• Que suivons-nous ?


              La poésie possède cette faculté inouïe de mettre au jour ce que l'on ignore de soi.  Lorsqu'on écrit, c'est une autre voix qui s'exprime à travers nous... Un poème devient donc, au même titre qu'un rêve, le reflet de l'inconscient : il nous parle. 
     

        C'est ainsi que les plus grands poètes sont porteurs de messages sublimes, qui touchent notre cœur profond et nous portent à méditer.  

            Lorsqu'ils y ajoutent le don de ciseler les mots comme diamants, alors s'y plonger devient pure contemplation. Paul Valéry est de ceux-ci, dans cette Jeune Parque qui s'éveille...

           Mais s'éveille de où ? Pourquoi ?

     

    « Tout-puissants étrangers, inévitables astres
    Qui daignez faire luire au lointain temporel
    Je ne sais quoi de pur et de surnaturel ;
    Vous qui dans les mortels plongez jusques aux larmes
    Ces souverains éclats, ces invincibles armes,
    Et les élancements de votre éternité,
    Je suis seule avec vous, tremblante, ayant quitté
    Ma couche ; et sur l’écueil mordu par la merveille,
    J’interroge mon cœur quelle douleur l’éveille,
    Quel crime par moi-même ou sur moi consommé ?...
    (...)
    J’y suivais un serpent qui venait de me mordre. »

    Paul Valéry, La Jeune Parque (extrait)

     

        Inutile d'en écrire davantage, tout est là... Mordue par le serpent du doute, elle s'éveille en parlant à la première personne, et découvre l'univers superbement étranger dans lequel elle se sent comme une anomalie.

        Alors elle le suit : elle suit cet éclair de lumière devant ses pas. Ce n'est plus un petit Poisson d'Or, non, il a disparu au fond du lac ; ce n'est pas non plus Hadès qui l'entraîne vers son royaume, pour faire d'elle Perséphone l'hiver et Koré au printemps - non : elle ne veut plus d'une face sombre et d'une face claire, d'un ici et d'un là-bas.

         Que d'aventuriers ont suivi le cerf enchanté, la biche blanche ! Que de poètes ont poursuivi l'oiseau prophète !

          Que suivons-nous ? Une pensée qui, telle une flèche, a traversé notre esprit ? Ou une idée qui s'est matérialisée devant nous, à notre insu, sous la forme d'un livre ou d'une personne que soudain nous lisons ou écoutons avec avidité ?

           Dans l'obscurité du monde qui nous entoure, elle brille soudain cette idée, elle brille de mille feux et nous la suivons, telle un feu follet, telle un reflet dans l'eau, qui miroite un moment à nos yeux avant de s'évanouir.

           Nous disons tous : "Il faut être libre ! Nous sommes libres, libres ! Libres d'être qui nous voulons et de faire ce que nous voulons !" Mais qu'est-ce que la liberté, sinon le sentiment de suivre l'idée que l'on veut ?

            Et cette idée, d'où vient-elle ? Où s'arrête-t-elle ?

            Elle se limite à un choix. Et d'où vient ce choix ?

          Il est dicté par notre caractère, notre éducation, les circonstances du moment et notre humeur du moment.

           Mais d'où viennent notre caractère, notre éducation, notre humeur du moment, les circonstances du moment ? Les avons-nous choisis ? Et qui les a choisis pour nous ?

          Ainsi, où est notre liberté ? N'est-ce pas juste une impression ? N'éprouvons-nous pas une sensation de liberté parce que nous fonctionnons parfaitement en tant que robots ? Programmés par notre caractère et les circonstances qui marquent notre vie nous répondons mécaniquement et prétendons être libres. En fait nous suivons nos émotions, nos désirs, nos principes ; et quoique programmés pour être le plus heureux possible nous n'y parvenons pas toujours, car parfois le choix nous échappe, ou d'autres fois nos impulsions nous mènent à l'opposé de ce qu'il faudrait.

           En effet, l'univers qui nous environne est comme un corps gigantesque et vivant dont nous ne formons qu'une infime parcelle, et dans cette vie gigantesque nous n'avons en réalité aucune initiative ; notre seul privilège est d'être conscients... Privilège extraordinaire qui n'a été donné qu'à l'être humain et que l'on retrouve au chapitre 2 de la Genèse lorsque Dieu place l'homme au cœur d'un Jardin, jardin qui fonctionne seul et qu'il n'a même pas à cultiver.

          Être conscient, c'est contempler ce Flux qui nous dépasse en sachant que nous n'avons rien à en dire, rien à y faire car tout se décide pour nous, et s'incliner devant ce qui advient. C'est reconnaître notre ignorance, notre impuissance, notre insignifiance... et le fait que nous ne sommes pas les maîtres, bien sûr, mais les enfants sans doute.

        Consciences immatures en devenir, mûrissant sur l'arbre du monde comme le fruit qui attend l'automne ; qui attend patiemment sa chute et son épanouissement.

     

    Tarot Zen - La Plénitude

       

    NB : les réflexions ci-dessus sont strictement personnelles et n'ont aucun lien avec le sens du magnifique poème de Valéry. Elles sont juste inspirées des quelques vers cités.

      

     

    « Sortir de l'IllusionRentrée »

  • Commentaires

    1
    Lundi 29 Août 2016 à 12:37

    j'aime bien tes réflexions Aloysia.

    Le Don mais d'où vient-il donc?

    L'inné et l'acquis mais qu'est-ce donc?

    Si don il y a, remercions et apprécions et rappelons-nous que donner c'est donner et reprendre c'est voler

    le don serait donc un acquis "à vie", le donneur jamais ne le reprendra,  alors entretenons le bien!

      • Lundi 29 Août 2016 à 16:05

        Tout à fait d'accord avec toi Jamadrou ; mais je comprends mal la fin de ton raisonnement : "reprendre c'est voler". Qui reprendrait à qui ? "le don serait un acquis à vie" : mais qui prétend avoir acquis quoi ?? On peut perdre ce qui nous a été donné... On peut perdre ses jambes, devenir sourd lorsque l'on est musicien comme Beethoven, perdre totalement son inspiration... Parfois "Dieu" se retire, les saints parlent de grands déserts. Quel orgueil que de s'imaginer posséder qqchose alors que nous ne sommes que des outils momentanés dans les mains du Créateur !

      • Lundi 29 Août 2016 à 16:39

        Et Aloysia tu as tout à fait raison je suis une orgueilleuse qui croit pouvoir jouir de toutes ses facultés "à vie"

        il faut que je comprenne enfin "que je ne suis qu'un outil momentané entre les mains du Créateur."

        Mais me dira-t-il ce qu'il attend de moi, avant que je connaisse le grand désert?

      • Lundi 29 Août 2016 à 18:13

        Jamadrou, je n'ai pas dit que tu étais une orgueilleuse, j'ai dit que "je ne comprenais pas" la suite de ton raisonnement... Mais les déserts nous tombent dessus sans que nous y puissions quoi que ce soit, sans qu'aucune raison puisse s'y associer. Depuis, j'ai réfléchi  et mieux compris ton propos : tu parles de "cultiver les dons" qui nous ont été faits, et combien tu as raison ! Voltaire le disait dans sa conclusion à Candide : "Il faut cultiver notre jardin". Oui les arbres ne sont pas de notre fait, mais leur entretien, oui.
        Bien sûr qu'Il te dit ce qu'Il attend de toi, sinon tu ne ferais pas tout ce que tu fais : toutes ces beautés que tu crées, toute cette joie que tu répands autour de toi, tous ces soins que tu apportes à ton entourage, tout cela Il te l'a demandé puisque tu l'as fait. Et je pense qu'Il en est content et que pour toi il n'est pas question de désert...

    2
    Lundi 29 Août 2016 à 15:00

    Coucou Aloysia,

    Dans l'ignorance totale, on s'accroche à ce que l'on peut,à ce qui passe près de nous, quelquefois c'est dans notre bien, d'autres fois on s'égare. Qu'y pouvons-nous ? Est-ce que nous savons distinguer le bien du mal, oui on en a l'impression mais rien n'est acquis et le fruit de l'expérience aide un peu à mieux comprendre.

    Gros bisous, le mahjong c'est moins compliqué  que les méandres de notre cerveau !!!

      • Lundi 29 Août 2016 à 16:07

        Oui, l'expérience est le meilleur guide, lorsque l'on sait en tirer les leçons.

        Le mahjong me paraît un bon exercice en effet, quand on a passé l'âge de manier l'épée du samouraï ! money

    3
    Lundi 29 Août 2016 à 16:13

    Nous "errons" sur ce chemin de vie, en tentant de comprendre notre histoire, celle à accomplir et qui s'inscrira sur le registre des mystères merveilleux .......

    Une histoire qui nous fera traverser des paysages d'ombre et de lumière, des vents doux et coléreux, des sentiers d'herbe et de glaise, le tout serti de nos espoirs  et nos rêves invisibles ...

    Nous y apprendrons à lire dans l'air, imprégnant les bancs de nos rires et les lacs de nos chagrins ............

    La vie, la mort, la liberté, nous portons déjà tout en nous tel le peintre avec sa palette de couleurs et en offrons à l'univers à chacun de nos enchantements ...

    Je fais voler vers ton ciel un bisou châle-heureux : Sabine

      • Lundi 29 Août 2016 à 16:21

        Plus que le châle-heureux, Sabine, je suis comblée par la beauté de tes mots, par les merveilles que tu m'envoies... Tu sèmes des pierreries vivantes comme un jeune printemps, merci à toi, vraiment ! clown

    4
    Lundi 29 Août 2016 à 19:56

    Ton texte m'a rappelé le "Henri d'Ofterdingen" de Novalis. Je ne sais pas si tu as lu cela, mais sinon, je me permets de te conseiller cette lecture, qui devrait te ravir. 

    Quant à moi, je reviens lentement à la vie des blogs, après une longue -mais salutaire - interruption.

      • Lundi 29 Août 2016 à 20:03

        Aloysia, Sous les cailloux "spirale" je t'ai répondu.

         

      • Lundi 29 Août 2016 à 22:06

        Bravo Carole ! J'irai te lire de nouveau avec plaisir.

        Heinrich von Ofterdingen, oui je connais bien sûr !

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    5
    Lundi 29 Août 2016 à 21:06

    Je me souviens, en classe, du professeur qui nous demandait : "qu'a voulu dire l'auteur ? " Et je me disais : "si ça se trouve, il n'a pas voulu dire ça du tout ! " Et j'avais sans doute raison. Un poète, un écrivain écrit souvent avec son inconscient et n'a pas toujours une intention préalable.

      • Lundi 29 Août 2016 à 22:09

        Tout à fait, Dalva !... Ce que tu dis me remplit d'aise... Non seulement l'auteur n'a pas forcément eu conscience de toute la portée de son œuvre ; mais en plus il est fort possible que tu saisisses dans son œuvre des aspects non remarqués par le professeur ou les commentateurs !

    6
    gazou
    Mardi 30 Août 2016 à 14:11

    J'aime bien ce que tu dis de la poésie, elle nous révèle des choses  que nous portons en nous sans en avoir tout à fait conscience....

    Bonne journée Aloysia

      • Mardi 30 Août 2016 à 14:51

        C'est vrai, c'est le langage du cœur... Bises, Gazou.

    7
    Mardi 30 Août 2016 à 18:45
    Daniel

    Je bricole avec mes expériences et j'essaie d'avancer vers un peu plus de lumière. C'est déjà pas mal !!Je me contente de ça !

      • Mardi 30 Août 2016 à 21:24

        Tu es un sage, Daniel. smile



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