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        Peut-être les aînés d'entre vous  se souviendront-ils d'une après-midi de janvier mémorable , à la télévision dans les années 80, où Peter Ustinov avait improvisé une parodie de cantate de Bach qui disait à peu près ceci :

        "Seigneur, nous ne nous sommes pas encore occupés de nos cartes de voeux"
    (en Allemand : "Herr Gott, wir haben unsere Postkarten noch nicht besorgt").
     
          Nous, famille de mélomanes, nous étions tordus de rire, à l'entendre imiter tour à tour le violon, le violoncelle, le hautbois, la voix de soprano, la voix de ténor, la voix de basse, dans un style parfaitement proche de celui du grand Jean-Sébastien.

        Youtube a gardé trace d'un sketch du même type, malheureusement pas le même, et qui cette fois s'inscrit dans une manifestation où figuraient nombre de personnalités de la télévision française de l'époque. Au fil du texte allemand de la cantate improvisée, il cite Bouvard, San Antonio, Dorothée... dont certains apparaissent dans la salle pliés en deux de rire (vous apercevrez notamment Charles Aznavour)
        Ce sera un épisode humoristique (pour une fois !) dans mes articles concernant la musique, en même temps qu'un coup de chapeau à cet immense talent que fut Peter Ustinov.
        Il y cite "l'orchestre et les chœurs" d'une ville à consonance anglaise (Castle Pro Musica Antiqua) qui déclenche l'hilarité, parodiant le style d'interprètes de l'époque.
        Vous apprécierez avant le démarrage de la "musique", qu'on entende les instruments qui s'accordent (il y a même un basson...), le hautbois qui essaie son anche, les gens dans la salle qui toussent... Tout comme au concert.
        Puis il enchaîne avec un texte plaintif : "Ach, lieber Gott, sei doch nicht böse..." ("Ah ! Dieu aimé, ne sois donc pas fâché !"), dont il fait son air de soprano, acompagné d'un violoncelle dont on salue à la fin l'accord arpégé, dans le pur style baroque.
        Puis (et c'est là qu'il cite les personnes présentes), il confie à  "l'évangéliste" (le ténor chargé des récitatifs) un texte concernant les "petits prophètes", qui arrivent à Kembs (sans doute se trouvent-ils là ?) "le troisième jour", pour que cela fasse plus biblique... Dorothée, pour la même raison sans doute est qualifiée de "Sainte", et que vont-ils voir? - Noël... Magali !
        Il doit y avoir un événement que l'auteur de la vidéo passe sous silence, et je le regrette, puisqu'il ajoute aussi que le choral final est court, parce qu'à "deux ans"... Qui donc avait deux ans ? Je ne saurais le dire.

        Je vous laisse donc apprécier ce petit joyau. J'avoue que si on comprend l'allemand, c'est encore mieux.

         
     
     

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        Je lis beaucoup de publications pour la jeunesse, en partie pour ma profession, mais aussi par goût. Et je voudrais vous parler aujourd'hui du nouveau best-seller de cette catégorie : Tobie Lolness, de Timothée de Fombelle.    
     

