•    Le fait de reprendre d'anciens articles de mon ancien blog pour les rééditer sur celui-ci me permet de prendre conscience de certaines choses. Rien dans la vie n'est inutile ou gratuit dès lors que l'on s'est posé la question de ce qui se cache derrière cette existence ; tout devient signe ou message intelligible.
     

       Ainsi, occupé dans l'angoisse à comprendre "pourquoi suis-je ici ?" ou "qu'est-ce que je fais là ?" on s'aperçoit peu à peu que l'on est pris dans une sorte d'imbroglio de carton-pâte qui semble très solide, impossible à ébranler malgré tous les efforts fournis ; et qui cependant, lorsque l'on cesse tout effort (comme le lion pris dans un filet et qui dut arrêter de se débattre pour qu'un rat puisse le libérer), présente des failles d'où surgissent de furtives lumières, comme des clins d'yeux disparus hélas avant que l'on ait pu les saisir ; mais laissant une trace indélébile, comme une promesse intérieure à laquelle l'assentiment profond de l'être offre la possibilité de se reproduire ultérieurement, en plus fort.

         Finalement, c'est comme les lueurs annonciatrices de l'aurore. D'une aurore qui tôt ou tard, doit impérativement se produire. Et qu'on appelle aussi le "Réveil".
          Mais pour revenir à une citation entendue récemment, j'aurais une autre remarque à faire : 

    C'est quand la nuit est la plus noire que le jour est le plus proche

          C'est sous le désespoir le plus profond que se cache la joie la plus grande. En effet, plus on plonge profond en soi, et plus on approche de sa propre vérité. Or l'illusion nous a si bien emmaillotés dans sa toile que nous ne cherchons qu'à l'extérieur, ligotés que nous sommes à étouffer notre cœur. Seul le Cri, le désespoir absolu, (repris dans le Psaume "De profundis, de profundis ad te clamavi, Domine" - "des profondeurs, des profondeurs j'ai crié vers Toi, Seigneur") est capable de nous faire ressentir le point extrême où est caché notre Être.

         C'est ce que j'exprimais dans ce poème, très ancien... mais quelle distance imaginaire peut-on mettre, mon Dieu, entre soi et Soi ?! 

          Il s'intitule "Le Silence" et m'a été inspiré par une expérience de psychothérapie psychanalytique. C'était en effet une excellente méthode pour faire "remonter" ce qui est caché dans les profondeurs, et je me demande pourquoi à l'époque je n'ai pas pu aller au bout de  ma démarche vers une véritable psychanalyse... Sans doute cette formule-là suffisait-elle ? Elle m'a en effet tiré tout le désespoir possible, un désespoir qui est la découverte subite de s'être perdu... mais où ? Comment ? Pourquoi ?

           Reprenons-en les termes :

    Ne dites pas
    Le silence
    Dites
    La nuit la mort l’espace
    La bouche d’ombre entre les deux abîmes
    La coupure de respiration
    L’instant qui n’existe pas
    L’unique universelle absence
    Le point infini du néant

      

         C'est bizarre : depuis que j'étudie l'advaïta vedanta je cherche L'instant qui n'existe pas, car il n'y a ni passé, ni futur, ni également "présent" ; je cherche le point entre les deux abîmes, c'est à dire ce qui se cache entre deux pensées ; qui est aussi la coupure de respiration, puisque chaque respiration équivaut à une pensée. Il est dit que la Présence se cache dans le Silence.

         Or qu'est-ce que le Silence dans ce poème ? La nuit, la mort, l'espace : il est tout, sauf quelque chose d'audible, il n'a rien à voir avec l'oreille donc avec les sens. Mais par contre il a une relation avec l'arrêt des fonctions vitales communes ("nuit" : on ne voit rien ; "mort" : le corps est ôté ; "espace" : il est infiniment étendu).

          Et surtout, il est L'Unique Universelle Absence ! C'est quand même très fort : pourquoi cette Absence (qui est donc le souvenir d'une Présence...) est-elle Unique, Universelle ?! Sans doute parce que seul existe l'UN ?

            Le point infini du néant :  et par conséquent, s'il n'existe que l'UN et que l'on prend son reflet pour la Réalité, la Réalité devient égale au néant. C'est le sens du mot "péché" dans le monde chrétien. L'homme en s'incarnant a commis le péché absolu, il a tué Dieu, tout simplement en prenant le Reflet pour vrai, ce qui a anéanti le Vrai.

