•       S'il est un poète actuel que j'admire, c'est bien Jean Joubert. Outre ses romans, qui sont pleins de poésie et d'une sagesse quasi initiatique (je parle surtout de ses romans pour la jeunesse, comme "les Enfants de Noé", "A la recherche du Rat-Trompette", ou "le Pays hors du monde", tous édités par l'Ecole des Loisirs), je ne puis relire sa poésie sans en ressentir à chaque fois le même choc, le même saisissement devant la beauté : il touche juste, il le dit avec une sobriété qui frappe. Le poème que je cite ici est tiré de son "Anthologie personnelle", parue chez Actes Sud en 1997.


                           

             

     
     

    L'ange de verre est descendu, l'oiseau
    géant, la sentinelle des brouillards,
    et le sommeil d'amour en fut voilé,
    l'ombre de l'aile troublant l'eau
    des seins légers sur le sable entrouvert.

    Insaisissable cri sur une bouche où rage
    la tempête de plumes, et déjà voici l'heure
    et la rosée pesante où se séparent
    jour et nuit, chair et cristal.

    Un soleil bleu s'accroît. L'ange de verre
    emplit les chambres nues, griffes serrées
    sur les épaules des amants qui se délient.

    Dans le jardin, rampe sur les terrasses,
    comme un grand félin noir, échevelé,
    l'odeur très pourrissante de l'automne.


    Extrait de "La saison d'appel" (1973)

     
     
     

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    (Suite de cet article). 
     
         Pour poursuivre ma petite chronique sur Ropartz, voici maintenant quelques exemples de sa poésie.
      Fils d'un avocat, Joseph-Guy avait par-dessus tout l'âme contemplative, et il ne put résister à la vocation artistique. D'ailleurs son frère Yves, déjà lancé dans l'édition poétique, ne l'y encourageait-il pas ?
         Dans le poème qui suit, vous retrouverez l'inspiration celtique, prioritaire chez notre musicien, ainsi qu'un premier coup de chapeau à celui qui restera toujours son très grand ami - malgré sa mort prématurée : Albéric Magnard.

    (Cliquez ici pour ouvrir un lien dans lequel figure la commande « Ropartz vous parle » : alors directeur du Conservatoire de Nancy, ce dernier y faisait l'éloge de son ami et condisciple, compositeur doué d'une vive personnalité et qui succomba en 1914 pour avoir refusé d'abandonner sa propriété à l'envahisseur allemand...  )
     

    CHEVAUCHÉE
    À Albéric Magnard

    A l’heure où le mystère épais des soirs commence,
    A travers les brouillards de la lande bretonne,
    J’ai vu passer, dans l’or fauve d’un ciel d’automne,
    Des guerriers d’autrefois la chevauchée immense.

    Qu’ils étaient grands et beaux, ces preux des temps antiques !
    En leurs yeux rayonnait l’orgueil des fortes races ;
    Casqués de peau, bardés de fer, sous les cuirasses
    Lourdes, il redressaient leurs torses athlétiques.

    Et le scintillement éclatant des épées
    Allumait l’horizon de lueurs triomphales ;
    Les vieux chênes courbaient leurs fronts sous les rafales,
    Saluant ces héros de vastes épopées.

    Les cerfs effarouchés fuyaient par les forières° ;
    L’air vibrait aux appels puissants des cors sonores.
    Et le vent qui gémit dans les hauts sycomores
    Mêlait sa voix énorme aux fanfares guerrières.

    Ils passèrent longtemps en escadrons sans nombre,
    Eblouissant mes yeux à leurs apothéoses ;
    Puis la réalité décevante des choses
    Assaillant leur splendeur les effondra dans l’ombre !
     
     
    Adagiettos, 1888
     
     
     
    ° – De l'ancien français : « lisière de forêt ».

    Cheval

     
    (À suivre ici )
     

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         Surprise ! Le petit poème en prose que nous cherchions à nous rappeler il y a quelque temps, le voici... Il était effectivement de Jules Renard, l'auteur des Histoires Naturelles... Je bats ma coulpe, je n'y croyais pas.
     
     

     
     

    A
    utomne
     

        Il a gelé blanc...  Les dahlias sont fripés comme après une nuit de bal. Les tomates éclatent et de leurs gerçures, leur jus coule. Les fanes des pommes de terre semblent cuites. Mais l’oseille bien repassée résiste avec la fine barbe frisée des carottes et les longues oreilles douces des betteraves. On entend le bruit d’une feuille par terre ; elle essaie un vol de pauvre oiseau qui n’aurait qu’une patte et qu’une aile. Celle-ci se sort comme un rat qui cherche son trou. Soudain, c’est une débandade : les troupes de feuilles fuient, affolées, comme si l’hiver était là, au coin du bois...
     
    Jules Renard
     

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      Aujourd'hui je vous parlerai d'un album magnifique, qui malheureusement est indisponible actuellement, "Licornes" : un album Duculot sur des textes poétiques et spirituels - voire hermétiques ou alchimiques - de Gaston Compère, avec des images de toute beauté de Michael Hague.

        En voici la couverture :




    Et une page de texte :




     
        Le texte mystérieux autant que mélancolique est saupoudré par petits quatrains au fil des pages, et bien peu d'ouvrages de poésie m'enchantent à ce point...
        En voici d'autres passages (accompagnés de celui ci-dessus).



    Le feu noir n'y peut rien.
    Née de l'amour, et l'amour même,
    la licorne surgit
    comme Minerve, étrangement armée.

    Licorne dans le dédale des cités,
    tu es seule à trouver
    la folie carillonnante
    de l'enfance qui regarde la lune.

    (...)

