, lourd de sens.
           En voici le premier, "Orphée" :

    orpheecocteau
    Orphée dessiné par Jean Cocteau

                 
                  Admirez le pouvoir insigne
                  Et la noblesse de la ligne :
                  Elle est la voix que la lumière fit entendre
                  Et dont parle Hermès Trismégiste en son Pimandre. 1
     

           Puis le second, consacré comme de juste à "La Tortue", puisque comme chacun sait la lyre  qui lui fut offerte par Apollon était construite à partir d'une grosse carapace de tortue servant de caisse de résonance. Le "Thrace" désigne Orphée lui-même par son pays d'origine.


    lyre
    Lyre, reproduction d'après l'antique
     Cliché pris par les élèves de 4e et 3e du collège de Tremonteix (Puy de Dôme)- voir ici.



                 Du Thrace magique, ô délire !
                  Mes doigts sûrs font sonner la lyre.
                  Les animaux passent aux sons
                  De ma tortue, de mes chansons.


    Guillaume Apollinaire
     
    1 - Le Pimandre est le livre sacré contenant tous les secrets de l'hermétisme, autrement dit de la doctrine d'Hermès "Trismégiste" (Trois fois Grand). Voir ici.
     
     
     

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  •        Aujourd'hui, je vous citerai Baudelaire, dans ce magnifique sonnet dont les merveilles sont remarquablement mises en valeur par Léo Ferré (ci-dessous, en deezer), et qui malgré certaines répugnances de leur auteur pressent cependant l'univers fantastique de Jean Cocteau (5e et 14e vers).

     

    sphinx-et-pyramide-de-gizeh

     

     Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
    Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
    Est fait pour inspirer au poète un amour
    Éternel et muet ainsi que la matière.

    Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris ;
    J'unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
    Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
     Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.


    Les poètes, devant mes grandes attitudes,
    Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,
    Consumeront leurs jours en d'austères études ;

    Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,
    De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :
    Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !

      

    Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, XVII.

     

     

      

    Cocteau et le sphinxJean Cocteau, image extraite du "Testament d'Orphée": Cocteau ajoute à ses personnages des yeux immenses, pour rappeler justement ceux des statues.

      

           Or nous n'en resterons pas à cette constatation ! J'ai remarqué de plus que ce poème est le XVIIe des Fleurs du Mal, ce qui lui associe un chiffre de haute vibration, celui de la lame du Tarot "L'Etoile" , qui évoque justement l'Idéal, mais aussi la Protection venue du ciel et même la chance (la "bonne" Etoile).

     

    L'etoile

     

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           En attendant d'écrire à nouveau, je vous livre ici un magnifique poème méconnu d'Emile Verhaeren, tiré de son recueil "La multiple splendeur".

           Comme vous et moi, c'était un mystique ...

     

    Arbre en automne

     

     

    L'arbre

     

    Tout seul,
    Que le berce l'été, que l'agite l'hiver,

    Que son tronc soit givré ou son branchage vert,
    Toujours, au long des jours de tendresse ou de haine,
    Il impose sa vie énorme et souveraine
    Aux plaines.

     

    Il voit les mêmes champs depuis cent et cent ans
    Et les mêmes labours et les mêmes semailles ;

    Les yeux aujourd'hui morts, les yeux
    Des aïeules et des aïeux
    Ont regardé, maille après maille,
    Se nouer son écorce et ses rudes rameaux.
    Il présidait tranquille et fort à leurs travaux ;
    Son pied velu leur ménageait un lit de mousse ;
    Il abritait leur sieste à l'heure de midi
    Et son ombre fut douce
    À ceux de leurs enfants qui s'aimèrent jadis.

     

    Arbre en été

     

    Dès le matin, dans les villages,
    D'après qu'il chante ou pleure, on augure du temps ;
    Il est dans le secret des violents nuages
    Et du soleil qui boude aux horizons latents ;
    Il est tout le passé debout sur les champs tristes,
    Mais quels que soient les souvenirs
    Qui, dans son bois, persistent,
    Dès que janvier vient de finir
    Et que la sève, en son vieux tronc, s'épanche,
    Avec tous ses bourgeons, avec toutes ses branches,
    - Lèvres folles et bras tordus -
    Il jette un cri immensément tendu
    Vers l'avenir.

     

    Alors, avec des rais de pluie et de lumière,
    Il frôle les bourgeons de ses feuilles premières,
    Il contracte ses nœuds, il lisse ses rameaux ;
    Il assaille le ciel, d'un front toujours plus haut ;
    Il projette si loin ses poreuses racines
    Qu'il épuise la mare et les terres voisines
    Et que parfois il s'arrête, comme étonné
    De son travail muet, profond et acharné.

