•        Ce matin l'audition d'une belle œuvre musicale, trop oubliée, m'a lancée dans d'étranges réflexions.

           Il s'agit de "Rédemption" de César Franck, composition bienvenue à l'approche de Pâques et dont le retentissant appel de trombone ne peut qu'évoquer vivement la carte du tarot de Marseille intitulée "le Jugement", où l'on voit les morts se lever de leur tombeau au signal de l'Ange jouant de la trompette.

     

    Appel

     

          Je me suis dit soudain :

        Comment cette abondance de notes issues d'une quantité d'instruments différents peut-elle dans un fouillis simultané produire ce merveilleux effet à l'oreille ?

        Et qui plus est, comment ce merveilleux effet qui évolue comme un discours peut-il me "parler" de cette façon ?!

        ... Enfin, comment comprendre qu'il s'agit à l'origine d'idées passées par la tête d'un individu qui aurait couché des signes noirs sur un papier, que ces gens-là auraient ensuite déchiffrés ensemble à l'aide de différents objets ?!!

        Alors tout s'est enchaîné et m'a sauté à l'esprit, provoquant une bouffée d'hilarité.

          Comment cette profusion de cellules, de viscères et de produits durs, liquides ou mous qu'on appelle "mon corps" peut-elle tenir ensemble ?! Qui a empaqueté tout ça, ficelé, mis en mouvement cet imbroglio ?!!

         D'où provient que j'ai trouvé un goût à ce que j'ai mis dans ma bouche l'autre soir au restaurant ? C'était comme une symphonie... De jolies choses à regarder qui soudain paraissaient délicieuses et insolites en traversant ma bouche...

         D'où provient que le ciel m'apparaît bleu cet après-midi alors qu'il semblait gris ce matin ? Qu'au soleil il me semble ressentir de la chaleur alors qu'hier je ressentais du froid ? Que je vois devant moi une table, mais que si je fermais les yeux en touchant ce contact ferme et lisse, ce ne serait rien qu'un obstacle indéfinissable, un support tout au plus ?

     

          Tout est miracle. Tout est incompréhensible. Avec notre intelligence nous créons des liens entre les choses pour les rendre intelligibles mais elles ne le sont pas.

         En effet, observez bien "votre corps" ; ou "cette table"; ou "ce ciel bleu" ...  Plus vous vous approcherez en grossissant l'objet, et plus il va disparaître : le corps, la table, vont se fragmenter en cellules, atomes, électrons... et on peut continuer longtemps car le mental a besoin de définir, donc il rajoute des sous-parties, des éléments qu'il continue de nommer et de nommer à l'infini alors qu'en fait les physiciens désemparés ne voient plus que du vide, où plus rien ne peut être cerné (là votre corps ne peut plus être trouvé, il se confond au reste, comme la table...) et où de surcroît tout tournoie de façon imprévisible. Dans la physique des particules on finit même par reconnaître que plus rien n'est objectif, les mouvements sont aberrants et prodigieux... Autant dire que si on lui en demande trop, le mental décortiqueur finit par être dépassé !

          Quant au "ciel bleu", si l'on cherche à s'en rapprocher il va reculer et reculer jusqu'à ne plus être bleu du tout, car petit à petit vous serez dans l'espace intersidéral sans avoir compris ce qui se passait ! Bien sûr, on vous en empêche avec la "gravité"... Mais qu'est-ce que la gravité ? N'est-ce pas ce qui retient tout ensemble ? Ce qui donc permet de nommer, définir, attribuer des formes... Formes qui toutes tendent à s'élever après être apparues, puis à décroître et à rejoindre la terre en disparaissant... Pfff ! Bien peu de chose tout ça.

     

    Les âges de l'homme

     

        Et vous vous dites :  "C'est beau !" ou "Ce n'est pas beau !" ; "J'aime !" ou "Je n'aime pas !". Et vous ressentez profondément quelque chose qui perce en vous, qui vous pousse en avant et que vous appelez, selon les cas, "Amour" ou "Absence d'Amour"... Ce qui est la même chose, sauf que parfois on se réjouit de le ressentir et parfois on le cherche désespérément.

           Qui soutient tout cela ?

            Qui porte tout cela ?

         Choses illusoires, pures hallucinations, qui n'existent qu'à travers le ressenti que nous en avons et prennent formes et noms uniquement pour perpétuer leur influence dans notre esprit... "Ah oui, oui, il y a bien quelque chose ici, puisque que je le touche, puisque je le vois, puisque je l'entends". Mais n'avons-nous pas tout projeté, tout imaginé, comme dans un rêve ?

