• Se mettre en scène

     

              Pourquoi ce besoin irrépressible et constant de se mettre en scène, de se raconter ? 

    «  Il m'est arrivé ci » ; « il m'est arrivé ça... »  

    «    Je pense ci » ; « je pense ça... »

         Notez que j'admire les gens qui vous abordent systématiquement en vous demandant de vos nouvelles et qui parviennent, de questions en questions, à vous laisser la parole constamment et à ne jamais parler d'eux ! Mais ce sont également des personnes dont je me méfie car j'ai parfois l'impression de subir un interrogatoire  et d'avoir affaire à des cachottiers. 

                Une bonne relation est faite d'échanges simples où chacun évoque sa propre vie à son tour. Dans le meilleur des cas on compare ce qui est arrivé à l'un avec ce qui est arrivé à l'autre et les deux sont réconfortés par cet échange. Disons que cela est même essentiel, les impressions et émotions perçues par l'un se mélangeant à celles perçues par l'autre de manière à former une "sauce" commune qui adoucit l'ensemble pour chacun et le rend plus "digeste".

              Et là on voit bien que "l'un" et "l'autre" sont en fait des "semblables" pour lesquels se mélanger est primordial, afin de revenir à ce "corps unique" que nous formons peut-être... 

             Mais je me suis éloignée de mon premier propos et des questions que je me posais.


    Vagues (image du net)

     

         Depuis environ un mois j'ai vécu des expériences fortes, impressionnantes, bouleversantes, voire choquantes. 

            À chaque fois j'ai pu constater leur aspect fugitif. Les images, les sensations qui se sont imposées parfois avec rapidité, avec vigueur, disparaissent, laissant une marque puissante sur le psychisme - sous forme de souvenirs, mémoires... jusqu'à parfois couper le sommeil, ou encore briser les membres. Mais ce qui reste n'est plus ce qui a surgi ; ce qui reste, à part de possibles douleurs, est du domaine mental.

            Le raconter m'est alors indispensable ; il me paraît impossible de ne pas raconter tout cela sur le mode de « cela m'est arrivé ! », comme si la verbalisation seule permettait au vécu de se diluer peu à peu... Il est vrai que l'on insiste toujours sur la nécessité d'ouvrir des espaces de parole aux personnes traumatisées et là, même si ma situation était loin du traumatisme, je me reconnaissais ce besoin.

              Quand le choc des événements est passé, que reste-t-il ? me disais-je. 

               - Une impression de force, de puissance. 

           Si je dénoue les différentes émotions, certaines subsistent sous l'effet de la mémoire : la peur face au vide incommensurable, l'extase devant la beauté... D'autres surgissent après coup : la déception face à l'échec, la dévalorisation de soi... qui ne sont que jugements.

               Et si je hiérarchise tout cela, je constate :

      -  qu'à la base il y a les perceptions, totalement fugitives ;

      - puis les sensations, émotions et jugements, qui se maintiennent quelque temps et que l'on peut "diluer" en les exprimant et en échangeant avec des "semblables";

      -  et enfin l'impression profonde de force, de puissance et même de beauté, qui nous dépasse et demeure davantage.

          Cette hiérarchisation me rappelle un peu la théorie platonicienne de "Idées", encore que je ne l'aie pas étudiée de très près - mais du moins dans ce que j'en ai retenu : qu'au sommet il y a certaines Idées-forces qui dominent toutes les autres.

             
                Maintenant je puis donc poser ces deux questions principales :

        1)  Qui se met en scène ? Qui est la victime ou le héros des aventures relatées ?

        et 

       2) Qui voit tout cela ? Qui demeure au bout du compte pour constater ces Idées-forces qui dominent les autres ?

      
             Il est évident que celui qui raconte son histoire est le même que celui qui l'écoute : dans le domaine de l'échange, le "je" parle à un autre "je", qui comprend parce qu'il est fait de la même chair, de la même structure psychique et mentale, et donc entre en "sympathie", peut ressentir par l'imagination ce qui lui est exposé. On est donc dans une sorte de film projeté par l'un, qui le tire de sa mémoire, et visionné par l'autre...

            De mémoire à imagination, on est en plein rêve, en pleine illusion ! Et c'est là tout le magma de notre nature psychique ; qui pourtant est d'une grande beauté puisqu'il nous permet de perpétuer, dans la communion, ce que la Vie a produit. 


         ... Et cela est vu, vu comme tout le reste : les faits ; les effets ; les échanges ; la Force ; la Beauté ; tout cela est vu.

             Mais par Qui ?

             D'où sont sorties ces sensations, ces perceptions, ces personnes qui se racontent et qui échangent, qui arrivent juste au bon moment, ce baume qui réconforte juste quand il faut, cette splendeur qui se déploie soudain, cette douceur qui s'étend bientôt ?... 

              Je sais, je ne dois pas réciter ce que j'ai lu dans les livres. Ça ne marche pas comme ça.  C'est pourquoi je préfère souvent recopier ce qu'ils disent, ceux dont le "moi" s'est totalement dilué - et dont on pense qu'ils ont "bien de la chance" !