         D'où le terme sacré de "Conversion". Dans les Offices de Ténèbres, répétés au XVIIe siècle dans les couvents lors des trois derniers jours de la semaine sainte et dont je chéris particulièrement la traduction qu'en a faite François Couperin, les Lamentations de Jérémie qui sont psalmodiées s'achèvent toujours par cette exhortation : 

    Jerusalem ! Convertere ad Dominum Deum Tuum. 

      Ce qui veut dire : "Jérusalem ! Retourne-toi (convertere = impératif du verbe signifiant "se retourner") vers le Seigneur Ton Dieu !"

     

             Voyons la fin du poème : 

    L’éternité sans bords
    Avec ces mille échos qui se répercutent
    De monde en monde
    De galaxie en galaxie
    Mon cri dévoré par le silence
    Mon cri engouffré englouti
    Perdu dans sa trajectoire folle
    Après avoir troué l’abîme
    Le silence repu

      

          Étant plongée dans une forme tout de même de "psychanalyse", j'écrivais sous la dictée de l'inconscient. Et ce que j'écrivais m'épouvantait moi-même car je n'y comprenais rien ! ... Ou plutôt si : comme c'est toujours le cas, je ne comprenais que ce sur quoi on attirait mon attention c'est-à-dire, plongée en plein freudisme, je n'y percevais qu'une mystérieuse relation au "sein maternel"... Relation que je considère à présent comme "mystérieuse", car tout de même il y a là quelque chose d'étrange :  Freud prétend que le sein maternel attire et que l'on souhaite y retourner, or là c'est plutôt l'inverse ! On dirait qu'il est perçu comme un monstre dévorant. Bizarre...

         Mais voyons le texte : "l'éternité sans bords". Encore une image où espace et temps n'ont plus de sens, sont mélangés, mais où intervient l'idée (niée) d'une limite, dans laquelle se précisent par la suite des contenus explicites : "avec ces mille échos qui se répercutent de monde en monde, de galaxie en galaxie". Voici l'image même du Reflet qui est révélée !! Là on découvre que ce Silence, soi-disant vide (parce que contenant une absence), envoie des échos, et que ces échos, dessinent... le monde !! L'univers, le cosmos, oui, bien sûr, ne sont que les "échos" de ce Silence magnifique ! 

         Alors voilà, nous arrivons à la fin, et comme de juste, le "meilleur" est pour la fin... Le summum de l'horreur. Mais qu'est-ce que l'HORREUR sinon le paroxysme de l'insoutenable ?   "Mon cri dévoré - le silence repu." Énorme !! 

          Comme les "trous noirs" devinés dans l'espace connu, ce Silence n'est pas un vide ; il se nourrit de quelque chose. Et de quoi ? De ce que j'ai en moi de plus profond, et qui n'est pas formulable en langage humain, mon cri !
           Et ... Je l'emplis complètement... !

          Eh oui, si le Silence est repu, cela signifie  qu'il a ce qu'il lui faut, c'est-à-dire Moi. Qu'il ne lui fallait rien d'autre. Et si je l'ai empli complètement, c'est que je suis devenue Lui...

          Conclusion : "Ne dites pas - le Silence"... 
         Ah ! oui : le sens sacré du verbe dire. Dire, c'est faire exister, ou faire apparaître. Il s'agit là du Verbe, qui est Créateur. Je n'en savais absolument rien quand j'ai écrit cela.
       Donc conclusion : "Il vous tuerait aussi."
        Tout est dit, c'est très simple : comme il n'existe que l'UN, si "je" existe, Dieu n'existe pas, il est absent, il est silence, il est tué par moi.

             Mais si je donne vie au Silence, à l'Absence, c'est-à-dire à Dieu, en Le faisant Présence, ou si plus exactement je Lui donne Ma vie car c'est Moi qui Vis, alors le "je" connu est tué.

           C'est l'un, ou l'autre ; pas les deux. 

     

    (La phrase citée débute à 10'25)

     


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  •     C'est l'hiver. Et ce gel qui nous emprisonne n'est pas sans m'en rappeler un autre, celui dans lequel était pris le Cygne, de Mallarmé, que j'ai déjà évoqué ici

     

    Cygne

       

         Ce matin, ce vers m'est revenu en tête :

    « Un Cygne d'autrefois se souvient que c'est Lui,
       Magnifique ! ... »

     

       Rien d'autre. En effet, il se souvient de Lui. De sa propre Magnificence qu'il avait oubliée ; enfouie ; "gelée".... Il se souvient de Qui Il Est.

          Et de même que les cheveux de Samson, rasés par son amante issue de l'Illusion, repoussent, de même le "Stérile Hiver" évoqué par Stéphane Mallarmé a une fin, et quand survient le dégel, le Cygne se souvient...

     

    Cygne-Martine Maillard

     

            Et comme en témoigne ce dessin* : il s'éveille.


     

    * Pour voir le dessin entier, ainsi que le poème de Mallarmé entier, reportez-vous à l'article cité en lien. 


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  •    
          Hector Berlioz, en tant que commentateur au Journal des Débats (ici) sur la question du Théâtre Lyrique, plaisantait en 1863 autour d'une représentation d'Ondine (un opéra-féerie tombé totalement dans l'oubli) en évoquant l'adage latin sans doute issu du stoïcisme : "Oportet Pati" ("il faut souffrir") ; il le rapprochait d'une mauvaise traduction des moines bon vivants ("qu'on apporte le pâté !") pour terminer sur l'obsession du compositeur, un certain Semet n'ayant "semé" aucune postérité mais comptant sur la renommée d'autrui pour asseoir la sienne : "Il nous faut Patti !! "  En effet, Adelina Patti était la cantatrice la plus renommée de l'époque - la Callas de ce siècle - et à elle seule elle aurait pu faire salle comble.

         Cependant, si vous entrez en initiation, ce n'est pas souffrir qu'il faut, mais mourir ! Tintin nous en apporte la preuve lorsqu'il cherche à pénétrer dans le sanctuaire suprême : le Temple du Soleil...

      

    Le Temple du Soleil

     

           Pour pénétrer dans le Saint des Saints, il doit faire confiance à un enfant, dont personne n'est vraiment sûr, et traverser des kilomètres et des kilomètres, des jours et des nuits de jungle et de montagnes remplies de pièges mortels.

     

    Le Temple du Soleil

     

          Et ce, même dans les conditions les plus difficiles.

     

    Le Temple du Soleil

     

         Et même lorsque son "alter ego", le capitaine Haddock, peste plus que jamais contre les conditions de la traversée (que cependant il assume...)

     

    Le Temple du Soleil

     

         Lorsque tout espoir d'approcher le sanctuaire semble perdu, il tente encore l'impossible, s'effaçant d'abord devant les autres.

     

    Le Temple du Soleil

     

         Si bien que l'inévitable se produit....

     

    Le Temple du Soleil

     

          Tintin disparaît... Englouti... Noyé sous la cascade.

     

    Le Temple du Soleil

     

          Ses amis accablés le croient réellement mort.

           C'est alors qu'il découvre l'entrée secrète du lieu auquel il aspirait !!

     

    Le Temple du Soleil

     

          C'est par les entrailles de la terre, comme par une seconde naissance qu'il va pénétrer jusqu'au coeur même du Temple du Soleil : en pleine salle du Trône !

     

    Le Temple du Soleil

     

    Le Temple du Soleil

     

        Toute aventure demandant un dépassement de soi illustre ce processus, mais c'est bien dans cet album, l'un des meilleurs qu'ait réalisés Hergé, que l'on en voit la meilleure évocation... 

     

          NB : vous excuserez la qualité très variable des illustrations, qui sont toutes issues du net.

     

     


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  •  

        Ce matin, je décidai de me rendre à un cours auquel je n'avais pas assisté depuis quelque temps. Je me préparai et m'y rendis en voiture.

          Arrivée à proximité, la route était barrée : travaux. Je dus faire un détour.

          Une fois sur place, je ne repérai pas les véhicules des personnes accoutumées à le fréquenter et commençai à me poser des questions.

         La réponse fut vite trouvée : l'enseignant, qui avait des enfants, avait décidé de supprimer le cours de cette semaine pour partir au ski avec eux. Je n'avais pas été prévenue.