          Voilà pourquoi certains en déduisent : "Je suis Dieu. J'ai fabriqué mon monde."

         Que "notre monde" soit notre propre divagation, c'est certain. Mais est-ce une raison pour prétendre être Dieu ? D'où provient le souffle qui nous anime ? Qu'est-ce que cette force d'amour qui nous  porte ? En sommes-nous l'auteur ? Et qui est ce "Je" qui s'imagine être à l'origine de tout ?

          Nous nous heurtons à des interprétations diverses du mot Dieu. Il est possible que ceux qui se prennent pour lui en aient une image rétrécie. Si l'on fouille les étymologies, le "Zeus" grec (prononcer "Djo-üs") peut avoir engendré le "Jus-pater" ("Jupiter" ou Dieu Père) qui ensuite, en enlevant le qualificatif, peut donner naissance au pronom français "je"...

          Mais dans ce cas on demeure dans le défini : ce Dieu-là reste une personne précise, issue d'un mental fabricant d'images. Cela n'est pas le principe par lequel nous apparaissons et par lequel avec nous, tout apparaît.

          Le principe originel est au-delà de tout concept, pensée. Je l'appelle "Dieu" parce que pour moi il n'y a pas de mot plus grand ni plus puissant.

          Et s'Il inonde tout, alors il est vrai que nous participons de Sa nature. Mais personne ne peut être Dieu.

            Dieu est.

            Personne n'est. Tout le monde apparaît, simplement.

     


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             «  Père bien-aimé,

    Peu importe si Tu devais me rejeter ou me bannir,
    car où que j'aille, il n'est pas un seul lieu
    où Tu puisses ne pas être. »

    Mooji

     

    Le Maître qui guérit

     

           Imee Ooi, avec sa voix pure, offre de merveilleuses invocations qui portent notre prière vers le divin mieux que personne.

            Voici sa version de la "Medicine Bouddha Dharani" ou "Prière à l'Éveillé qui guérit", supplique au Maître qui soulage de toute souffrance parce qu'Il nous ouvre à la compréhension véritable.

           Grâce à ce site je puis en proposer une traduction :

     

    namo bhagavate bhaiṣajyaguru
    vaiḍūryaprabharājāya tathāgatāya
    arhate samyaksambuddhāya tadyathā:
    oṃ bhaiṣajye bhaiṣajye bhaiṣajya-samudgate svāhā.

    « Je m'incline devant le bienheureux Maître qui guérit,
    Le grand Roi issu de la Lumière bleu-profond qui est venu jusqu'à nous,
    Qui a vaincu la mort et atteint l'Éveil Parfait, et lui demande ceci :
    OM ! Toi qui guéris, Toi qui guéris, guéris toutes nos souffrances,
    Du plus profond de mon coeur je t'en supplie. »

     

     

     

        Pour terminer, voici une autre citation de Mooji qui rappelle que, comme le disent aussi les bouddhistes et tous les véritables aspirants à une voie juste de quelque sensibilité qu'ils soient, la présence d'un Maître extérieur est incontournable pour découvrir un jour le Maître intérieur :

     

    «  Le véritable enseignant n'est jamais séparé de toi.
    Jamais il ne peut l'être.
    Il est le Satguru intérieur - le Coeur de tous les êtres.
    Si tu regardes vers l'intérieur, ce que tu y trouveras
    N'est autre que ce que Je Suis.

    Le Guru apparemment extérieur
    Ne fait que t'orienter vers le Guru intérieur,
    Qui n'est autre que ton vrai Soi.
    Tant qu'il est empêtré dans le monde,
    Ton mental a besoin de cette direction
    Car il oublie facilement sa source.
    La Grâce et la Présence du Guru
    Te rappellent ton harmonie naturelle
    Et t'aident à rétablir ton intégrité.

    Même après la réalisation du Soi,
    Tu ne seras jamais dépourvu d'amour pour ton propre Guru,
    Ni séparé de lui.
    Ton Soi et le Satguru sont Un. »

    Mooji

     


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  •           J'ai essayé de remonter dans ma mémoire au plus lointain souvenir possible. Bien sûr, pour cela on s'aide de ce que l'on sait de l'environnement dans lequel on se trouvait enfant...

           Et j'ai retrouvé cette vision d'une fenêtre éclairée par le jour malgré les rideaux tirés, et moi assise dans un lit et appelant pour ne pas y rester. Ensuite mon père venant me chercher et me disant de ne pas faire de bruit pour laisser maman dormir, et m'emmenant avec une couverture et mon oreiller pour me recoucher sur le canapé du séjour, d'où je le regardais avec curiosité travailler, travailler de tout son coeur sur la table de salle à manger, travailler que c'en était impressionnant.

     

              Rien n'a changé en moi depuis ce temps-là. Je suis exactement la même. Je revis cet instant comme s'il était présent. Il a la même "densité" de présence que l'instant actuel.

              Pourtant, le corps que j'habite n'est plus le même ; l'environnement de l'époque n'existe plus ; mon père a disparu également.

             Jusqu'à l'âge de sept ans, il me semble avoir été dans un nuage, un nuage de bonheur hors temps. Ensuite les choses se sont durcies, au point qu'il m'a semblé impossible d'atteindre les 20 ans, l'âge rêvé d'une "libération" des liens dans lesquels je me sentais enfermée.

              En fait l'ego, formé de multiples conditionnements, venait de se constituer et refermait sa chape de plomb autour de ma vision. Non seulement celle-ci était obscurcie, mais tous les efforts pour m'en libérer allaient rajouter encore à cette obscurité.

               Contrairement à mes inquiétudes, j'ai eu 20 ans et, me libérant d'une forme de conditionnement, me suis jetée dans une autre forme de conditionnement : d'autres souffrances, d'autres blocages, et une recherche insatiable de libération... passant par des thérapies, des études livresques ou des voies spirituelles ne menant jamais nulle part, qu'à de vagues satisfactions temporaires.

              Mais je me disais : "L'an 2000, c'est tellement loin ! Je ne vivrai pas au-delà, c'est certain."

              L'an 2000 a été comme un virage à 90°, un coude dans ma destinée mais je l'ai tout de même traversé. Et sans changer d'un chouïa : j'étais toujours la même. Mais à force de chercher, chercher, j'avais trouvé dans les astres la certitude que je ne pouvais dépasser impunément mars 2017. Oh ! j'étais une bien piètre astrologue, mais tout de même, au regard de mon thème natal, la rencontre de Neptune en Poissons, Pluton en Capricorne, Uranus en Bélier, Saturne fin Sagittaire et Jupiter mi-Balance formait une coïncidence inouïe à laquelle il me semblait ne pas pouvoir survivre !

              Mais c'est passé. Et comme disent tous les bons astrologues, personne ne peut prédire l'heure de la mort. De plus, lorsque mes proches ont disparu, jamais je n'ai pu en lire la raison dans les astres...

              Ceci signe la défaite du mental. Il a tricoté une grosse pelote de complications à partir de mes sept ans qu'il s'est amusé à emmêler et emmêler de toutes ses forces jusqu'à ce jour, formant ce qu'on appelle un ego, un ego qui se regarde, cherche à se comprendre et à se libérer... mais de quoi ? Peut-on se libérer de soi-même ?

             La mort vous enlève à vos problèmes, à votre idée de vous-même. La mort vous retire l'envie de chercher, l'envie de vous battre pour atteindre un but quel qu'il soit... et vous rend à ce que vous êtes simplement : ce regard ouvert, intensément ouvert.

         Du moins la mort de l'ego, c'est-à-dire cette découverte que tout est du pipeau, que tout a toujours été du pipeau, et que rien n'a vraiment changé de l'essentiel : que ce regard ouvert sur la fenêtre lumineuse est toujours le même, exactement le même, et que cela seul est vrai...

     

           Pour illustrer mon propos, voici une vidéo prise il y a quelques jours. Elle représente l'Esprit qui retourne à sa source de lumière, inévitablement aspiré par elle.

     

     

     (Suite...)


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           Il me semble nécessaire de faire suite à l'article précédent ; d'ailleurs justement les impressions correspondantes m'étaient parvenues simultanément.

           Le temps et l'espace ayant toujours été indissolublement liés, déclarer le second aussi inexistant que le premier paraît une évidence pour l'esprit ; mais l'expérimenter est une autre affaire.

     

           L'espace, comme le temps, sont des composantes du monde matériel que nous expérimentons à travers notre corps physique, monde dont la principale caractéristique est de se manifester à travers des objets définis et distincts. Dans cet univers tout est mesurable : ainsi naissent les notions de temps pour mesurer la durée, et d'espace pour mesurer le mouvement.