             Mais pourquoi auraient-ils de la chance ? Pourquoi n'en veut-on plus, de ce "moi" qui se met constamment en scène ?

               C'est bien simple, c'est parce qu'il nous trompe ; il n'est qu'un sous-produit de souvenirs amalgamés à des jugements ; il est comme un pantin de bois, il n'existe pas vraiment et si nous lui restons identifiés nous sommes certains de disparaître avec lui quand l'heure sera venue.

                 Cependant il est bien petit, celui qui "se raconte"... Il ressemble à ces moineaux qui pépient quand le soir descend. S'il est si petit et si faible, pourquoi ne pas suivre le conseil que me donnait un jour une certaine Rose : ne le rejetons pas ! Après tout, que peut un moineau ? Laissons-le pépier...

     

                      Alors que reste-t-il donc ? 

              Il reste ce merveilleux spectacle-total, cette fabuleuse projection infinie de couleurs, d'odeurs, de sons, de sensations toujours familières, cette grandiose création d'amour qui se déploie en permanence comme un kaléidoscope tantôt fulgurant tantôt paisible... Ce prodigieux scintillement de la Vie qui s'offre comme un vêtement radieux, un cocon de tendresse, une nourriture généreuse, un présent promis, le flamboiement du cœur, le simple don de Soi à Soi... !

               Tout me ressemble ; tout me répond ; tout dessine des histoires qui se rejoignent ; et d'histoire en histoire se construit le puzzle immense de la Joie, de la Complicité, du Secours, du Courage. 


     

    Le Mat (image du net)

     

    « ÉveilStop »

  • Commentaires

    1
    Mardi 26 Septembre 2017 à 06:11

    Léonard de Vinci aurait écrit :

    L'expérience prouve que celui qui n'a jamais confiance en personne ne sera jamais déçu.

    De tous les  temps les écrivains ont décrit plus ou moins avec réussite leur façon de vivre , mais le lecteur a aussi le dernier mot sur l'appréciation surtout sur les personnes qui ont un savoir faire pour détourner le sens de l'évidence 

    C'est tout un art de lire , écrire et surtout écouter et déceler  du pourquoi ce besoin éternel qu'ont certaines personnes pour tirer les vers du nez , de tirer les couvertures vers elles , moi, la lecture c'est un plus mais la décortication est une prudente nécessite qui me tient en éveil :)

    Mon père me disait toujours 

    Il vaut mieux un tien que deux tu l'auras ..........

    _DSC0580

    Que ta journée soit riche 

    Bises 

     

    2
    Mardi 26 Septembre 2017 à 10:07

    J'aime ta sagesse, Rose, car elle est nourrie des paroles de ceux que tu aimes et respectes le plus.

    3
    Mardi 26 Septembre 2017 à 11:24

    Bonjour Aloysia, Je pense que le partage de nos impressions ou émotions dans l'amitié est important, mais quelquefois je me dis que cela manque d'humilité que de parler trop de soi.Il faut que ce soit dans une limite raisonnable ! Enfin je dois dire que j'ai plaisir à lire ce que tu m'écris et je pense qu'il en est de même pour toi. Gros bisous, ne nous compliquons pas le cerveau, la vie est belle ainsi !

      • Mardi 26 Septembre 2017 à 16:36

        C'est ce que je dis, c'est tellement agréable d'échanger nos petites aventures ! Sinon, quelles relations aurions-nous ? Or pour l'humanité être en relation est primordial. La seule humilité requise est celle de respecter l'autre et de ne pas le juger... Et pour cela tu es plus que parfaite !! smile

    4
    Mardi 26 Septembre 2017 à 14:18

    Bonjour Aloysia

    Je commence par me mettre en scène et répond à ton commentaire sur mes échasses blanches. Tout écrit fait à trois sur la même photo ... Pas de consigne, juste regarder et écrire sur la même photo. 

    Ceci dit je reviens à toi. Ton texte pour mes pauvres yeux étant trop long j'y reviens à plusieurs fois. Et voilà j'ai encore parlé de moi. 

    Je vais m'aérer l'esprit et reviendrais te voir.

    Bien sûr beaucoup d'humour dans mon commentaire ...

    Bel après-midi

    Bisous

      • Mardi 26 Septembre 2017 à 16:38

        Pauvre Océanique, si tu as mal aux yeux ! Ne lis pas. Tu sais, pour les échasses, j'avais compris car je suis allée lire les deux Alain ! Et j'ai passé un bon moment !  Bisous, garde tes yeux pour les belles photos que tu nous offres.

    5
    Mardi 26 Septembre 2017 à 15:08
    Daniel

    Certains "Moi" sont affamés. Alors ils ont besoin de nourriture pour exister. S'ils savaient qu'ils ne se nourrissent que d'illusions !!