          Dépitée je décidai de me rendre dans un bois. Mais dans la champagne berrichonne, il faut faire plusieurs kilomètres avant d'en trouver un, et le plus proche était dans la direction où la voie était barrée.

         Je pris mon mal en patience et de détour en détour, parvins à ce bois.

         Il était encore entièrement dépouillé, et je marchais dans des sentiers glissants d'humidité. Parvenue au bord d'un surplomb, je m'appuyai à un tronc et demeurai immobile.

       Mais le tronc bougeait ! Derrière moi, je ressentais le mouvement, parfois imperceptible, parfois plus net de l'arbre qui me semblait danser comme un jeune animal.

            La faute au vent sans doute, qui passait victorieux, venu d'on ne sait où, filant on ne sait où, virant comme un cavalier triomphant parmi les végétaux charmés comme des serpents, le nez en l'air ! Et le soleil prudent glissait sous un nuage ainsi qu'un oeil sous la voilette, pour rejaillir bientôt plus chaud et riant que jamais !

         Je demeurai longtemps à me laisser traverser de ces effluves mouvants, ondoyants, capricieux, si infiniment et imperceptiblement variables !

            En voici la vidéo, de piètre qualité certes, mais témoignant qu'ici bas tout danse et rien ne demeure.

     

     

     


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  •  

          À l’origine était le Vide.

           Et le Vide était pur et profond, total et absolu.      


           Le Vide n’était ni clair ni sombre ; ni creux ni élevé ; ni étendu ni limité.

        Il était pur Néant, dans l’absolu de la Pureté parfaite, totalement stable et immuable.

           Absence totale de pensée, Absence de manifestation.

            Pur Scintillement.

     

    Vide

     

        

          Quand, d’une minuscule et folle idée jaillit la Lumière, aussitôt surgit l’Ombre puis l’alternance Jour-Nuit.

          Avec la Lumière apparut la Vision, qui s’empara du contraste avec l’Ombre pour dessiner des formes.

            Ainsi de même qu’était né le Temps, naquit l’Espace.

     

            Et dans le Temps, et dans l’Espace, les formes s’engendrèrent l’une l’autre.

           Et la Vision se démultiplia en audition et sensations.

            Et les formes devenues vibratoires engendrèrent sons et réactions.

          Et les réactions de réactions firent le solide et le liquide, le feu et l’air puis l’éther, les énergies subtiles et les frissons d’extase ou de terreur.

           Et les mondes apparurent, se développèrent et grandirent à l’infini.
            Fascinants et captivants.
             Attirants et séducteurs. 

            Piège terrible où la Vie surchargée de chair s’étouffa et s’engloutit, aspirée par elle-même, submergée dans l’amour de soi-même projeté à l’infini !

     

    François Schlesser

     

         Piège infernal où la Vie esclave d’elle-même s’afflige et pleure sur sa déchéance, aveuglée par les couches innombrables de créations ajoutées les unes aux autres et engendrées les unes par les autres.

          Piège maudit où la Vie, convaincue d’être perpétuellement menacée, s’emploie en permanence à sa propre protection, projetant autour d’elle la Beauté et s’enfermant toujours plus étroitement dans l’infiniment petit.

           Car toute Joie engendre Douleur, toute Naissance conduit à la Mort, toute Force rencontre la Faiblesse et toute Bonté découvre le Mal.

      Et dans ce cercle infini elle tourne et tourne et tourne sur elle-même, vertigineusement, inlassablement, sans fin, sans rémission.

         Telle la girouette au vent mauvais ou l’herbe folle du désert.

         Telle l’hélice ou la roue, le tourbillon dans l’océan.

     

         Mais de même que tout ce qui est né, meurt ; de même tout ce qui a commencé, doit finir.

        Et de même que la girouette, l’hélice ou la roue tournent autour d’un essieu, de même le vortex est aspiré vers son centre.

       Ainsi le Piège ne peut tenir éternellement captive la Vie Toute-Puissante et Rayonnante !

     

         Aussi, comme fond la neige aux rayons du soleil, comme tombe le sable quand s’ébroue celui qui s'en était recouvert, ainsi s’écarteront les rideaux des apparences trompeuses au jour du Réveil.

      

    Emergence

     

     


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