     

    arbre-givre.jpg

     

    Mais pour s'épanouir et régner dans sa force,
    Ô les luttes qu'il lui fallut subir, l'hiver !
    Glaives du vent à travers son écorce.
    Cris d'ouragan, rages de l'air,
    Givres pareils à quelque âpre limaille,
    Toute la haine et toute la bataille,
    Et les grêles de l'Est et les neiges du Nord,
    Et le gel morne et blanc dont la dent mord,
    Jusqu'à l'aubier, l'ample écheveau des fibres,
    Tout lui fut mal qui tord, douleur qui vibre,
    Sans que jamais pourtant
    Un seul instant
    Se ralentît son énergie
    À fermement vouloir que sa vie élargie
    Fût plus belle, à chaque printemps.

     

    arbre en hiver

     

    En octobre, quand l'or triomphe en son feuillage,
    Mes pas larges encore, quoique lourds et lassés,
    Souvent ont dirigé leur long pèlerinage
    Vers cet arbre d'automne et de vent traversé.
    Comme un géant brasier de feuilles et de flammes,
    Il se dressait, superbement, sous le ciel bleu,
    Il semblait habité par un million d'âmes
    Qui doucement chantaient en son branchage creux.
    J'allais vers lui les yeux emplis par la lumière,
    Je le touchais, avec mes doigts, avec mes mains,
    Je le sentais bouger jusqu'au fond de la terre
    D'après un mouvement énorme et surhumain ;
    Et j'appuyais sur lui ma poitrine brutale,
    Avec un tel amour, une telle ferveur,
    Que son rythme profond et sa force totale
    Passaient en moi et pénétraient jusqu'à mon cœur.

     

    Alors, j'étais mêlé à sa belle vie ample ;
    Je me sentais puissant comme un de ses rameaux ;
    Il se plantait, dans la splendeur, comme un exemple ;
    J'aimais plus ardemment le sol, les bois, les eaux,
    La plaine immense et nue où les nuages passent ;
    J'étais armé de fermeté contre le sort,
    Mes bras auraient voulu tenir en eux l'espace ;

     

    Mes muscles et mes nerfs rendaient léger mon corps
    Et je criais : " La force est sainte.
    Il faut que l'homme imprime son empreinte
    Tranquillement, sur ses desseins hardis :
    Elle est celle qui tient les clefs des paradis
    Et dont le large poing en fait tourner les portes ".
    Et je baisais le tronc noueux, éperdument,
    Et quand le soir se détachait du firmament,
    je me perdais, dans la campagne morte,
    Marchant droit devant moi, vers n'importe où,
    Avec des cris jaillis du fond de mon cœur fou.

     

    Arbre d'automne

     Emile Verhaeren
     
     
     

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        À l'instar de Marlou et comme je l'ai déjà fait, je vous cite un petit poème de quelqu'un d'autre...

         Ils sont généralement beaucoup plus géniaux que les miens. 

          Et celui-ci est de Paul-Jean Toulet, extrait de son recueil "Contrerimes".

     

    Lucifer.jpg(image empruntée ici)

     

     

    J’ai vu le Diable, l’autre nuit ;

    Et, dessous sa pelure,

    Il n’est pas aisé de conclure

    S’il faut dire : Elle, ou : Lui.

     

    Sa gorge, — avait l’air sous la faille,

    De trembler de désir :

    Tel, aux mains près de le saisir,

    Un bel oiseau défaille.

     

    Telle, à la soif, dans Blidah bleu,

    S’offre la pomme douce ;

    Ou bien l’orange, sous la mousse,

    Lorsque tout bas il pleut.

     

    — « Ah ! » dit Satan, et le silence

    Frémissait à sa voix,

    « Ils ne tombent pas tous, tu vois,

    Les fruits de la Science ».

     

     

            J'adore l'ambiguïté voulue de ses propos, leur douceur vénéneuse...

     

    À suivre ici

     

     

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  •  (Suite de cet article)


         Pour vous faire mieux connaître ce grand poète béarnais, en voici un second poème, parmi ses plus connus puisqu'il a inspiré le titre d'un roman à Raphaëlle Billetdoux  (voir ici) ainsi que celui bien évidemment de la biographie du poète lui-même (ici).

     

    PJ-Toulet-copie-1.jpg

     

         Celui-ci est tiré du recueil "Chansons", la première de ce qu'il nomme "Romances sans musique".

     

     

    En Arles

     

     

    Dans Arle, où sont les Aliscamps,

    Quand l’ombre est rouge, sous les roses,

    Et clair le temps,

     

    Prends garde à la douceur des choses.

    Lorsque tu sens battre sans cause

    Ton cœur trop lourd ;

     

    Et que se taisent les colombes :

    Parle tout bas, si c’est d’amour,

    Au bord des tombes.

     

     

        0n y retrouve ce goût pour la confidence qui fait de ce dandy un tendre sous son ironie mordante à la Sacha Guitry.

         En complément je vous invite à lire ce qu'en dit ici Frédéric Martinez, son biographe.

          Il émane un charme envoûtant de son écriture sobre, qui me rappelle un peu les gymnopédies d'Eric Satie, dans leur mystérieuse simplicité.

     

     

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