    Licorne, dans l'encre d'or
    de cette matinée, sache
    que mon  printemps a assez de parfum
    pour que tu ne t'effaces pas.

    Plus haut que la haute plaine
    où ne s'aime que le houx rechigné,
    la licorne des neiges ne s'épuise
    qu'à découvrir la cime illuminée.

    Derrière l'iris et sa constance,
    le lys et sa gloire.
    Derrière le lys humain,
    la parole cabrée.

    (...)

    Si tu te hâtes les pieds las
    de tant de chemins et de tant de guerres,
    elle sera là dans ton jardin,
    la jeune licorne dont la lune bleue est le sang d'oubli.

    (...)

    Pour la haute plaine limpide et nue,
    fuis ce monde embroussaillé
    où il n'est pas de bouches
    qui ne lancent des flèches.

    (...)

    Science, si j'aime t'écouter,
    dit la licorne, amie du saut
    et de la cabriole empanachée,
    je ne mange pas de tes chardons.

    Rêve des hautes cimes,
    j'écoute la lumière
    qui se précipite
    vers le soleil.

    (...)

    Quand le livre s'épuise,
    les rêves sous les yeux de la licorne puérile,
    tu devrais, poète, en nourrir mille feuilles
    comme l'achillée des vieux chemins d'enfance.

    Tu me nommes
    licorne, dit la licorne,
    mais si tu savais mon nom
    serais-je encore dans ton ciel ?


    Gaston Compère
    (site ici)
     
     
     

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  •    Je m'enchante chaque jour de la lecture de "Leçons particulières" d'Hélène Grimaud, qui est à la fois un livre merveilleusement écrit et une mine d'enseignements sur la vie, de leçons de Bonheur.

         Voici un petit récit qu'elle rapporte, au sujet du trésor que l'on porte en soi...


    Hélène Grimaud


        "
    Dans la ville de Niamey, au Niger, vivait un paysan très pauvre. Il n'avait pour tout bien qu'une humble maison basse couleur de terre ensoleillée. Devant cette maison était un champ de cailloux, au bout de ce champ, une source et un figuier. C'était là tout son bien. Un jour, endormi, il se vit cheminant dans une cité vaste et magnifique. Il parvint bientôt, dans la lumière de ce rêve, au bord d'un fleuve que traversait un pont de pierre. Là était, au pied de la première borne, un coffre ouvert débordant de pièces d'or et de pierres précieuses. Il entendit alors une voix qui lui disait : " Tu es ici dans la grande cité du Caire, en Egypte. Ces biens te sont promis." A cet instant précis il s'éveilla au pied de son figuier où le sommeil de la sieste l'avait surpris. Frappé par son songe, notre pauvre paysan ferma aussitôt sa maison, fit son sac et décida de partir pour l'Egypte et le Caire, entr'aperçus en rêve.
        "Son voyage fut long et périlleux. Mille fois, il faillit mourir ; il fut battu, volé, malade, mais jamais il ne renonça :  ce qu'il avait pressenti,  ce que le rêve avait enseigné devait être et serait. Il parvint enfin, au bout d'un long mois, au Caire. Son coeur battait la chamade, son contentement était au-delà de tout ce qu'il avait enduré pour arriver : la ville lui apparaissait exactement comme dans son rêve. Comme dans le songe, il en longea les avenues, admira les boutiques et les minarets, huma les parfums et aima les épices ; enfin, il trouva le pont de pierre. Seulement, au pied de la première borne, en guise coffre et de trésor, il rencontra un vieux mendiant édenté.
        " Peux-tu te pousser un peu ? demanda le paysan au mendiant, non sans lui offrir sa dernière pièce. Il caressait encore l'espoir de trouver, sous les fesses fripées du miséreux, le coffre magnifique chargé de pierreries et d'or. Le mendiant prit la pièce, remercia Allah et se poussa. A sa place n'étaient que cailloux et poussière.
        " Ah ! Je veux mourir, se lamenta le paysan en s'arrachant les joues. Adieu, mendiant, je vais me jeter de ce pont. J'ai tout perdu, je ne veux pas survivre à cette désillusion.
        " Et de raconter au mendiant le rêve, le coffre, l'or et les pierreries. Le mendiant éclata de rire.
        " Pour être fou, tu es bien fou ! Vouloir mourir et croire aux songes ! Regarde-moi : j'ai moi-même rêvé, il y a trois lunes, qu'un trésor était enfoui au pied d'un figuier, dans la cour d'une humble maison basse couleur de terre ensoleillée, au bord de la ville de Niamey. Ai-je tout abandonné pour trouver la maison ?
        " A ces mots, le paysan ouvrit la bouche, stupéfait ; il se frappa sur le front et éclata de rire.
        " Tu es vraiment fou, ou simple d'esprit ! rétorqua le mendiant, déconcerté par le grand rire, en se traînant pour reprendre sa place, exactement sous la première borne du pont de pierre.
        " Le paysan rit encore et rebroussa chemin en bondissant de joie. Comment avouer au mendiant que la maison qu'il avait vue en rêve était, précisément, la sienne ? Et que, alors, c'était chez lui, au pied du figuier, que le trésor l'attendait ?"

    Hélène Grimaud, Leçons particulières (Robert Laffont), p. 26-28
     
     
       Ce conte m'évoque une jolie carte du Tarot de Rajneesh (éd. "Le Voyage Intérieur") qui s'intitule "au-delà de l'avidité". On y voit un pauvre qui danse au pied d'un arbre à l'idée de n'avoir pas plus de vies à vivre encore que le nombre de feuilles que porte l'arbre ; et pour son désintéressement, l'ange le libère aussitôt.
     

    Rajneesh - Au-delà de l'Avidité

     


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