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        Pour faire suite à l'article "Mélancolie d'école", voici un poème issu de ma propre cancrerie... Ecrit en 1977. Si le "Cancre" de Prévert était un cancre joyeux (parce que encore jeune et non condamné par la société comme c'est le cas aujourd'hui), ce poème traduit le malaise bien réel né d'une situation d'échec, tel que le dénonce Pennac.

    Tourne la ronde
    Passe le temps
    Je fais des entrechats
    (Pas très gracieux)
    Le ciel me tombe sur la tête

    Que voulez-vous
    J’étais trop bête

    *

    Tourne la ronde
    Passe le temps
    Je m’applique à marcher
    (Très gauchement)
    Le ciel me fait un croc-en-jambe

    Que voulez-vous
    C’était tentant

     

    *

    Tourne la ronde
    Passe le temps
    J’essaie de m’immiscer
    (Timidement)
    Le ciel me chasse avec mépris

    Que voulez-vous
    Question de place

    *

    Tourne la ronde
    Passe le temps
    Je m’assieds sous un arbre
    (Dissimulée)
    Et regarde danser les autres

    Que voulez-vous
    C’est plus facile

     

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        Je viens de lire "Chagrin d'école " de Daniel Pennac.
        Rien de bien original, me dira-t-on.   
        Oui, mais sachant que tout ce qui touche à l'école me donne des boutons, il me fallait une certaine dose de motivation. Et cette motivation, elle m'est venue de la personnalité particulière de son auteur, qui me fascinait.
        Je n'ai pas été déçue. Outre la qualité de l'écriture,  la légèreté du style qui emporte sans effort, il y eut la profondeur de la réflexion et l'émotion communicative  dégagée par un être que l'on sent intimement concerné par son propos.


    undefinedDaniel Pennac
     

        Comme
    l'écrivain le dit lui-même,  c'est parce qu'il a souffert, enfant, à l'école, qu'il est aujourd'hui capable de comprendre et d'aider réellement ceux qui endurent la même situation que lui.
        Et il m'apparaît avec une certaine évidence que pour être un bon enseignant, il ne faut pas avoir été un trop bon élève. Car finalement, la réussite scolaire est loin de garantir la réussite sociale, et nombreux sont les cancres devenus des génies ! Aujourd'hui on sait que les inadaptés du système "scolaire" ont souvent une très forte personnalité et des capacités insoupçonnées.
        Ce fut le cas pour Daniel Pennac, mais aussi pour Albert Einstein, et sans doute pour bien d'autres comme Robert Bichet que je connais bien, qui retourna à l'école abhorrée pour y enseigner, et disait à ses élèves de La Courneuve :

        -"Il y a trois sortes d'enseignants : certains ont une véritable vocation de pédagogues, et il faut le reconnaître, ce sont les meilleurs ; d'autres sont d'anciens "bons élèves", qui ne savent plus se passer de l'école et y retournent jusqu'à la fin de leur vie... Et d'autres enfin sont d'anciens cancres - c'est mon cas ! - et ils y retournent pour se venger !!!"

        Médusés, ses élèves n'avaient jamais vu un prof de musique aussi extraordinaire ; aussi, à la stupéfaction du principal, aucune chaîne HIFI ne passa par la fenêtre, aucune plainte désespérée ne lui parvint, mais par contre tous les petits banlieusards bronzés se mirent à pratiquer la musique avec acharnement, tant et si bien qu'à la fin de l'année, un grand concert était organisé au Centre Culturel local, autour d'une vaste production transdisciplinaire où les élèves, avec leurs professeurs et des musiciens professionnels, interprétèrent musicalement des poèmes qu'ils avaient écrits pendant leurs cours de français. (Voir ici).
        "Se venger", cela voulait dire bien sûr : prendre sa revanche, car la sorcière chassée n'était que la honte, l'humiliation ressentie autrefois.
       
        Et c'est exactement ce qu'a fait Pennac à sa manière : non seulement, donner sa revanche à l'enfant bafoué qu'il avait pu être, mais en plus, aider d'autres enfants à ne pas connaître le même sort. Comme si en fait, il fallait que des êtres souffrent de handicaps pour pouvoir ensuite montrer aux autres comment on les dépasse.

        L'adaptation parfaite de l'enfant soumis conduit, les psychanalystes le savent bien, à une personnalité faible et peu développée. La rébellion du jeune est souvent le signe d'une personnalité riche et créative qui saura s'épanouir après l'adolescence, lorsque les difficultés à se comprendre soi-même voudront bien enfin s'estomper, et que  le travail prendra à ses yeux un sens réellement créatif et utile.

        Mais comment obtenir une école parfaitement adaptée ?
        Comme le dit Pennac, ce n'est pas de l'école elle-même qu'il s'agit, mais d'éducation ; or l'éducation est affaire de "maîtres", et seul un maître, au sens socratique, un véritable guide peut conduire une être à advenir à soi-même... Ce n'est donc pas l'école elle-même qui est en cause, et fabriquerait-on des écoles "miracles", comme celle de
    Célestin Freinet ou celle de Summerhill, que le résultat n'en serait pas forcément meilleur ; car sur une quantité d'enfants adaptés à ce type d'enseignement, il s'en trouvera toujours une poignée pour ne pas s'y sentir bien ou pour n'en pas retirer le bénéfice souhaité.
        Non, l'école telle qu'elle est peut demeurer la meilleure possible, avec la bonne volonté de tous. En fait, ce qui aide une personnalité à s'épanouir, ce qui la tire vers le haut, c'est une autre personnalité - comme une mère engendre un enfant : nous voici revenus à la maïeutique - et laquelle ? C'est un nouveau mystère. C'est à chaque enfant qu'il reviendra de rencontrer un jour sur sa route LA personne qui soudain l'éveillera à lui-même, aura ce don (et elle peut être n'importe qui, pas forcément l'un de ses enseignants !), pour que le miracle enfin ait lieu : l'éclosion d'une intelligence, du désir d'apprendre ou de se projeter dans une direction de vie.
       Il est certain en tous cas que les vocations artistiques (musique, peinture...) ou artisanales (ébénisterie, cuisine...) sont plus favorables à ce genre d'éclosion, car elles permettent une relation privilégiée avec le pédagogue, que l'on côtoie seul à seul.
        Malheureusement le temps des précepteurs que l'on affectait à un seul enfant est dépassé, ou du moins inapplicable dans la société actuelle. Or peut-être les "cancres" sont-ils tout simplement des êtres qui ne peuvent se confondre à un groupe ?...


     
    Le Cancre

    Il dit non avec la tête
    mais il dit oui avec le cœur
    il dit oui à ce qu'il aime
    il dit non au professeur
    il est debout
    on le questionne
    et tous les problèmes sont posés
    soudain le fou rire le prend
    et il efface tout
    les chiffres et les mots
    les dates et les noms
    les phrases et les pièges
    et malgré les menaces du maître
    sous les huées des enfants prodiges
    avec les craies de toutes les couleurs
    sur le tableau noir du malheur
    il dessine le visage du bonheur.

    Jacques Prévert
     
     

     

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         Je voulais vous parler ici d'une jeune femme qui peint et dont le talent m'a touchée, et voici que le tableau que je choisis pour vous la présenter s'inspire d'un poème de Victor Hugo ! Je vais donc multiplier les sujets.

        Il s'agit de Céline Mirassou. Agée d'une trentaine d'années et originaire de Corrèze, elle s'est essayée successivement à de nombreuses techniques de peinture, avant d'organiser une exposition et d'ouvrir un site qui témoignent de la variété de son inspiration. Je vous invite à visiter ici ce dernier, en vous attardant particulièrement sur la qualité du dessin, tant dans la section qui porte ce nom, que dans ses reproductions de statues dans la section "surréalisme"; mais vous observerez aussi la richesse  des couleurs dans les parties "abstrait"  et "asiatique".
        Ce qui m'a le plus étonnée chez elle, c'est que, plasticienne en privé c'est une sportive de métier ; et justement cette qualité de sportive me semble particulièrement s'exprimer dans l'attention qu'elle porte au corps, comme dans le jaillissement des couleurs témoignant d'une vitalité intense.