    Tobie Lolness



        C'est tout un univers que crée Timothée de Fombelle, dans ce livre à la gloire de l'Arbre et de ses habitants. Très informé des questions de botanique et d'entomologie, grand amoureux de la nature et bien sûr essentiellement d'écologie, il nous montre une société de petits hommes microscopiques qui vivraient dans un arbre. L'idée n'est pas nouvelle : depuis Lilliput et Micromégas, la réflexion sur le monde humain à travers des êtres d'une autre dimension a déjà fait fureur. Je pense notamment au très joli roman d'Andrée Malifaud, "Sycomore du petit peuple", que Timothée de Fombelle a peut-être lu dans son jeune âge (il est paru en 1988 chez Castor Poche, et a obtenu le prix Saint-Exupéry de littérature jeunesse en 1989), et bien sûr à la mode lancée récemment au cinéma par "Microcosmos", qui s'est épanouie avec "Arthur et les Minimoys".
        Malgré l'attirance qu'il m'inspirait, le premier volume m'a un peu agacée, et certains de mes amis m'ont confessé y avoir eux aussi ressenti des longueurs : en effet, l'auteur, afin de nous lancer directement dans l'aventure de son héros Tobie, use et abuse des retours en arrière, si bien que l'on finit par être écrasé par des parenthèses incessantes, qui ralentissent l'action. Cependant de fil en aiguille on découvre de nouveaux personnages, tout un écheveau de familles, d'enfants, de parents, qui ont tous leur histoire, leur passé... Et petit à petit, on comprend que c'est un style d'écriture, et que l'auteur aime peut-être prendre son temps : ne s'agirait-il pas d'un roman "à ramifications", à l'image de l'arbre qui est en le siège ?
        Par ailleurs, et c'est un autre détail qui m'a chiffonnée, T. de Fombelle semble se rapprocher d'auteurs anglais comme Roald Dahl, ou de ces dessins animés américains de type "cartoon", affublant ses personnages de noms à consonance anglo-saxonne, et recourant sans cesse au grotesque le plus caricatural. Mais là aussi, le roman s'adressant à la jeunesse, on comprend que l'effet "mode" ou que l'accumulation des gags soient peut-être nécessaires pour susciter leur intérêt ; et on est vite séduit par le thème récurrent du clown au grand coeur ou du méchant écrabouillé, ainsi que par la tendresse qui entoure la figure des héros : Tobie, son amie et grand amour Elisha, ses parents Sim et Maïa Lolness, le petit Tête de Lune... Finalement, les noms sont-ils vraiment anglais ? Je crois que je me suis trompée : ils sont de nulle part.
        Et c'est parce qu'on est attaché aux malheurs qui frappent le jeune Tobie, qu'on rechigne aux digressions que l'auteur place peut-être là exprès pour nous faire griller d'envie d'avancer dans la lecture...

        Bien sûr, j'ai parfois trouvé certaines situations irréalistes, comme par exemple l'hiver que Tobie passe enfermé dans une "grotte" taillée dans le tronc où il fait du feu, se nourrit de "moisissures", et dessine sur les murs... Mais au bout du compte, tout est romanesque, tout est leçon, tout est allégorie, et c'est en abordant le second tome : "les yeux d'Elisha", que j'ai enfin adhéré totalement à cet univers d'un charme irrésistible.
     

    Tobie Lolness 2

     
         En voici un extrait que j'ai particulièrement aimé :

        "Difficile de dire ce qui rend inoubliables des moments de fête.
        Une fête est un mystère qui ne se commande pas.
        Mais il y avait, dans ce petit groupe caché au fond des bois d'Amen, les mille ingrédients qui font d'un repas un enchantement : des parents, des grands-parents, une petite fille, un ami qu'on croyait perdu, du bon pain, des absents auxquels on pense, une réconciliation, un feu dans la cheminée, quelqu'un qui s'attendait à passer Noël tout seul, de la neige à la fenêtre, la fragilité du bonheur, la beauté de Mia, du vin doux, des souvenirs communs, et du boudin.
        C'est incroyable tout ce qu'on peut faire entrer dans une petite pièce dans laquelle une bête à bon Dieu ne tiendrait pas debout..."
     
        (Les yeux d'Elisha, page 122)  
     
     
        Oui, Timothée de Fombelle mérite de succéder à J.K.Rowling, et pourquoi pas, dans un esprit très "français" finalement ; peut-être même dans la lignée d'un Michel Tournier, avec son "Vendredi ou la vie Sauvage".
        J'ajoute que les illustrations de François Place, grotesques lorsqu'il s'agit de ridiculiser des personnages déplaisants, deviennent d'une grande poésie lorsqu'il s'agit de représenter l'univers de l'arbre, et m'ont souvent aidée à me projeter dans la compréhension de cet univers inhabituel.

     

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    Le Jeu quotidien


     


    Journées
    Multiples facettes de ma vie
    kaléidoscopique
    Palettes métalliques où le soleil se joue
    par éclairs successifs
    Journées comme des oies de cirque
    marchant de leur pas consulaire
    à l’abattoir
    Têtes royales tranchées
    l’une après l’autre

    Journées
    Mes tranches de fromage
    Où je me taille ici ou là un petit trou
    pour oublier un peu
    l’horreur du jeu
    Journées pâles comme des jeunes filles
    Flexibles comme des roseaux verts
    exagérément étirées
    Journées compactes comme de grands rochers
    marquant ma route par jalons
    de leur grondement de tonnerre

    Journées étalées sur ma chaussée de ciment
    Sur vous je joue à la marelle
    à cloche-pied à contre-cœur
    D’un mouvement toujours avant
    toujours précaire
    Sans espoir de retour
    Sans espoir de repos

    Terre où t’ai-je laissée
    Mais où est donc le Ciel


    Le Jeu quotidien

     

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  • Il faut cultiver notre jardin
    (Page titre de la première édition)

     

    « Il faut cultiver notre jardin »,
    disait Candide à la fin du conte de Voltaire.

          Lorsque j'étais élève de  lycée, c'est une des citations que notre enseignante nous avait fait noter en priorité sur notre agenda personnel, en guise de viatique. Elle ironisait un peu en nous la dictant,  mais aujourd'hui je pense que c'est peut-être la chose la plus importante que j'aie noté dans ma vie. À l'heure actuelle, avec cette accélération exponentielle de la société de consommation, je dois dire qu’elle m’apparaît comme une des leçons les plus utiles que j’aie reçues. 
     
           Car le pauvre Candide souffre tant, endure tant d’épreuves, que rien ne peut nous arriver de pire qu’à lui, même si la société d’aujourd’hui a changé ; or la solution qu’il adopte à la fin est toujours valable aujourd’hui... à condition bien sûr d’avoir un petit jardin, ce dont je remercie le ciel, puisque je l’ai enfin depuis cette année !
        (Gravure accompagnant l'une des premières éditions de Candide)
     
     
        Lorsque tout va mal, que je me suis battue avec la voiture, l’ordinateur, le téléphone portable, la circulation, le compte en banque, le boulot ingérable, les appareils qui ne fonctionnent plus… à en perdre le sommeil, une seule chose peut me remettre sur les rails : m’occuper un peu de mes arbres, de mes fleurs. Cela dit, si je n’en avais pas, cela pourrait être remplacé par une marche dans la nature ! Mais c’est un peu plus difficile : il faut en avoir le temps, en trouver l’endroit.

        « Cultiver notre jardin », cela peut se comprendre de multiples manières, et c’est là le génie du philosophe.

    Tout d’abord on pourrait comprendre : « s’occuper de ses oignons » ; car à vouloir se heurter à la société on est parfois si échaudé que l’on se dit (en d’autres termes) : « Vivons heureux, vivons caché ». C’est une première interprétation.

    Ensuite, cela pourrait vouloir dire :  « Il faut cultiver ses propres potentialités », au sens de son jardin intérieur ; et là, au fond, c’est la solution offerte à ceux qui vivent en ville, dans des appartements : pour se ressourcer, ils vont s’asseoir à une table à la lueur d’une lampe, et ils vont écrire… de la poésie, du roman, des pensées, qu’importe ! Ou bien, ils vont jouer d'un instrument de musique, ou encore ils vont danser, faire de la poterie, peindre ou dessiner au fusain… Ils cultiveront ce qu’ils ont en eux, leur jardin secret. C’est une seconde interprétation.

    Mais enfin, il y a l’interprétation au sens littéral, de s’occuper de la Terre. Aujourd’hui, pourquoi sommes-nous si mal ? Parce que la planète va mal !

              Et que pouvons-nous donc faire de mieux, sinon nous occuper d’Elle ?
     
            Or lorsque nous nous occupons de ce qui ne rapporte rien – de nos potentialités profondes, de la Nature en nous - , nous nous occupons d’Elle aussi.
     
          Bien sûr, répartiront certains, Voltaire avait mis ces mots dans la bouche de Candide à titre de boutade, simplement, pour montrer à quel point il était « optimiste » (puisque c’est le sujet du Conte), et savait se trouver des travaux utiles jusque dans les pires situations.
     
         Mais pour moi, Voltaire reste un écologiste avant la lettre, car il rappelle, avec son ironie habituelle, que notre ancrage se situe dans la planète, qui nous porte et qui nous nourrit.   


            Je lui rends aujourd’hui hommage.

