•        Lorsque l'on observe sa vie avec attention, les pensées que l'on émet notamment, on découvre soudain que les événements auxquels on est confronté les reflètent ; et parfois d'une façon telle que l'on est obligé de réagir car l'on avait pas prévu la souffrance que cela apporterait.

         C'est alors qu'il faut également observer nos réactions, et les modifications qu'elles entraînent éventuellement dans l'environnement que nous connaissons.

          C'est ainsi que, le 14 novembre dernier, tandis que je marchais en méditant dans un bois, je reçus un message de facebook me demandant si j'étais en sécurité. Autour de moi tout n'était que paix et beauté.

          Lorsque j'appris, plus tard dans la journée, qu'il y avait eu des attentats à Paris, j'eus presque l'impression d'assister à un film policier comme il y en a tant - et dont d'ailleurs les gens se délectent tant. Ces "pensées meurtrières" ne m'atteignaient en rien, et cependant je découvris bientôt que les gens autour de moi étaient si déracinés, si terrifiés, si épouvantés que je ne pouvais éviter de me sentir coupable de ne pas ressentir la même chose.

         Une brèche s'établit en moi. Je commençai à voir un conflit que je n'avais pas perçu au départ. C'est alors que je me pris de colère contre les drapeaux bleu-blanc-rouge qui fleurirent dans les réseaux sociaux : qu'un pays étranger se drape de bleu-blanc-rouge me paraissait normal, car cela signifiait qu'il pensait à nous ; mais que nous mêmes, français, arborions des drapeaux me paraissait indiquer que nous nous refermions frileusement sur nous-mêmes sans penser une seconde que le terrorisme ne nous est pas réservé, et que des quantités d'autres pays ont déjà été martyrisés de mille façons... Cette pensée d'ouverture fut bientôt suivie d'effet, car dès le lendemain les réseaux sociaux abondaient de témoignages affirmant que la France n'avait pas l'exclusivité de ce genre de drame.

           Cependant le ressenti profondément douloureux de deuil que m'avaient inspiré les réactions de mon entourage, s'ajoutant aux nombreux deuils très proches que je n'ai cessé de connaître depuis plusieurs mois, me conduisirent à un état de dépression et d'hébétude contre lequel j'aurais dû lutter (c'est du moins ce qu'affirma le tirage de tarot que je fis l'autre soir), mais que j'accueillis cependant avec un certain abandon, car mon but n'était-il pas de me diminuer, jusqu'à disparaître face à ce qui me dépasse ? Anéantir le moi, mourir avant la lettre, n'était-ce pas mon objectif premier ? Et toutes ces frappes n'étaient-elles pas là pour me le rappeler ? Je remplaçai donc mon avatar habituel par un carré noir : image de "la vacuité", dans le Tarot Zen d'Osho.

     

    Tarot Zen - La Vacuité

     

          Or sans le savoir j'avais encore "lancé" une nouvelle pensée... 

           D'ailleurs ici je m'interromps. 

           Qui a "lancé" une pensée ? D'où vient-elle ?

          "Je" dis "je" par commodité ; par habitude... Mais d'où viennent-elles, ces pensées ?  Elle est venue toute seule ; comme les autres ; comme la première, de facebook : "êtes-vous en sécurité ?"... Est-ce le maître intérieur qui les envoie pour me guider ? Est-ce tout simplement le hasard  ? Ou "mon" chemin qui se dessine de soi-même ?

         Bref, voici que cette nouvelle pensée engendre une nouvelle situation. Je reçois le livre de Betty Quirion que j'ai commandé depuis quelque temps :

     

    Betty - La Fraîcheur de l'instant
    La Fraîcheur de l'instant 

       
          ... et il me conduit au Vide existentiel (titre d'un de ses chapitres).