         Mais dès que nous nous plaçons dans l'univers de la pensée, l'univers mental, ces éléments disparaissent : comme je le disais précédemment, par le jeu de la mémoire je rends présent un événement d'un lointain passé ; de même, par l'imagination ou le visionnement particulièrement télévisé je peux me projeter dans un lointain pays. Et la chose devient encore plus évidente lorsque nous utilisons un "téléphone" car c'est courant aujourd'hui : l'individu contacté est avec nous, quoique loin dans le principe. Or l'effet de la voix perçue est assez saisissant car il touche en profondeur, véhiculant plus d'émotion que la vision, comme en témoigne par exemple ce passage de "La Voix humaine" de Jean Cocteau :

    « Autrefois, quand nous étions couchés, et que ma tête reposait à sa petite place au creux de ton épaule... j'entendais ta voix exactement la même que ce soir dans l'appareil ! »

            Notre nature profonde n'est donc pas située dans le corps, puisque par le monde de la pensée elle l'englobe. Mais elle n'est pas non plus située dans le monde de la pensée puisque nous pouvons voir celle-ci se dérouler, puisque nous pouvons constater des émotions qui la traversent puis s'éloignent, des sensations qui vont et viennent, des événements qui passent, des actions qui se sont déroulées, un effort qui s'est produit puis un repos.  

             Et c'est là que j'en viens à ce que j'ai constaté. Parfois il arrive que quelqu'un dise quelque chose qui nous touche profondément. Il ne s'agit pas de sa voix, ni de ses mots, mais de l'idée véhiculée ; et cela peut se produire autant en présence de la personne qu'à distance, et parfois même par le biais d'un message écrit, ou même d'une lecture publique. Il se produit alors un contact "d'âme à âme" qui crée en nous une sorte d'embrasement momentané... Je dis "embrasement" car il nous semble "prendre feu" et brûler en dedans comme une torche, et pourtant on pourrait tout autant dire "embrassement", car c'est alors d'une communion qu'il s'agit entre ce que l'autre a "émis" et ce qui est en nous.

              Jésus a dit :

    «   Lorsque deux ou trois d'entre vous sont réunis en mon Nom, Je Suis au milieu d'eux. » (Matthieu 18, 20)


             Or le Nom de Dieu est "Je Suis" (YHWH). Et si seulement deux personnes réussissent à créer entre elles une communion à ce niveau, alors l'embrasement du "Je Suis" se produit, notre nature réelle devient sensible et évidente ; bien sûr, en dehors de chaque "personne" visible, dépassant largement toute chose... dans un ressenti que l'on qualifie parfois d'amour, mais qui est bien au-delà : une béatitude sans nom.

              Ce ressenti peut d'ailleurs être éprouvé au spectacle de la nature dans certains moments exceptionnels, ou par rapport à une situation extrême ; il est le contact avec ce que nous sommes vraiment, et c'est ce bonheur véritable que nous recherchons activement toute notre vie.

            Cependant si des événements semblent le déclencher, en fait ils ne permettent que de dévoiler momentanément une vérité permanente que nous avons enfouie sous nos conditionnements et croyances. 

             Certains maîtres à penser prétendent que pour la retrouver il suffit de se situer dans "l'Ici et maintenant"... Le présent et la localisation seraient la clé...  On sent maintenant l'absurdité de cette pensée qui nous ramène au corps physique que nous ne sommes aucunement !!

            Disons que ces enseignants cherchent avant tout à nous aider à sortir du monde des pensées qui nous  entraînent vers le passé, le futur et l'imaginaire ; leur but est de nous permettre de créer un alignement entre l'Être que nous sommes vraiment et le mental qui nous tient en otage. Mais en présence de l'Être, il devient alors essentiel d'abandonner l'ici (espace) et le maintenant (temps) par l'absorption en dedans - en soi-même - comme en témoignent Phène, ici  et Mooji, (de 30'15 à 36'40). 

     

    Création de Namaste Om
    Création de Namasté Om

     

     

     


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  •            Même si l'objectif de tout chercheur de Vérité est de se déconditionner de tout acquis culturel ou éducatif, comment ne pas se référer aux enseignements reçus dans le domaine spirituel ?

