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          Je débute aujourd'hui le récit d'un voyage que je fis il y a quelques années aux alentours de Noël dans le désert algérien. Ou plutôt ce que j'en ai gardé : des photos, d'une part, un journal de bord inachevé, d'autre part... Car le texte s'arrête au 25 décembre.

           Inutile de vous dire que vous n'aurez donc pas la suite de jour en jour : je vais parsemer le quotidien de cette chronique, en alternant avec d'autres propos, de manière à finir  - plus ou moins - vers Noël... Comme tous mes voyages, c'est un beau souvenir.


    La Sebkha de Timimoun
    La sebkha de Timimoun


          À seize heures précises, je me hâte vers le point-rencontre d'Orly Sud pour rejoindre les treize personnes qui vont avec moi s'embarquer dans le vol d'Air Algérie pour Ghardaïa.

        En ce 21 décembre, nous partons avec des sacs à dos et des tentes pour visiter la sebkha (prononcer sebkra) de Timimoun, située au Sahara sous le grand erg occidental.
        Qu'est-ce qu'une sebkha ? Une ancienne mer intérieure, dont il ne reste que le relief rocheux et où les fonds desséchés conservent traces de sédiments : bois ignifiés notamment, mais aussi toutes sortes de petits cailloux érodés ainsi que des traces de sel. Moins éloignés de la nappe phréatique, ces creux  abritent souvent des palmeraies - surtout à l'abri des quelques falaises où les habitants peuvent trouver de la fraîcheur dans des cavités troglodytiques.
        L'aventure est garantie : en effet, nous ne dépendons d'aucune organisation, et avons pour guide unique un certain Daniel, professeur d'anglais à Lille, qui a déjà fait ce voyage et a conservé des contacts dans la région ; grâce à son intermédiaire, des gens vont nous recevoir et nous transporter en voiture au cœur du désert... C'est tout ce que nous savons ! C'est pourquoi le groupe est surtout constitué de gens à l'esprit aventurier, mais aussi il faut bien le dire, d'un certain nombre de membres du corps enseignant, dont l'intérêt a été éveillé par la promesse de rencontrer des curiosités géologiques intéressantes. Bientôt accueillie par des poignées de mains chaleureuses, je retrouve mes futurs compagnons de route, dont je connais déjà certains, particulièrement David, un ami de longue date.



    Faubourg d'une ville du désert
       
        A l'arrivée, il fait nuit noire et très froid (l'hôtesse annonce 12 degrés). Nous sommes saisis par cette sensation de froid sec qui nous poursuivra toujours malgré notre rêve de chaleur tropicale.

        Ayant pénétré dans un bus orangé à l'intérieur vétuste qui se trouvait garé devant des palmiers, nous faisons route vers Ghardaïa, située à vingt kilomètres de l'aéroport, par une route goudronnée flanquée de pierrailles, de tas d'éboulis, puis d'enclos d'usines et d'entreprises assez patibulaires. La nuit est très noire, et nous ne repérons rien de bien alléchant...
     
        Le bus cahote en faisant un bruit d'enfer et en répandant une odeur nauséabonde : cela nous paraît plutôt amusant, mais quelle saleté à l'intérieur comme à l'extérieur !
        Nous descendons non loin d'un hôtel accueillant et fort éclairé, dont la façade en pierres blondes est égayée de palmes vertes. Mais il y a eu tant de français arrivés par cet avion qu'il affiche déjà complet!
        Après bien des pourparlers, deux voitures viennent nous chercher pour nous conduire à un autre hôtel, situé à l'extérieur de la ville. Nous applaudissons à la vue d'un petit patio entouré de colonnades et à la perspective de coucher dans des lits, à deux ou trois par chambre.


    Le petit hôtel où nous avons dormi.

        Déjà David s'emploie à détailler les constellations du ciel avec le patron de l'établissement, prolongeant indéfiniment la soirée…

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        Le lendemain matin 22 décembre, surprise : le soleil, le ciel bleu ! Nous qui avions quitté Paris sous des nuages si sombres, nous n'osions imaginer pareil décor.