           L'auteur est une québécoise née en 1956, et je m'amuse à l'idée d'être passée non loin de chez elle lors de mon voyage au Québec en 1967 ! Elle dit avoir vécu à la frontière des États-Unis que j'évoque ici). Voici ce qu'elle écrit :

     

    «  Je me suis torturée à essayer de saisir la vérité jusqu'à ce que je me demande : " Et si je n'avais pas à identifier, à reconnaître et à comprendre quoi que ce soit ? Et si l'abandon allait jusque là ? "

         La réponse affirmative s'est installée d'elle-même comme une certitude. Je l'ai reçue comme un choc nucléaire. Le mental a disjoncté et s'est complètement arrêté. J'ai l'impression que plus rien ne bouge. Je me demande ce qui arrive, tellement c'est opposé à ma perception actuelle.

         Je laisse le vide m'absorber. Le grande vide est devenu vaste comme l'océan, instantanément, sans prendre le temps de se répandre. Il est là ! La distance s'est évanouie d'elle-même. Ce vide, ressenti depuis toujours, n'est donc qu'une impression de peur passagère reliée au rêve !

        Sans espoir, sans croyance, sans analyse, je reste dans cet espace dépeuplé, sans savoir ce qui va arriver. J'accueille le fait que je ne peux pas trouver de solution. J'accueille l'absence totale de moi et de tout matériau pour me reconstruire.

        Sans cette histoire que je me racontais sur moi-même, et que je vois en toute lucidité, je n'existe pas. »

     

         Sans ce livre également, qui détaille avec clarté et simplicité le parcours de toute une vie, je n'aurais pas compris que les obstacles que je rencontre n'ont rien d'exceptionnel et que la voie est longue et difficile. À lire certaines déclarations selon lesquelles "il n'y a rien à chercher, car tout est déjà là" on se désespérerait ou se prendrait pour le dernier des incapables, devant le peu de résultats rencontrés dans sa quête. 

          Mais je vois qu'il y a deux points à retenir ici :

       - premièrement, chaque chemin est unique, chacun a le sien propre à sa ressemblance, c'est pourquoi personne ne peut imiter personne ;

          - et secondement, les étapes sont très nombreuses, et se traduisent toutes par une perte supplémentaire... d'où les comparaisons inévitables avec la dépression ou la folie. Cependant les écritures - les psaumes  notamment - sont là pour nous en traduire les effets et nous rappeler que plus la nuit semble menaçante, et plus l'aube se rapproche.

           C'est ainsi que j'ai transformé mon image-avatar en vision de l'espace. 

           Ce Vide - cette ouverture - cette immensité - cet Abîme incommensurable - cette Paix ineffable - n'est-ce pas Cela même qui en moi demeure, Pureté inaltérable en quoi tout ce qui passe se liquéfie et disparaît inévitablement ?

     

     


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  •   

            Il me semble important aujourd'hui de modifier légèrement l'intitulé de ce blog. 


       En effet, dérivé de l'Espace d'un instant qui fut créé sur over-blog mais désormais supprimé, il prétendait jusqu'à ce jour capter des "instantanés" de vie, de multiples petits points d'existence retenus comme par éclipses de mes expériences quotidiennes. Une photo par-ci, un poème par-là ; un clin d’œil par-ci, un souvenir par-là...

          Aujourd'hui ce "pointillisme" ne me convient plus. Ce blog n'est pas un filet à papillons ; il ne peut ressembler à un tapis de feuilles mortes ni à un bouquet de fleurs coupées ! Il ne reflète dans la réalité qu'un seul Instant, cet instant unique de la Vie qui se modèle, s'ouvre et s'épanouit au fur et à mesure de la prise de conscience que l'on en a. Comme un oiseau qui ouvre progressivement ses ailes, peu à peu il se dévoile en abîme, ouvrant des portes comme s'éloignent des nuages, variant sa perspective comme une image kaléidoscopique.     

     

    Kaléidoscope

     

         Par contre, je demeure indécise quant au qualificatif... Est-il secret ? Ne l'est-il pas ?

        Dans la précédente formulation (empruntée à l'un de mes recueils de poèmes), il s'agissait de vécus solitaires que je me proposais de partager : un secret est une intimité qui, une fois exprimée, devient confidence. 

         Mais si l'instant est unique, peut-il être secret ? Y a-t-il dans son expression quelque intimité à partager ?

          Oui, par sa nature profonde il est secret, car invisible, insaisissable, inaperçu de nos sens communs. Et les multiples tentatives précédentes pour en saisir des parcelles ne font que mieux comprendre son rayonnement obscur, à peine effleuré par de furtives ivresses.

         Mais puisqu'il est Unique, ajouterai-je un déterminant pour le désigner ? L'instant secret ? Cela paraît inévitable !  Alors le propos de ce site évoluerait nettement vers la "tentative d'approche" : car ce que l'on désigne de façon si précise est forcément recherché. Et puisqu'il faut "voir" au-delà du perçu, l'image présentée en exergue devra être légèrement modifiée.

        

         Eh bien, essayons donc de retrouver le socle commun à tous ces "instants" ; essayons de profiler leur unique visage.

         D'éclipse en éblouissement, celui-ci saura bien se laisser deviner.

     

     

       


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  •       La lecture du Tao-tö king me ravit. Particulièrement ce distique qui pique ma curiosité... Pour la clarté, j'ajoute le verset précédent entre crochets et en italique :

    « [Non-Être et Être sortant d'un fond unique
    ne se différencient que par leurs noms.
    Ce fond unique s'appelle Obscurité.]

    Obscurcir cette obscurité,
    voilà la porte de toute merveille. »

    Tao-tö king, chap. I, trad. de Liou Kia-hway, éd. Folio

     


    Lao-tseu
    Lao-tseu



          "La porte de toute merveille", quel éblouissement ! Mais que peut bien signifier le vers : "obscurcir cette obscurité" ?

         Je vous avertis ici que je ne suis pas allée lire d'exégèses de ce texte et n'ai guère envie de le faire, puisque d'une part il me parle intuitivement, et que d'autre part la poursuite plus avant de sa lecture éclaire les passages initiaux, comme nous le verrons. Cependant pour ceux que cela intéresse je vous signale à cette page un commentaire du texte que j'utilise.

         Par ailleurs, en parcourant les différents sites consacrés au taoïsme je remarque qu'il y a un écart incroyable entre les différentes traductions de ce texte fondateur, ce qui me conduit à me réjouir d'avoir choisi l'adaptation de Liou Kia-hway, ceux du moins trouvés sur le net me paraissant en appauvrir le message... Mais y a-t-il un hasard ? Et qui suis-je, pour en juger ? Ceci rejoint précisément le propos de ce billet.

           En effet, ce qui est sous-jacent à ce discours, c'est que la Vérité se situe au-delà de tout concept mental. L'Être étant ce qui est manifesté, et le Non-Être lui étant intimement lié puisqu'il ne peut y avoir de manifestation sans qu'elle soit issue d'un néant préalable, nous pénétrons d'emblée dans un domaine qui échappe à la compréhension humaine : cette perception de l'Être en tant que face éclairée et du Néant en tant que face cachée du même Principe nous est déjà parfaitement obscure... Cependant, pourquoi l'obscurcir encore ? Et pourquoi est-ce la porte d'une merveille ?

         Passons au chapitre XX.

    « Abandonner l'étude c'est se délivrer des soucis.
    Car en quoi diffèrent
    oui et non ?
    En quoi diffèrent
    bien et mal ?
    On doit redouter cette étude que les hommes redoutent,
    car toute étude est interminable.

    Tout le monde s'échauffe et s'exalte
    comme s'il festoyait au cours d'un grand sacrifice,
    ou qu'il montât sur les terrasses du Printemps.
    Moi seul je reste imperturbable
    comme un nouveau-né qui n'a pas encore ri.
    Moi seul j'erre sans but précis
    comme un sans-logis.

    Tout le monde a sa richesse,
    moi seul parais démuni.
    Mon esprit est celui d'un ignorant
    parce qu'il est très lent.
    Tout le monde est clairvoyant,
    moi seul suis dans l'obscurité.
    Tout le monde a l'esprit perspicace,
    moi seul ai l'esprit confus
    qui flotte comme la mer, souffle comme le vent.
    Tout le monde a son but précis,
    moi seul ai l'esprit obtus comme un paysan.

    Moi seul, je diffère des autres hommes
    parce que je tiens à téter ma Mère. »

    Tao-tö king, chap. XX, trad. de Liou Kia-hway, éd. Folio

     

           Je n'ai pu me résoudre à couper ce texte, qui est si riche ! Vous avez vu revenir le terme "d'obscurité" que j'ai moi-même distingué par l'italique. On y rencontre aussi le mot "Mère", qui était déjà présent au chapitre I dans un passage que je n'ai pas cité ; je vous en proposerai l'explication ici. 

          Voyons donc le premier paragraphe .

       Il exhorte à l'arrêt de toute recherche d'ordre mental : dans la quête de la Vérité, vouloir trouver des réponses par la philosophie, la science ou toute sorte d'autre étude est peine perdue. Cette quête, nous avertit-on, est sans fin ! Non seulement elle n'aboutit pas, mais en plus elle se nourrit d'elle-même, s'enflant à l'infini sans jamais pouvoir trouver de terme. C'est un tonneau des Danaïdes ; une illusion, en somme. 

        S'ensuit l'observation du comportement des hommes qui "croient savoir" : ils discutent et s'échauffent à l'envi, n'en finissent plus de polémiquer. La simple observation des discussions sur les réseaux sociaux peut nous en rendre compte ; ou de débats télévisés... On ne s'en sort pas. Qui a tort, qui a raison ? Celui qui a tort aujourd'hui aura raison demain. Comme disait Pascal : "Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà".

         Le principe pour le sage consiste donc à s'en désintéresser. Mais bien plus que cela, il revient à la psychologie d'un "nouveau-né qui n'a pas encore ri", c'est-à-dire avant l'apparition du sentiment. Non seulement il s'abstrait du domaine de la pensée, mais il s'abstrait également du domaine émotionnel. Et à ce titre, il devient "errant", n'ayant d'attache ni intellectuelle ni relationnelle.

       Le 3e paragraphe développe cette idée en évoquant le fameux terme d'obscurité

         On y retrouve l'opposition entre "tout le monde" et "moi seul" : façon claire de montrer que le but est de se détacher totalement du monde ; d'entrer dans une solitude intérieure.

        Les deux premiers vers sont une allusion nette au détachement matériel, par cet emploi du possessif dans l'expression "tout le monde a sa richesse" qui s'oppose à l'apparente absence de richesse du sage (je "parais démuni" ; mais l'est-il vraiment ?). On passe immédiatement à l'absence de recherche mentale : le sage est "ignorant" et a l'esprit "lent" ; il abandonne même systématiquement l'usage de l'intellect : il est "dans l'obscurité", il a "l'esprit confus" puis "obtus". En fait il n'a en ce monde aucun objectif, puisque contrairement aux autres son esprit "flotte comme la mer, souffle comme le vent", ce qui rappelle le terme précédemment employé de "errer"... Il se trouve donc à nouveau dans la situation du nouveau-né qui se laisse porter, et même nourrir.

         Quoi de plus obscur que l'esprit d'un nouveau-né ? Il ne sait rien, ne cherche rien, ne voit pratiquement pas, et n'a aucun but si ce n'est de "téter sa mère"... Or ici, la majuscule ajoutée rappelle que ce qui est désigné par "Mère" est la Pure Conscience à l'origine de l'Univers (sens évoqué au chapitre I).

           C'est pourquoi l'obscurité la plus obscure - l'absence totale de pensées, le vide, le silence, l'abandon de soi poussé à l'extrême  - est la porte de toute merveille... 

           

    Mandala

           

     


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  •         Est-ce d'avoir lu le rêve de Daniel ? Toujours est-il que j'ai fait cette nuit un rêve qui me poursuit. 

             Alors que la vie en ce monde n'est qu'un vaste rêve selon la philosophie que je professe, aller me pencher sur un rêve effectué durant ce rêve semble pure folie ! J'apporte ainsi de l'eau au moulin des folles aventures multiples et variées du "je" triomphant.

         Cependant il y a cette "petite voix" (coquine ?) qui prétend que puisque les rêves traduisent un état intérieur mal compris, nous l'amenant en pleine conscience, on peut bien tenter de les utiliser pour faire la lumière en soi, de la même manière que l'on utilise un tirage de tarots ou la lecture d'un transit astrologique pour s'orienter dans une période difficile.