              Aussi ne cesserai-je jamais de penser à Jésus en cette période qui rappelle ce que les chrétiens nomment sa "Passion", en essayant d'en extraire un exemple pour soi-même, une inspiration voire des directives. Au XVIIe siècle français qui fut entre autres un grand siècle mystique il était préconisé de pratiquer "l'imitation de Jésus-Christ"; et en l'occurrence il ne s'agit pas forcément de reproduire la vie d'un individu supposé de l'antiquité, mais plutôt de comprendre en quoi ce qu'on peut en lire nous permet de comprendre, symboliquement, ce que nous devons vivre.

     

    Passion

     

               Il est à noter tout d'abord que le mot "passion" n'a rien à voir avec le sens lié aux émotions que nous lui prêtons maintenant, mais qu'il dérive du verbe latin "pati" (au participe passé "passus"), souvent traduit par "souffrir" ou "subir", et qui est en réalité l'exact inverse du verbe "agere" (participe passé "actus") signifiant "mettre en mouvement" ou "agir", comme le précisent bien nos adjectifs actif et passif.

              Et c'est la première importante leçon qui ressort de cet épisode : Jésus (et celui qui veut le suivre, l'imiter) n'a plus de volonté propre ; il n'est plus acteur de son existence. Il laisse s'exercer la volonté de Celui qu'il appelle "Son Père" et qui peut être nommé "Dieu", "Maître" ou "Source". C'est d'ailleurs exprimé de façon claire :

    « Que Ta volonté se fasse, et non la mienne » (Luc, 22, 42)

             Ceci est bien connu, et cependant demande à être médité bien au-delà du moment précis où l'on est face à l'épreuve. La découverte que rien ne nous appartient, et que nous ne pouvons pas même prétendre être l'auteur d'actions en ce monde est au centre même de la découverte de soi. C'est pourquoi ce moment qui précède la mort de l'homme Jésus est d'une grande richesse pour tout aspirant à la Vérité.

            Mais voyons un autre aspect, plus symbolique celui-là.

            Quelqu'un m'a dit un jour : "les disciples de Jésus, ce sont ses pensées". Passé mon premier mouvement de surprise, cette personne m'a dévoilé un énorme champ d'investigation, qui trouve son point d'aboutissement à l'occasion de la fameuse scène du jardin des Oliviers.

             Développons cette idée en reprenant la vie de Jésus : jeune, à l'époque des Béatitudes, il entraînait derrière lui des foules entières. Des milliers de personnes. Et il leur parlait, du haut de la montagne ; et il les nourrissait. Nous sommes face à un homme qui se sent investi d'une mission, et qui est plein de toutes ces pensées de ce qu'il a à faire, porté par ces projets qu'il entretient. Il a une vision puissante de lui-même ; il pense avoir un message à apporter au monde ! Ne nous reconnaissons-nous pas en peu en cela ?

              Cependant, s'investir dans le monde, avoir des projets et des idées entraîne des conflits. Nous en sommes ici témoins en permanence : les idées des uns se heurtent aux idées des autres ; qu'il s'agisse d'idéologies religieuses, politiques ou sociales, aujourd'hui il nous est facile de voir combien le frère se dresse contre le frère, chacun se persuadant de détenir la "bonne" position.

           Peu à peu, nous voyons Jésus se retirer de la foule et chercher à disparaître, affirmant que "son Royaume n'est pas de ce monde". Mais s'il n'est pas de ce monde, alors, que faire en ce monde ? Guérir ceux qui l'en supplient, voici à quoi il s'applique d'abord. Mais qui guérit, est-ce lui ? Ou la Force qui passe à travers lui mais aussi à travers chacun de ses semblables ?

             Quelques jours avant ce "jeudi saint" que nous fêtons aujourd'hui, il est d'abord accueilli comme un roi pour son entrée dans Jérusalem sur le dos d'une ânesse  : c'est son image de lumière dans le monde qui est présentée. Puis il réunit les quelques disciples qui lui restent, que l'on dit être "douze" (un chiffre symbolique) mais auxquels s'ajoutaient quelques femmes, dont sa mère et Marie-Madeleine qui fut peut-être son épouse, lors de cet épisode où il célèbre avec eux la Pâque et que l'on nomme la "Cène". À ce moment, l'unité qui existe entre lui et le groupe qui l'entoure est profondément soulignée : ils ne forment "qu'un seul corps" - Judas compris.

