• Saisir, lâcher... suite.


           J'écrivais il y a quelque temps : "saisir, lâcher..." .

          Ceci est le rythme de la vie ; le rythme de la respiration.

         Mais c'est aussi le rythme de l'ego, celui qui nous permet de nous reconnaître dans le monde qui nous environne en tant que sujet, identifiant chaque chose en tant qu'objet, et qui ce faisant fractionne inexorablement la nature comme autant de produits définis. Celui qui nous pousse par exemple à photographier les images que nous percevons afin de les perpétuer, nous imaginant que leur beauté doit être conservée sous peine de se perdre - ou partagée, sans quoi nous serions orphelins dans l'extase.

            Ce matin j'ai voulu prendre des photos pour illustrer ce que j'avais à vous dire. Mais figurez-vous : tout changeait sans cesse. Comment partager quoi que ce soit ? Rien ne pouvait être saisi dans ce mouvement perpétuel !

          Enfin, j'ai essayé. Je me suis arrêtée, j'ai photographié ce que je voyais... Eh bien quand je regarde le résultat, rien ne ressemble à ce que j'ai vu. Il n'y a plus rien dans cette photo, elle est VIDE ! Elle ressemble à un "œuf clair" : sans son germe, sans la vie qui l'animait. Un cadavre, quoi...

          Pourtant, me direz-vous, quand on regarde des photos on dit souvent : "C'est beau !" Oui, mais pourquoi ? N'est-ce pas parce que l'on RECRÉE au moyen de l'imagination ce qui a été perdu ?

         Il n'y a rien à saisir, rien à lâcher. Tout est présent, vivant, mouvement et être. Tout est ensemble et devenir, et même la respiration, qui devient imperceptible, inconsciente, sensation unique diffusée à l'infini dans les cimes des arbres, perpétuée dans la lumière des branchages, nourriture emplissant le cœur à déborder.

     

    Forêt-30oct


           Voici l'image "prise" et "vidée" de son sens.

           Car elle parlait, cette image ! Elle disait :

    « Ceci est mon Corps, livré pour vous... Prenez et respirez-en tous ! Nourrissez-vous-en jusqu'à l'ivresse... ! »

           Elle se transmuait et se transformait comme l'éolienne qui tourne, sans effort, sans déplacement aucun, dans la Beauté et l'Harmonie.

             Elle chantait aussi, cette image ! Elle chantait de gazouillis et de bruissements... Sur la campagne, les grues tournaient au loin en bande criarde. D'autres marchaient paisiblement sur la terre retournée parmi les quelques chevreuils occupés à brouter. Elle était odorante, elle glissait sur ma peau comme une présence intime et permanente, toujours renouvelée et jamais perdue... Elle était mouvance comme les vagues éternellement glissantes de la houle, où le fauve des arbres se transformait bientôt en un toit de ferme familier, devant lequel roulaient quelques autos.

            Comment enfermer ça dans une photo ? Ou même dans un texte ? Que saisir ? Que lâcher ?

           "Saisir l'instant" comme l'on dit, c'est prélever un fragment de vie d'un ensemble fabuleux ; c'est donc une aberration. C'est sans doute pourquoi Goethe en fait le principe qui livrera Faust à l'enfer : lorsque, poussé en avant par un désir toujours plus effréné de joies terrestres, il criera à l'instant « Arrête-toi ! Tu es trop beau ! », alors il connaîtra la mort éternelle. Or nous savons que le Malin est l'autre nom de l'ego - ou "diable", diabolos : celui qui divise en parties, en morceaux séparés... En effet, comment "saisir" ce qui nous contient ? Ce dont nous ne sommes en réalité qu'un élément infime ?  

         Aujourd'hui, veille de Toussaint, parler de mort s'impose. Pourtant tout resplendit. Ce n'est pas une raison pour prétendre comme certains que le temps est "printanier" ! Quand les feuilles d'or tombent en abondance et que le rouge du couchant colore d'écarlate  les orées vieillissantes. 

           Cependant nous pouvons souligner cette idée d'abandon... Tout ce qui a été vu est passé ; tout ce qui est passé disparaît ; inutile de retenir quoi que ce soit. Ce que l'on cherche à agripper s'effrite dans nos doigts comme la toile d'araignée, le sable du chemin, l'ossement desséché, la feuille morte. 

          Mais alors, resplendit ce qui Est ! Bientôt Il paraîtra dans la grotte secrète du Cœur, l’Enfant-miracle, l’Enfant-lumière… ! Qui a toujours été là, mais n’était pas perçu par nos yeux obscurcis.

      

    Coeur

     

     

            

    « ÉveilLe Son »

  • Commentaires

    1
    Lundi 31 Octobre 2016 à 13:23

    Bonjour Aloysia,

    Les photos reflètent UN instant et c'est justement cet instant qu'on a envie de garder en souvenir, même si après tout a changé.On sait bien ce qu'est l'impermanence et on le comprend encore mieux quand on voit les feuilles tomber à l'automne. Bonne journée et bises

      • Lundi 31 Octobre 2016 à 15:23

        Oui les photos sont comme un papillon épinglé dans une boîte, ou un animal naturalisé sur une cheminée.

    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    2
    Lundi 31 Octobre 2016 à 19:03
    durgalola

    je suis épatée par ton savoir (et surtout sa mémorisation) ! pourquoi vouloir saisir l'instant et le mettre en boite ... question que je me pose aussi ! peut être pour être toujours à l'écoute de ce qui advient devant moi... peut être ! Le curé d'Ars appelait le mal, qu'il appelait le grappin ... je le sens quelquefois .. Bonne fête à tous les saints demain. Bises

      • Lundi 31 Octobre 2016 à 19:11

        Mon savoir et ma mémorisation ? tu veux parler de la réplique de Faust ? Tu sais il y a des choses que l'on m'a inculquées dans ma jeunesse et qui m'ont toujours trotté dans la tête... et dont parfois aujourd'hui je trouve l'explication. Bonne fête à toi aussi demain...

    3
    Lundi 31 Octobre 2016 à 19:04
    durgalola

    à la fin, je voulais simplement dire que le curé d'Ars appelait le mal : "le grappin" .. (quand on tape sur l'ordi, on n'est pas toujours assez attentif). Bises 

      • Lundi 31 Octobre 2016 à 19:12

        J'avais bien compris : tu vois toi aussi tu connais des choses que je ne connais pas.

    4
    gazou
    Lundi 31 Octobre 2016 à 19:24

    Les photos permettent de raviver les souvenirs...bien sûr, la vie est changement perpétuel...mais il est bon aussi de se souvenir, cela n'empêche pas de vivre le présent...Bonne soirée Aloysia !

      • Lundi 31 Octobre 2016 à 20:10

        Oui, on aime tous les photos... sarcastic Certaines aussi suggèrent des mondes que l'on rêve de connaître sans le pouvoir... Mais une photo est un prétexte ; on sait bien qu'elle représente peu de réalité.

    5
    Mardi 1er Novembre 2016 à 11:40
    Daniel

    Les photos n'arrivent pas à capter la vibration vivante de la nature. La photo fige mais ne vit pas ! Mais ta photo est belle !

      • Mardi 1er Novembre 2016 à 13:07

        Merci Daniel ! Bonne journée au soleil !

    6
    Mercredi 2 Novembre 2016 à 19:10

    Bien raisonné Aloysia

    Saisissons l'instant présent et imprimons-le dans notre esprit...

    Bises et belle soirée

    Béa kimcat



    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :