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    Immortelle Aphrodite au trône étincelant,

    Fille de Zeus ourdisseuse de ruses, je te supplie :

    Ne soumets pas mon cœur aux dégoûts et chagrins,

    Souveraine !

     

    Mais viens à moi, si jamais d'autres fois

    En percevant ma voix tu m'écoutas,

    Et quittant le palais lumineux de ton père

    Tu  m'assistas !...

     

     

    Traduction de Martine Maillard

     

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        Lorsque j'avais seize ans, nourrie de littérature classique et de poètes grecs ou latins, je produisais des alexandrins au kilomètre. Ce poème, qui est l'adaptation libre d'un texte de Catulle ("Les noces de Thétis et de Pélée"), en est le témoin.
        Il évoque, de façon quasi plastique (mais j'y ai ajouté des sentiments) la stupeur d'Ariane, fille du roi Minos de Crète, lorsque Thésée, le héros grec qu'elle a aidé à vaincre le Minotaure et qui l'a emmenée avec lui pour fuir la colère de son père, l'abandonne durant son sommeil sur l'île de Naxos où ils ont fait halte.

     

    Ariane
    Ariane abandonnée par Thésée sur le rivage de Naxos
    par Angelica Kauffmann
    Elle est seule, mais il est de tradition chez les peintres classiques
    de mettre à ses côtés des petits amours...



    Le rivage est désert. Pas un souffle de vent.
    Il est encore nuit, mais l’aurore commence,
    Et sa faible lueur vers le ciel pur s’élance.
    L’air est léger et doux ; tout est calme. Et pourtant…

    Pourtant quelqu’un est là, qui regarde la mer,
    Figé d’étonnement, égaré, immobile :
    Ariane, sans voir, fixe les eaux tranquilles,
    Le visage crispé d’un désarroi amer.

    Mais qu’a-t-elle aperçu ? Elle discerne au loin
    - Déjà bien loin, hélas ! – quelques voiles rapides
    D’une flotte qui fuit au petit jour timide,
    Et qu’entraîne à jamais la brise du matin…

    La flotte qui s’enfuit… Elle ne comprend pas ;
    Son regard ébloui poursuit comme une étoile
    L’éclat étincelant de la blancheur des voiles,
    Qui doucement se meurt… Thésée ! Oui, il s’en va ?

    Elle est là, sans un souffle, et son cœur ne bat plus,
    Tout paralysée et toute chancelante,
    Toute engourdie encor de sommeil ; et, tremblante,
    Elle ne croit pas voir ce que ses yeux ont vu.

    Elle était si heureuse, et tout était si beau !
    Elle partait là-bas, en Grèce, avec Thésée ;
    Elle l’avait sauvé, sa vie était tracée :
    Elle serait sa femme, il serait un héros !

    Hier, sur ce rivage apaisé par le soir,
    Elle avait vu la nuit tomber sur les navires,
    Couchée entre ses bras, le regardant sourire,
    Et toute confiante avec son grand espoir.

    Et ses songes avaient été si délicieux !
    Son immense bonheur l’avait émerveillée !
    Et voici qu’à présent, brusquement éveillée,
    Elle se trouve seule, avec un doute affreux.

    Elle a bondi du sol si précipitamment
    Que ses fins vêtements sont retombés à terre.
    Ses voiles détachés gisent dans la poussière ;
    Le flot sur son manteau vient mourir doucement.

    Seule sa robe encor la recouvre à moitié,
    Et ses beaux cheveux bruns, d’une grâce ingénue,
    Se sont éparpillés sur ses épaules nues
    Comme pour les cacher, pris de quelque pitié.

    La voile a disparu à l’horizon lointain.
    En même temps, l’aurore a parfait sa lumière
    Et, plus franc et plus dur, le jour violent éclaire
    Le vide de la mer, le vide du matin !

    Thésée est bien parti ! Avec lui, tout est mort !
    Tous ses espoirs sont morts, toute sa vie est morte !
    Déjà son cœur, meurtri par la douleur trop forte
    Semble se déchirer et saigner dans son corps.

    Elle crie, elle tend en avant ses deux mains,
    Elle appelle au secours, elle appelle, angoissée,
    Elle pleure et gémit le cher nom de Thésée.
    Et l’écho retentit de ses appels trop vains.

    Adaptation en vers de Martine Maillard
     
    Voici le texte original de Catulle et sa traduction approximative :

    « Namque fluentisono prospectans litore Diae
    Thesea cedentem celeri cum classe tuetur
    Indomitos in corde gerens Ariadna furores,
    Necdum etiam sese quae visit videre credit,
    Utpote fallaci quae tum primum excita somno
    Desertam in sola miseram se cernat arena.
    Immemor at juvenis fugiens pellit vada remis,
    Irrita ventosae linquens promissa procellae.
    Quem procul ex alga maestis Minois ocellis,
    Saxea ut effigies bacchantis, prospicit,eheu !
    Prospicit et magnis curarum fluctuat undis,
    Non flavo retinens subtilem vertice mitram,
    Non contecta levi nudatum pectus amictu,
    Non tereti strophio lactentes vincta papillas,
    Omnia quae toto delapsa e corpore passim
    Ipsius ante pedes fluctus salis adludebant. »
     
    Traduction libre :
    « Tandis que sur le rivage de Naxos résonnant du bruit des flots elle aperçoit la flotte rapide de Thésée qui s’enfuit, Ariane, comprimant difficilement les assauts de son cœur, ne croit pas voir ce qu’elle a pourtant vu : à peine sortie des songes elle se découvre soudain toute seule sur une plage désertée. L’oublieux jeune homme a mis à la voile, livrant au vent ses promesses ! Et de ses yeux désolés la fille de Minos le suit depuis les rochers couverts d’algues, transformée en statue de bacchante, elle le suit, hélas ! dansant sur les flots, sans retenir sa chevelure tombée sur son cou, ni son vêtement découvrant sa poitrine, ni le bandeau tombé de ses seins, tous ces linges qui peu à peu s’effondrent de part et d’autre de son corps, pour baigner à ses pieds dans les vagues salées…»

        Une illustration musicale, maintenant. Ce thème a été repris au 20e siècle dans un ballet dont le français Albert Roussel (1869-1937) a écrit la musique, sur un mode plus gai cependant : en effet, la légende raconte que sur cette île, Ariane en pleurs aurait été aperçue par le dieu Bacchus (une adaptation romaine du dieu du vin Dionysos, mais peut-être aussi plutôt du dieu des bergers Pan, chez les grecs), qui, l'entraînant dans une danse endiablée, aurait réussi à la consoler... Et n'est-ce pas l'image de la "bacchante" évoquée par Catulle (femme réputée de mauvaise vie !) qui aurait amené l'idée de "Bacchus" ?
        Écoutez ici le début de la 2e suite de ballet, exécutée par l'orchestre philharmonique de Radio-France sous la direction de Jean-Pierre Jacquillat.
     

    Ou rendez-vous à cette page pour en entendre davantage...
     

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        Après, "Ariane", adaptée de Catulle, voici ma version de la légende de Psyché, composée au même âge ; cependant elle n'est pas adaptée d'un poète ancien, mais de l'oeuvre musicale bien plus  récente de César Franck (1822-1890) : le mythe lui-même est issu des Métamorphoses d'Apulée, que je n'ai pas eu l'heur de lire dans le texte, et a été repris par La Fontaine dans une pièce évoquant par certains côtés le film "la Belle et la Bête" de Cocteau :

    « Le ciel a-t-il conçu cet amas de merveilles
    Pour la demeure d'un Serpent ? »
    dit Psyché en pénétrant dans le palais d'Eros...
    (La Fontaine)

    Psyché (1)
    Psyché endormie enlevée par Zéphyr (par Prud'hon)

     


    Voici donc la première partie de mon poème "Psyché".
     

    I - Psyché sur la montagne


    Au sommet d’un rocher sauvage et effrayant
    Tendant son front hautain vers le ciel rayonnant,
    Sur le roc dénudé, solitaire et aride,
    Près d’un profond ravin, dans la chaleur torride,
    Seule sur le sol dur est couchée une enfant.
    On croirait qu’elle dort, là, sans un mouvement.
    Ses voiles dénoués, sa coiffure défaite,
    Sa pose abandonnée et sa beauté parfaite
    Font qu’on pourrait penser rencontrer devant soi
    Sommeillant au soleil, une nymphe des bois.
    Cependant par instants elle exhale une plainte :
    Elle semble avoir eu une très grande crainte ;
    Un doux gémissement comme un oiseau qui meurt

    Jaillit de sa poitrine, et ses yeux sont en pleurs ;
    Son souffle est oppressé, sa poitrine haletante,
    Elle est toute perdue et toute sanglotante.
    Elle est seule, et pourtant elle n’ose crier ;
    Elle tremble de peur, et n’ose supplier
    Les dieux de la sauver ; pourquoi cette détresse,
    Alors que le sentier poudreux de sécheresse
    Qu’empruntent les mulets, descend non loin de là
    Les flancs de la montagne, et conduit aux villas ?
    Mais elle ne veut pas regarder vers la plaine
    Qui s’étend à ses pieds si paisible et sereine ;
    Devant elle elle voit le précipice affreux,
    Et son âme égarée – on le voit dans ses yeux –
    Ne pense qu’à la mort ; c’est ainsi l’exigence
    D’une divinité, et dans son innocence,
    Sans un mot, elle a fait selon sa volonté,
    Acceptant un destin aussi peu mérité ;
    Ses parents éperdus, une foule attristée
    L’avaient menée ici, où ils l’avaient quittée :
    Là-haut, sans avoir plus la force d’espérer,
    Elle attend qu’un dragon vienne la dévorer…
    Elle ne pense plus à la douleur amère
    Dont meurent à présent et son père et sa mère ;
    Elle ne pense plus à son bonheur perdu,
    A l’amour idéal qu’elle avait attendu ;
    Elle ne connaît plus sa beauté ni ses charmes :
    Pour elle rien n’est plus que son deuil et ses larmes.
    En victime héroïque, elle s’offre à la mort,
    Et elle attend le monstre en pleurant sur son sort.
    Mais à force d’attendre, accablée et brisée
    De fatigue et d’effroi, ses larmes épuisées,
    Elle s’est endormie au soleil du matin,
    Et de doux songes ont étouffé son chagrin.