        Voici le tableau que je vous offre en exemple : représentant un petit amour de style 18e, il cite en filigrane, sans les alinéas, tout le texte (ou presque : il manque les deux dernières strophes) du poème de Victor Hugo dont il porte le titre (Puisqu'ici bas toute âme...)... Et moi qui suis tant habituée aux mélodies que l'on charge d'interpréter les beaux poèmes, je suis ici en admiration devant l'aptitude qu'a Céline d'exprimer une oeuvre littéraire sous une forme plastique.
     


    undefinedCéline Mirassou : "Puisqu'ici-bas toute âme..." - Huile (2005)
     
     
     

    Puisqu'ici-bas toute âme

      
    Puisqu'ici-bas toute âme
    Donne à quelqu'un
    Sa musique, sa flamme,
    Ou son parfum ;

    Puisqu'ici toute chose
    Donne toujours
    Son épine ou sa rose
    A ses amours ;

    Puisqu'avril donne aux chênes
    Un bruit charmant ;
    Que la nuit donne aux peines
    L'oubli dormant ;

    Puisque l'air à la branche
    Donne l'oiseau ;
    Que l'aube à la pervenche
    Donne un peu d'eau ;

    Puisque, lorsqu'elle arrive
    S'y reposer,
    L'onde amère à la rive
    Donne un baiser ;

    Je te donne, à cette heure,
    Penché sur toi,
    La chose la meilleure
    Que j'aie en moi !

    Reçois donc ma pensée,
    Triste d'ailleurs,
    Qui, comme une rosée,
    T'arrive en pleurs !

    Reçois mes voeux sans nombre,
    Ô mes amours !
    Reçois la flamme ou l'ombre
    De tous mes jours !

    Mes transports pleins d'ivresses,
    Purs de soupçons,
    Et toutes les caresses
    De mes chansons !

    Mon esprit qui sans voile
    Vogue au hasard,
    Et qui n'a pour étoile
    Que ton regard !

    Ma muse, que les heures
    Bercent rêvant,
    Qui, pleurant quand tu pleures,
    Pleure souvent !

    Reçois, mon bien céleste,
    Ô ma beauté,
    Mon coeur, dont rien ne reste,
    L'amour ôté !

    Victor Hugo, les Voix intérieures
     

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            Ce soir, France Musique retransmet la Passion selon Saint-Matthieu de Jean-Sébastien Bach - hommage traditionnel pour un Vendredi Saint.
        Et comme chaque fois, je suis frappée par les résonances poétiques de l'avant-dernier air de basse :

    Am Abend, da es kühle war,
    (...)
    Am Abend kam die Taube wieder,
    Und trug ein Oelblatt in dem Munde.
    O schöne Zeit, o Abendstunde !

        Je n'écris pas tout, j'écris surtout ce qui me parle, ce qui évoque des souvenirs (d'ailleurs ma traduction est libre, mais si quelqu'un en a une meilleure, qu'il nous la donne !) :

      « Au soir, comme il faisait plus frais,
    (...)
    Au soir revint la colombe,
    Portant en son bec un rameau d'olivier...
    O beau moment,  ô l'heure du soir !  »

        Bien sûr je déplore en passant la mode actuelle, qui consiste à confondre Jean-Sébastien Bach, musicien allemand profond et mystique, sérieux et même sévère, avec le style baroque courant à Versailles, jusqu'au point d'interpréter cette oeuvre grandiose comme un menuet de Lulli. La musique est si belle qu'on arrive à dépasser la sottise d'une interprétation primesautière, toute en escamotage et en hoquets - qu'heureusement la voix de basse évite au maximum, dans l'envolée lyrique de cette phrase sublime.
      
        En regard, je vous offre ici le début de cet air dans une version je crois dirigée par Michel Corboz ; mais je n'en ai pas les coordonnées précises et m'en excuse.

       

        Ce texte m'en a toujours évoqué un autre antérieur d'une dizaine de siècles, écrit en grec éolien sur l'île de Lesbos.


        L'éolien ne pouvant être retranscrit ici, j'ai préféré vous livrer la photocopie partielle d'une page du très précieux livre des
    éditions "Les belles Lettres", collection Guillaume Budé
    : "Alcée, Sapho". Le texte est établi et traduit par Théodore Reinach.

      

    (Apollon et le merle)


     

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        J'avais oublié la magie de Pâques.
        On pense trop "cloches" et puis "lapins".
        On pense trop "œufs et "chocolats".
        On pense "coucous" et "pâquerettes", et gai soleil et vent léger...

        Alors que Pâques est un travail en profondeur, une puissante alchimie qui agit en nous-mêmes comme dans la terre, une fois pas an.
        Cette année, c'est bizarre : elle est tombée le 23 mars ; le surlendemain de la Pleine Lune du Bélier, jour de force où les puissances masculines s'allient aux puissances féminines, où les puissances du Mal s'opposent aux puissances du Bien, où s'équilibre la pulsion vers la vie matérielle et l'aspiration vers le Ciel (jour de Force donc pour un vendredi Saint !) ; et la veille de la Saint-Gabriel (archange de l'Annonciation) ; l'avant-veille de la fête de la Fécondation de la Vierge Marie (fête de l'Annonciation).
        Ce fut chez nous une journée de lumière, entachée seulement par le froid et l'annonce d'une proche perturbation qui ne nous toucha que le soir ; puis le lundi fut, malgré les prévisions de météo France, plongé dans les ténèbres de plus en plus profondes : rare en cette fête de la résurrection.

        Mais quelle résurrection ? Voici un mot qui ne nous parle plus dans son sens vrai. Oui, bien sûr on se dit : "ce qui était mort redevient vivant". Et on n'y croit pas, sauf pour la nature : eh oui, les arbres dépouillés bourgeonnent à nouveau... mais pour le reste ?

        Non, ce n'est pas "ressusciter" qu'il faut dire. Il faudrait revenir à l'ancienne formule, celle qu'illustra Moïse à la sortie d'Egypte : c'est traverser, trouver l'issue, dépasser une épreuve. Tout ce noir ambiant, toute cette agressivité de neige et de grêle que nous avons affrontée, elle représente les désordres qui sont en nous, et sous lesquels nous nous laissons peu à peu engloutir.
        Le monde nous semble de plus en plus hostile, nous nous battons. Et nous avons oublié la grande force de lumière, celle qu'on appelle de tous ces beaux noms d'amour, de courage, d'espérance, de volonté, de foi en la vie, celle qui d'un coup peut faire de nous d'autres êtres, plus vivants, plus joyeux, plus vigoureux.

        Quand nous plongeons en nous et nous abandonnons à l'immense ciel bleu qui dort au fond de notre coeur, nous y rencontrons la lumière, et d'autres forces alors nous sont données. Nous respirons plus amplement, l'espoir renaît, et une voix nous dit :
    "Non ! Ce n'est pas fini ! Non ! La vie est Belle ! Non, la Terre est puissante et forte !" Et nous repartons pour de nouvelles batailles.

        Pâques est l'image de cette transformation. On y bénit le feu nouveau. On y bénit l'eau baptismale. Elle matérialise notre aptitude à choisir entre le bien et le mal, c'est à dire à donner sens à ce qui n'est que terre, à habiter ce qui est mort pour en faire du vivant, à respirer dans les choses. Un sacrement. j'ai toujours été fascinée par la présence dans la religion chrétienne, un peu dans la catholique, encore plus dans l'orthodoxe, de "sacrements".

        Je crois que le "sacrement" - reprise au quotidien de l'ancien mot "initiation" - est le fondement même d'une "religion" (en son sens de reliance), et l'élément le plus nécessaire à notre vie. Il est la rencontre entre un souffle de vie descendu d'ailleurs, et notre matière morte par sa propre nature.

        L'Esprit (Spiritus) est ce qui respire... Lorsque nous respirons, l'Esprit est en nous. Plus nous respirons grand, et plus l'esprit en nous est fort, et plus la Vie se dilate, et plus l'espoir se développe, et plus l'Amour grandit.

        Parfois l'on parle de Dieu mais cela n'a rien à voir avec les dieux païens.

        Cependant on ressent ce qu'il signifie, lorsque Messiaen fait dire à l'Ange, dans Saint-François d'Assise :
     
    "Ton Cœur t'accuse ; mais Dieu est plus grand que ton Cœur !"

        Et lorsque Claudel fait dire à Jeanne, brûlant sur le bûcher :

    "Il y a la Joie, qui est la plus forte ;
    Il y a l'Amour, qui est le plus fort ;
    Il y a Dieu, qui est le plus fort !"


    « Elle est retrouvée. - Quoi ? - L'éternité !
    C'est la
    Terre
    allée
    Avec le Soleil... »

    (Panorama de Fontainebleau vu depuis la Croix du Calvaire, et interprétation libre
    d'un poème d'Arthur Rimbaud qui dit : « C'est la
    mer... »)
     
     
     

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