        Nous partons en balade vers la ville, pleine de jolies couleurs pastel : celles de ses maisonnettes d'azur et de citron accrochées aux flancs de petites collines molles et harmonieuses. Des minarets s'en élèvent nombreux, colorés eux aussi. Après nous être longuement attardés sur la place du vieux marché, toute en arcades mais où nous gelons littéralement devant les arabes couverts de lainages sous leurs burnous bien relevés, à observer les poteries, les tapis, les cuivres autant que les maigres étalages de légumes à la pesée rudimentaire, nous montons vers la mosquée de la vieille ville, où nous nous émouvons du discours fervent d'un musulman qui nous en propose la visite gratuite. Basse et sans ornement, cette mosquée nous séduit par son caractère intime évoquant nos premières églises romanes, et nous regrettons de ne pouvoir y photographier.


        Puis nous découvrons une grotte fort curieuse pour son symbolisme : on prétend qu'une jeune femme s'y serait cachée avec son enfant illégitime. Quel curieux clin d’œil à la « grotte » de Noël !... J'ai toujours assimilé l'étable de l'Evangile à une grotte, à cause de la dimension de « mystère terrestre » que  revêt à mes yeux la nuit de Noël : n'est-ce pas alors la Terre qui enfante elle-même son Sauveur, fécondée par l'Esprit Divin ? Cette cavité m'interpelle d'autant plus qu'elle affecte une forme des plus évocatrices à cet égard.
        Mais pour mes camarades, l'intérêt est plus souvent éveillé par la vision des femmes qui passent, entièrement voilées de la tête jusqu'aux pieds, avec seulement un étroit hublot devant les yeux pour repérer leur route. Si nous les photographions, nous risquons d'être gravement pris à parti ! Certains s'y essaient cependant...

     

     la visite de Ghardaïa - femme voilée

      
         À midi nous nous retrouvons pour déjeuner dans ce que Daniel appelle une « gargote », poussés autant par notre appétit que par la curiosité, et sans prendre garde à ses avertissements pressants. En fait le repas médiocre, froid et tout en acidités, arrosé d'une eau de cruchon qui éveille notre méfiance, nous revient à un prix si exorbitant qu'il allège singulièrement notre réserve en argent liquide et nous laisse fort angoissés pour l'avenir.
        Enfin à dix-neuf heures nous embarquons à la gare routière dans un bus qui doit nous conduire de nuit, via El Goléa, jusqu'à Timimoun où l'arrivée est prévue pour trois heures du matin. Il s'agit du même type de véhicule, cahotant et malodorant, que celui de la veille pour l'arrivée de l'aéroport.
        Après une journée de climat presque printanier, le froid nous ressaisit avec la nuit très noire...



     
     
     
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    Premier bivouac dans le désert



        Durant les premières heures du voyage, nous écarquillons les yeux pour reconnaître les constellations. Que d'étoiles ! Comme elles paraissent loin, et petites ! Cependant, hormis Orion, je n'en repère aucune bien précisément et bientôt, je m'abandonne à ma fatigue.
        Je fais semblant de dormir, mais j’égrène des prières afin de rester auprès des étoiles qui nous observent. J'ai la tête si pleine de la pensée de Noël que par le froid qui nous étreint et par ces ténèbres épaisses je m’abandonne à cet exercice de concentration, qui petit à petit me détend profondément et dissipe mon mal de gorge. Cela m'occupe jusqu'à El Goléa où nous pénétrons vers vingt-trois heures.
        Le car s'immobilise devant une taverne où chacun se précipite, alléché par les plats chauds proposés à un prix modique. Pour ma part je préfère me dégourdir les jambes en faisant un petit tour dans les rues. Un bon thé à la menthe suffit à me réchauffer, puis comme mes camarades je m'empresse vers la soute à bagages afin de récupérer un duvet devenu des plus nécessaires.
        Lorsque le véhicule s'ébranle de nouveau, notre petit groupe fait tache, frileusement emmitouflé et à demi affalé, parmi les musulmans imperturbablement droits dans leurs robes. J'admire leur dignité tranquille, leur pauvreté aussi, tous identiques qu'ils sont dans leurs cotonnades blanches et leurs manteaux bruns à capuches. Ils ont maintenant enveloppé leur tête dans de grands chèches blancs qui leur protègent visage et cou comme d'épais cache-nez.
        En pleine nuit le car s'arrête, au cœur du désert semble-t-il : comme issu de la bise et du noir d'encre, un individu hagard surgit, harnaché de la même manière, de blanc et de brun... Nous grelottons sous nos duvets, et je me crois dans les steppes de l'Asie Centrale.
        Enfin des lumières apparaissent : Timimoun ! C'est le but de notre voyage. A trois heures du matin, nous nous apprêtons à affronter vaillamment le froid et la nuit pour partir à l'aventure. Chacun récupère son sac dans le compartiment à bagages, et nous voilà partis d'un bon pas, à la lueur des réverbères qui éclairent les parois rouges d'une architecture saharienne agrémentée d'abondants palmiers. Nous quittons le centre ville et les lumières se font plus rares, pour parvenir à l'hôtel. Mais il n'en est pas question à une heure si tardive ! Nous tentons donc de nous réfugier au camping La Palmeraie, mais il demeure lui aussi désespérément fermé... Nous empruntons alors une voie sableuse, à l'aveuglette derrière Daniel toujours rassurant et très connaisseur. Armés de nos lampes électriques, nous commençons à descendre vers la grande forêt des palmiers ; un peu plus bas, affirme-t-il, nous pourrons pour cette nuit planter nos tentes au pied d'un muret d'argile.
        Nous peinons à maintenir nos piquets, tant le sable fin et glacial est meuble sous nos marteaux. Je m'effraie : ne sommes-nous pas installés en pleine route ? On ne discerne rien dans l'obscurité.


    Descente vers la Palmeraie de Timimoun

        Enfin couchée, je ne tarde pas à regretter d'avoir oublié un tapis isolant, car je sens peu à peu la fraîcheur monter du sol et traverser le sol plastifié de ma tente, puis les épaisseurs pourtant moelleuses de mon duvet militaire… Bientôt je dois me rendre à l'évidence : recroquevillée sur moi-même pour tenter de conserver ma chaleur interne, et les pieds gelés à cause de l'entrebâillement de l'entrée, je vois bien que je ne pourrai pas dormir. On ne s'endort pas ainsi à quatre heures du matin après des heures de voyage glacial !
        ...Peut-être me suis-je cependant assoupie quelque temps ? Soudain surgissent des lointains de mon demi-sommeil des voix mugissantes qui semblent issues des profondeurs d'une jungle. Je m'éveille épouvantée. Qu'est-ce que cette fête trépidante ? Ces millions de sons graves aux rythmes inouïs ? Je commence à trembler... De toutes parts jaillissent des accents sauvages, des échos bondissants de voix mâles et profondes, toutes proches. Pourquoi mes camarades ne remuent-ils pas alentour ? N'y a-t-il personne autour de nos tentes ?
        Peu à peu la lumière se fait en mon esprit. Cette monstrueuse rumeur est due tout simplement à la répercussion dans les échos nocturnes de l'appel à la prière émis par le muezzin du sommet des minarets de la ville érigée sur la colline. Les accents modulés du Coran passés dans ce filtre grossissant se sont abattus sur mon assoupissement commençant avec une soudaineté effrayante, peu avant l'aube. Je fais donc la sourde oreille, trop épuisée pour répondre à l'injonction qui de fait, ne semble toucher aucun de mes compagnons...


    Le muret qui entoure la palmeraie de Timimoun ; au fond, le paysage des dunes
    (grand erg occidental)
     
     
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          D'abord voici une carte, pour que chacun se repère dans notre périple.
     