      • Mardi 26 Septembre 2017 à 16:39

        Daniel, un "moi" affamé ne peut être affamé que d'amour. L'amour n'est jamais une illusion, le tout est de le trouver.

      • Mercredi 27 Septembre 2017 à 16:25
        Daniel

        Il  y a des "Moi" affamés de pouvoir sans une once d'amour.

    6
    Mardi 26 Septembre 2017 à 19:08

    Ta réflexion m'a beaucoup intéressée.

    Je ne vois pas tout à fait les choses de la même façon (et c'est normal, car j'adore les récits). Pour moi l'humanité est née pour la fiction, et ce que nous vivons n'atteint sa "vérité" (toujours mensongère, mais c'est là son charme) qu'une fois que nous avons pu le "raconter". D'où ce besoin de se raconter, de raconter... et je trouve cela passionnant, toujours, même si selon moi seule la littérature pervient vraiment accomplir cette transmutation du réel en son image fictive.

      • Mardi 26 Septembre 2017 à 19:30

        En effet, ta position est belle et je la reconnais pour l'avoir déjà lue dans un de tes articles ou commentaires. Effectivement, c'est souvent la vocation des écrivains, que de donner une pérennité et une visibilité aux vies des inconnus. En tant que créateur, tu es dans la logique de la création et fais exister la Vie. C'est nécessaire aussi et d'une grande beauté ! De toutes façons,la position de l'artiste est la dernière étape avant celle du sage renonçant. L'artiste est celui qui a déjà pris suffisamment de recul pour renoncer à sa propre vie et considérer que tout ici-bas est création - voire "sa" création - et pour en apprécier pleinement la beauté, la grandeur, les tenants et aboutissants... Les artistes ont souvent de grandes intuitions et sont très proches du Divin.

        De plus tu fais partie de ceux qui aiment "l'échange", primordial au niveau "humain".

    7
    Mercredi 27 Septembre 2017 à 06:31

    J'avais lu il y a des années un livre de Gorfmann : La mise en scène de la vie quotidienne.

    Bonne journée.

      • Mercredi 27 Septembre 2017 à 09:57

        Ah oui ? Il y a des livres sur tout... sarcastic

    8
    Mercredi 27 Septembre 2017 à 19:01

    Quelle magnifique illustration !

    Se mettre en scène, pour échanger ses idées, ses émotions... Un vrai dialogue s'instaure...

    Hélas, il m'arrive de côtoyer des personnes qui me mettent mal à l'aise, qui me questionnent sans en avoir l'air ou qui ne parlent que d'elles sans écouter l'autre et c'est très déconcertant...

    Bises Aloysia

      • Mercredi 27 Septembre 2017 à 21:01

        C'est vrai, cela arrive aussi et c'est pénible. Bises, Kimcat.

    9
    Jeudi 28 Septembre 2017 à 10:08

    Merci Aloysia d'avoir été voir le blog de Roger et de lui avoir mis un si beau commentaire qu'il a apprécié 

    Je t'embrasse

      • Jeudi 28 Septembre 2017 à 14:44

        Je suis heureuse que cela lui ait fait du bien. Il le mérite, et je te remercie doublement, et de m'y avoir conduite, et de m'avertir de sa réaction. Tu me donneras de ses nouvelles quand tu en auras ? Bisous.

    10
    Jeudi 28 Septembre 2017 à 21:53
    durgalola

    je renonce à tout savoir avant ma mort, ma fin. Et si la mise en scène de notre être est là, cela est, et si l'échec fait pleurer non pas de rage, mais de peine, d'affliction, cela est, si le traumatisme chamboule, cela est.

    Les petits moineaux sautent sur leurs fines pattes, pépiant, hardiment, et vllllll en groupe, changent de branches, puis d'arbres. Si les petits moineaux meurent un jour fauchés dans leur recherche d'une friandise ou d'une compagne, je crois bien que je les rejoindrai et m'envolerai aussi. 

    avec tous mes frères les hommes.

    Bises 

      • Vendredi 29 Septembre 2017 à 09:29

        Merci, Durgalola, de ta lecture attentive et de ta réponse si riche et si sage. Ton message me touche profondément. Il est évident qu'au niveau du "moi" il n'y a pas à se hausser, mais juste à s'abandonner. Et tous les "moi", comme les moi-neaux, sont frères. 

    11
    Jeudi 28 Septembre 2017 à 21:53
    durgalola

    j'aime beaucoup l'illustration. 

      • Vendredi 29 Septembre 2017 à 09:31

        C'est une de ces trouvailles que j'enregistre aussitôt !

    12
    Mercredi 4 Octobre 2017 à 17:06

    Il y a quand même des strates de communication qui ne sont pas des idées inventées.

    Entre le besoin de se raconter et le désir de partager les sentiments profonds. Il y a plusieurs couches de communication à autrui qui supposent une  adéquation avec soi-même, et donc une certaine clarté.

      • Mercredi 4 Octobre 2017 à 18:14

        Tu as raison, et le partage est si important... Nos blogs en sont la preuve.



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