         C'était bien la peine, me direz-vous, de chanter les louanges de l'obscurité dans le chapitre précédent. Mais au moins cette fois-ci ne serai-je plus dans la citation, en m'exposant personnellement. 

     

          Voici donc le rêve dans lequel je me suis promenée vers la fin de la nuit dernière.

        Je marchais dans une ville inconnue. Les rues étaient très claires et désertes, les façades hautes et lumineusement blanches. 

         Je savais que j'avais rendez-vous avec quelqu'un qui m'était très proche (probablement le père de mes enfants), mais nous ne pouvions communiquer que par notre téléphone portable et je ne savais ni où j'étais, ni où il était. En fait dans cette ville lumineuse il n'y avait aucune indication de rue, rien d'écrit, personne. Je lui signalais donc que j'avançais, simplement, certaine que je le rencontrerais bientôt ; car il me semblait tout de même "connaître" un peu cette ville silencieuse.

        Soudain je débouchais vers une place en contrebas avec des arbres verts, au centre de laquelle s'élevait un bâtiment sombre qui paraissait significatif et portait une plaque définissant l'endroit : square Victor Hugo ! Ravie d'avoir trouvé quelque chose qui puisse être identifié, j'avisais qu'un couple qui me précédait et qui me semblait être celui de mes enfants était entré dans ce bâtiment : il me fallait donc y entrer aussi ; ce devait être la voie à suivre.

         Hélas, la porte apparente semblait sans serrure et inutilisable, tandis que sur la gauche une avancée de mur laissait apparaître une ouverture carrée plongeant vers le bas par laquelle il me semblait avoir vu mes enfants s'engouffrer. Je m'échinais un moment à tenter de m'y introduire mais n'y passais guère que le bras, me désolant d'être ainsi à la traîne et beaucoup trop grosse ! J'avais annoncé au téléphone "je suis square Victor Hugo"; pour être trouvée je devais donc absolument pénétrer à l'intérieur.

         Une idée me vint : et si je jetais un objet dans ce sas, peut-être déclencherait-il l'ouverture de la porte ? Aussitôt, je m'emparai de mon portefeuille et de ma carte d'identité (!) et les laissai tomber dans le trou. La suite ne se fit pas attendre : la porte s'ouvrit, laissant apparaître une sorte de local administratif sombre et bourré de monde. À peine descendu les deux marches la porte se referma derrière moi, et fouillant désespérément sur ma gauche je me découvris incapable de repérer l'arrivée du sas auquel j'avais confié mes précieux papiers.

        J'en fus très surprise : j'étais pourtant certaine de les retrouver aisément à l'intérieur du local ! D'autre part, pour interroger les dames assises derrière les bureaux il fallait faire la queue : il y avait du monde et j'ignorais totalement pourquoi, ni de quoi il pouvait s'agir. Cependant j'eus beau regarder, le guichet extérieur ne donnait pas dans cette pièce ; je pris donc mon mal en patience et attendis mon tour. Plus question ni de mes enfants, ni de mon rendez-vous ! Je ne savais plus où étaient les miens et rongeais mon frein.

         Quand enfin je fus devant la préposée, une gentille dame blonde et que je lui exposai la perte de mes papiers, elle s'exclama : "Vous les avez mis dans le sas !! Mais il est hors de question que j'aille vous les chercher ! C'est au sous-sol et moi pour le moment je dois terminer mon service. Vous attendrez !"

         Quand enfin sonna l'heure de la fermeture des bureaux, je la vis avec soulagement se rendre au sous-sol et me pris à espérer. Les gens commencèrent à sortir, le public d'abord ; puis les employés... Mais quand je la vis réapparaître, elle me lança :

        - Vous voulez que je vous rende vos papiers et votre portefeuille ? Mais vous les avez jetés dans un guichet qui portait la mention "à rendre" ! Cela veut dire qu'en fait c'est vous qui nous les deviez. Vous prétendez vouloir les récupérer alors que c'était à vous de nous les rendre !

          Abasourdie, je cherchai à me défendre, prétendant que je n'en savais rien et que j'avais déposé ces pièces au hasard, sans qu'elles me soient nullement réclamées.

         - Mais qu'est-ce qui me le prouve ? répondit-elle.

          Je croisai le regard rassurant d'une de ses collègues, qui en s'éloignant semblait me dire : "Elle vous les rendra, ne vous en faites pas..." Mais là-dessus je m'éveillai. 

         Bien sûr, on est toujours passionné par l'écho qu'un rêve éveille en soi, parce qu'il appuie juste sur la corde sensible, sur la question qu'on est en train de se poser.

          Et cette question, c'est : "Qui suis-je ? Suis-je une identité séparée, ai-je besoin d'une définition pour être ?"

         Le rêve au départ était éloquent : pas de repères, mais beaucoup de lumière ; c'était parfait. Manque de chance : je cherchais quelqu'un, je cherchais des repères. Si je n'avais pas "cherché", peut-être tout serait-il resté parfait ? Mais bon, je me savais une famille, des enfants, j'avais donc une histoire, un bagage, un but... ce qui entraîna fatalement la concrétisation d'un univers clos dont l'entrée ressemblait fort à une naissance. Naissance qui entraîna l'apparition d'une identité précise est séparée, avec un système de société, des gens...

        À ce niveau tout était clair. Où cela l'était moins, c'était sur cette question : Pourquoi avais-je perdu mes papiers ? Pourquoi ne pouvais-je pas les récupérer ? Pourquoi me disait-on que je faisais erreur, et que c'était en fait à moi de les restituer ? 


           Sur cette question restée en suspens, voici que ce matin, en ville, je rencontre une personne connue qui me dit :

    - Je vais te demander un service.

    - Dis-moi.

    - Peux-tu me ramener chez moi dans ta voiture ? Je suis à pied et je ne me sens pas bien.

    - Mais bien sûr !

        Après quelques échanges de civilités, la personne précise :

    - Depuis ce matin j'ai la nausée ; mais je ne peux pas vomir.

        J'évoque quelques bonnes tisanes, qu'elle approuve avant de s'empresser d'aller se mettre au chaud. 


        À peine suis-je repartie, que j'explose de rire à mon volant : "Elle ne peut pas rendre ! C'est comme moi !! Je ne parviens pas à me décider à rendre mon identité !"

         Il est possible que cela soit aussi pénible que de souffrir de gastro-entérite... 

         Un bel effet "miroir" ! Ainsi s'éclairent les rêves.

        Celui-ci tout de même, continue à m'apparaître ambigu : en effet, lâcher une identité incarnée est une explication plausible ; mais si  l'on suit bien le cheminement de l'histoire, on a une situation "avant" l'incarnation où je savais qui j'étais, et une situation "à l'intérieur de la boîte" où je ne peux plus le savoir parce que c'est "caché au sous-sol" ...

         Il semble donc que la question de l'identité soit à double-sens

         D'où évidemment tout le poids du rêve.

          ... Que je vous confie après tout, tel quel. Et vous me direz ce que vous en pensez à votre tour !

     

     

    Le rêve - Vladimir Kush

     


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  • Mystère

    Image tirée du film "la forêt Scarabée"

     

     

    « Puisque ces mystères nous dépassent
    Feignons d'en être l'organisateur... » 

         Telles ont les paroles que Jean Cocteau met dans la bouche du Directeur de la Tour Eiffel dans la comédie ballet burlesque qu'il a composée avec le Groupe des Six, "Les Mariés de la Tour Eiffel".

             Jean Cocteau était un visionnaire, comme beaucoup de poètes. Ce qu'il dit là est d'une incroyable richesse. 

           En effet, cette Tour Eiffel sur laquelle tout semble déréglé ressemble fort à l'Univers dans lequel nous évoluons, sur lequel tôt ou tard nous découvrons n'avoir aucune prise. Et dans cette mascarade, le directeur est la parfaite image de l'ego, qui fait semblant d'avoir tout organisé : d'être l'auteur, l'acteur, le responsable... Et qui cherche des solutions, et qui manipule tout dans tous les sens, et qui s'arroge des rôles ;  alors qu'en fait il n'y est pour rien du tout.

     

    Mystère
    Image tirée du site "Madiwi"

     

     


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