     
     
     

       
      Nous sommes donc partis de Ghardaïa, qui possède un aéroport, vers le sud via El Goléa, jusqu'à Timimoun, sous le grand erg occidental (entouré).
         À Ghardaïa nous étions en pays arabe, avec une majorité de personnes de type blanc, habitant de jolies maisons blanches. A Timimoun, nous avons trouvé une importante population noire, tandis que le sol et le paysage en général devenaient rouges. Les dunes de l'erg occidental luisaient roses comme au Maroc celles de Merzouga - mais elles n'en avaient pas la hauteur ! Nous y avons cheminé à pied pour atteindre un curieux village planté dans les sables... Mais je vous en parlerai en temps voulu.
     
     
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        Quelques heures après je m'éveille enfin au grand jour, partiellement réchauffée. C'est l'exclamation de David, à l'extérieur, qui en est la cause :
        - Venez voir comme c'est beau !... Oh ! Le bel oiseau !
        Il est neuf heures du matin, en ce 23 décembre.
        Je m'extirpe de ma tente. Et c'est la stupeur, l'émerveillement !
        Un ciel bleu des tropiques, un soleil éclatant ; du sable rouge sous nos pieds, et rose à l'horizon des dunes ; et partout, des palmiers, des palmiers...
    Derrière nous, le muret d'argile rouge et ensuite, les petits jardins de sable mouillé où une herbe vert foncé croît activement sous les palmiers dattiers.
        On se prépare à déjeuner. Vive le guide qui a tout prévu ! Il nous rapporte déjà de la ville des pains fins et complets (au goût acide, comme tout dans ce pays) avec de l'eau et de la confiture. On fait chauffer cette eau sur le camping-gaz et on obtient bientôt du thé que l'on sucre au lait concentré. Vite, chacun tend son bol ! Je m'affaire à photographier, me promenant dans la palmeraie.
     


       

        Nous croisons de jeunes noirs qui s'enhardissent à demander des cigarettes, des ânes chargés avec leurs maîtres. Déjà la peau commence à griller, à rougir au soleil. Des enfants sortis de l'école paradoxalement vers dix heures nous expliquent le système des deux groupes scolaires par demi-journée destinés à pallier au manque d'instituteurs et ajoutent, en se plantant définitivement à nous observer :

        - Mais les vacances commencent aujourd'hui !
        Notre guide annonce qu'il a pris contact avec la personne qui nous prend en charge à Timimoun, et que si tout va bien nous embarquons pour la sebkha juste après le déjeuner. Je ne comprends pas grand chose à ses projets, mais apprends qu'il faut se hâter de démonter la tente et de repartir le sac sur le dos vers la ville.




     
       Vers treize heures, nous arrivons à la gargote qui sert de point de ralliement. On peut y commander une assiette de couscous pour une somme modique : c'est ce que nous faisons. Nous remplissons nos gourdes d'eau et y pulvérisons des pastilles de chlore. En guise de lieux d'aisance, nous découvrons avec inquiétude un recoin de façade donnant directement sur la rue et apparemment ouvert à tout venant, devant lequel stationnent des enfants amusés qui nous réclament des dinars. Enfin nous nous installons sur le rebord élevé d'un trottoir pour attendre les voitures sahariennes sensées venir nous chercher.
        L'une d'entre nous remplit des cartes postales. Les gamins s'amassent autour d'elle pour lui réclamer des stylos. Malgré les recommandations de notre guide nous n'avons pas du tout songé à nous en munir, et c'est à grand peine que nous le leur faisons comprendre. Un autre part à la poste. Je le suis. Bientôt de retour, nous cherchons des coins d'ombre pour échapper tant aux ardeurs des gosses qu'à celles du soleil. Cela commence à devenir inquiétant : quinze heures, et toujours pas de nouvelles de notre rendez-vous de treize heures !
        Notre guide ne sait plus que penser, et nous sentons que le jour va bientôt basculer vers le soir. Plusieurs d'entre nous déplorent d'avoir manqué l'occasion de visiter la ville... Nos vacances paraissent compromises. Enfin une voiture vient chercher Daniel, mais lui seul. Il s'embarque avec des inconnus. Anxieux, nous attendons son retour.



     
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