     

    Il faut cultiver notre jardin

     

     

     


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        Depuis quelque temps, j'avais un peu perdu le fil par rapport à la musique contemporaine ; mis à part le génie monumental de Messiaen, par-delà les méandres des musiques expérimentales ou compliquées, je ne voyais plus de visage émerger, considérant Henri Dutilleux déjà comme un "ancien"  alors qu'il vit toujours...
        Et puis voilà qu'on m'a présenté Philippe Hersant ; et que je suis conquise ! Car comment n'être pas conquis par une musique à ce point écrite, pensée, en même temps qu'inspirée et remplie d'une sensibilité toujours renouvelée ? On m'avait dit : "Tu ne seras pas déçue" ; et non, je ne suis pas déçue, mais bien au contraire, toujours plus séduite, plus surprise, car Philippe Hersant reste fidèle à la tradition classique de la musique orchestrale, tout en ayant sa personnalité, sa griffe, sa signature propre.   
        Sur son site très complet, à cette page, vous pouvez consulter sa biographie (il est né en 1948, a été pensionnaire de la Villa Médicis à Rome ce qui témoigne d'études musicales très complètes et brillantes), ainsi que le catalogue de ses œuvres et sa discographie - il y a même une illustration musicale au piano, très jolie et originale. Sur cet autre, il répond à diverses questions sur son parcours musical, et explique combien il a tardé à se trouver, perturbé par les courants d'idées que lui ont inculqués ses formateurs, alors que sa sensibilité le portait vers un langage plus simple et plus épuré.
       
        Je vous conseille tout particulièrement les trois disques que je possède : son concerto pour violon, joué par Augustin Dumay avec l'orchestre national de France, suivi de la rhapsodie pour chœur d'hommes et orchestre "der Wanderer", et de Streams, œuvre magnifique pour piano et orchestre (Alice Ader est au piano) - disque "Densité 21":

     
     

    Philippe Hersant

     
     
        Puis son premier concerto pour violoncelle et orchestre, avec Siegfried Palm en soliste, suivi de différentes pièces de musique de chambre où l'on retrouve notamment Alice Ader au piano, et enfin Lebenslauf, un cycle de six mélodies sur des poèmes d'Hölderlin interprétées par la soprano Sharon Cooper - un disque Harmonia Mundi :
     

    Philippe Hersant

     

        Et enfin son second concerto pour violoncelle et orchestre, interprété par l'orchestre national de Montpellier avec Cyrille Tricoire au violoncelle, suivi de Heathcliff, suite pour orchestre en six mouvements inspirée des "Hauts de Hurlevent" (disque Accord):

    Philippe Hersant

     
     
            Toutes ces références à l'Allemagne, cette allusion au roman d'Emily Brontë, l'utilisation large du violoncelle et même du violon, indiquent clairement il me semble que nous avons affaire à un compositeur romantique, à un néoromantique de notre époque, car bien sûr son style est très personnel et ne doit plus rien à l'atmosphère du XIXe. On y sent l'influence d'Henri Dutilleux, avec parfois des émanations de Stravinsky... et bien d'autres que je n'ai su identifier.

        Pour vous faire découvrir ce compositeur marquant de notre époque, je vous invite à profiter de cette vidéo trouvée sur Youtube (c'est toujours plus agréable d'assister au concert !), dans laquelle le bassonniste Pascal Gallois interprète la 6e des 8 pièces pour basson que Philippe Hersant lui a dédiées (note : je ne sais s'il les lui a toutes dédiées, ou si c'est seulement cette pièce-là, mais tant pis, je parie et je mets un s...).
        Le basson est un instrument méconnu qui n'a longtemps servi que dans le grave, pour les accompagnements ; mais depuis le prodigieux solo dans l'aigu que lui a confié Igor Stravinsky au début du "Sacre du Printemps", il acquiert une audience méritée, et les compositeurs contemporains s'y intéressent. Vous remarquerez particulièrement les sonorités étranges et nouvelles que l'on peut tirer des anches (de même avec le hautbois et le cor anglais), et dans cette pièce, Philippe Hersant s'amuse à demander à son soliste des double-sons ou des effets de glissement de son dont il s'acquitte parfaitement.
        Cependant le plus beau, que vous apprécierez j'en suis certaine, c'est le passage où intervient l'orchestre, et plus particulièrement le piano. La griffe "romantique" de Philippe Hersant y est totalement sensible.
     
     
     
     
     

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