     

    Léonard de Vinci-La Cène

     

             Il est bon que nous aussi puissions nous interroger sur les "disciples" - ou pensées - que nous nourrissons de façon très proche, et qui nous retiennent, nous conditionnent encore. Est-ce un parent ? Un conjoint ? Est-ce l'amour de la lecture, de la musique ? Est-ce le goût pour l'étude, pour le sport, ou encore une habitude devenue contraignante ? Est-ce même le sentiment d'être utile à quelqu'un, la fierté d'aider et donc le sentiment de notre importance quelque part ? De quoi nous faisons-nous dépendants, afin de rester fascinés par le monde extérieur ? Et comment éviter que dans ce cas, il n'y ait parmi ces pensées qui nous retiennent une pensée-racine destinée à nous conduire à la mort ! Une certitude que ces organes dont nous nous pensons constitués verront un jour leur dissolution et leur retour à la terre qui les a produits ?

              En effet, lorsque Jésus tombe en prière au Jardin de Gethsémani, tous ses supports, tous ses soutiens disparaissent... tous "s'endorment"... Ce qui semble signifier qu'il a su, par la force de son désir de retour vers son Père, les faire taire en lui-même et les réduire au silence. Mais est-ce bien par ses propres forces ? N'est-ce pas plutôt le Père qui, l'attirant à Lui, anéantit tout alentour ?

         Et c'est là que l'on découvre la Vérité de toute quête ; s'offrir au Père, c'est accepter de se retrouver totalement "seul" ; totalement dénudé (mieux que dénué) de toute personnalité, par l'abandon et du passé, et des habitudes, des désirs personnels, de toutes les croyances sécurisantes et de tout ce qui a fait l'investissement en ce monde. Une telle nudité entraîne une angoisse mortelle... Ce qui reste n'a plus de nom.

              Aujourd'hui il me semble que c'est cette nuit-là qui est au centre de tout.

              Le reste ne fait qu'en dériver mathématiquement - d'ailleurs on sait bien que ce qui est arrivé à Jésus est directement provoqué par l'importance du Souffle qu'il a lancé dans le monde. De même que le Souffle est lancé, de même il est ensuite repris ; de même que Jésus a eu sa face de lumière, de même l'attend sa face d'ombre ; et de même qu'il a semé de l'amour, de même il récoltera de la haine... C'est donc la traversée de l'ombre, inévitable dans notre univers manifesté fondé sur les couples d'opposés.

             Aussi, après l'accueil avec des rameaux, sera-t-il couronné d'épines et nommé "Roi des Juifs" sur cette Croix de l'Espace-Temps auquel son corps matériel ne pourra que demeurer attaché. L'on y voit souffrance, écartèlement : oui, puisque demeurer dans un tel monde où la vie entraîne la mort, où le bonheur des uns entraîne le malheur des autres, c'est en soi une souffrance.

             Mais ce qu'il nous montre, c'est comment le traverser !

    « Courage ! J'ai vaincu le monde ! » dit-il (Jean 16, 33)

     

    Croix-Image Dreamstime


           Et il nous montre la méthode : acceptation pleine et entière de ce qui est, en abandonnant non seulement le désir d'être un individu spécifique (il ne répond jamais aux questions sur son identité), mais aussi celui d'agir, d'être l'auteur de quoi que ce soit (il se "laisse faire" pour ainsi dire comme un pantin), et enfin celui d'avoir, de posséder quoi que ce soit ici-bas (des amis, une famille... il remet sa mère à Jean, et Jean à sa mère). Ceci est une "mort à soi-même" qui est la clé de la libération.

            Si le corps semble attaché (il est cloué à la croix : de même, nous continuons d'exister de façon extérieure dans le monde), par contre l'esprit lui, s'est arraché à tout, absolument tout, et totalement remis au Père.

    « Père, je remets mon esprit entre Tes mains. » (Luc 23, 46)

            À l'instant où tout est abandonné, le Royaume "des Cieux" peut être atteint. Il est là où ne se situe aucune pesanteur, aucune attache, croyance, désir. Il est dans le retrait, le recul de la scène où nous jouions un rôle, dans le rejet du costume que nous portions et l'ouverture totale à l'immense Inconnu.

           « Vous m'y rejoindrez », a dit Jésus. Oui, si nous parvenons à suivre son exemple nous pouvons tous, tels le "bon larron", trouver cet Espace qui est notre vraie demeure et dans lequel il n'y a plus aucune limite, aucune définition, mais seulement Dieu.

     

            


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