      Écoutez ici la musique
    composée par César Franck
    (1ère partie) 
     
     

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        Voici la suite de l'article précédent.
        Cependant le classement de ce poème dans la catégorie "poètes anciens traduits ou adaptés" me semble un peu inexact, car s'il est vrai qu'il est question d'un mythe ancien, celui de l'Âme (Ψυχη, prononcez "Psukhè", origine des mots français "psychologie", "psychanalyse", etc.) ravie par l'Amour, j'avoue que ces textes - comme l'indique d'ailleurs leur progression - ne m'ont pas été inspirés directement par la légende antique, mais tout simplement par la musique de César Franck, qu'il est donc indispensable que vous écoutiez en même temps que vous lisez.
        Ce Poème symphonique très long avec choeurs, est généralement exécuté dans sa forme écourtée, en quatre mouvements symphoniques sans les choeurs ; et comme on le voit à cette page
    , évoque tout d'abord "le sommeil de Psyché", puis "L'enlèvement de Psyché par les zéphyrs", "le Jardin d'Eros", et enfin "Psyché et Eros".
        En voici ici la seconde partie.


        La meilleure illustration qui conviendrait à ce passage est celle que j'ai déjà mise pour l'article précédent : mais je n'avais aucune image représentant Psyché abandonnée sur la montagne. En voici donc ici une autre, représentant l'enlèvement de Psyché par Zéphyr. Elle est de Maurice Denis, et date de 1908.

    Psyché (2)


        Cependant, à relire le texte d'Apulée (environ 123 - environ 170 ap. JC), lisible ici sur le net (vous pouvez passer aux pages précédente et suivante), il me semble maintenant que j'avais dû en prendre connaissance...:

    "Après avoir parlé, la jeune fille se tut et d'une bonne allure, elle se mêla au cortège du peuple qui l'accompagnait.  On arrive au rocher convenu de la montagne escarpée, à la cime duquel ils installent, puis abandonnent tous la jeune fille.  Là même, ils laissent les torches nuptiales avec lesquelles ils s'étaient éclairés, éteintes avec leurs larmes, et, têtes baissées, ils prennent le chemin du retour.  Ses malheureux parents, épuisés par un si grand malheur, cachés dans les ténèbres de leur maison fermée, se sont repliés dans une nuit sans fin.  Quant à Psyché, remplie de crainte et tremblante, elle pleure au sommet du rocher.  Alors, la douce brise du souffle de Zéphyr agite, d'ici et de là, le bas de son vêtement, en gonfle insensiblement les plis, la soulève dans un souffle tranquille et la transporte peu à peu; il la fait descendre et la transporte délicatement; il la fait glisser le long des parois de la roche et, au creux d'une haute vallée, la couche doucement au milieu du gazon fleuri."

    APULÉE, Métamorphoses, IV, 35, 2-4.

     

        Vous trouverez à cette page la musique de César Franck,  à partir de 10'42 (2e partie).

     
    II – Psyché enlevée par le Zéphyr

    Elle rêve en souriant ; mais de quoi rêve-t-elle ?
    Sans doute elle connaît des lumières nouvelles :
    Elle semble en extase et son ravissement
    La rend encor plus belle ; elle a tout doucement
    Retrouvé le bonheur et la peur mensongère
    A quitté son esprit délié de la terre.
    Le soleil n’ose plus la brûler de ses feux,
    Mais l’illumine toute, et la réchauffe un peu ;
    Et pour la rafraîchir, la brise la caresse :
    Le zéphyr s’est levé, et comme avec tendresse,
    Voletant autour d’elle, il enfle son manteau,
    Mais flotter ses cheveux, dans un élan nouveau
    La saisit dans son souffle et la prend dans ses brises ;
    Et avec une grâce, une douceur exquises,
    Il cherche à l’enlever dans l’air plein de senteurs.
    Ses vêtements gonflés par le souffle enchanteur,
    Tendus comme sur mer les voiles des navires,
    L’emportent vers le ciel, avec son frais sourire.
    Si l’enfant tout à coup avait ouvert les yeux,
    Elle aurait cru avoir un songe merveilleux :
    Sous elle elle aurait vu l’effrayant précipice,
    Et au-dessus le ciel d’azur limpide et lisse,
    Cet infini baigné de mouvantes clartés ;
    Elle se serait vue en cette immensité
    Traversant sans efforts les flots de l’atmosphère,
    Les cheveux dans le vent, et pleine de lumière.
    Mais elle dort toujours, elle rêve toujours ;
    Peut-être justement rêve-t-elle à l’amour
    Qu’elle aurait dû trouver si elle avait pu vivre ;
    Le léger bercement du doux zéphyr l’enivre
    Et la tendre caresse enchante son sommeil…
    Le voyage s’achève : on est presque au soleil.
    Très délicatement, le zéphyr la dépose
    Dessus un frais gazon environné de roses,
    Et se sauve sans bruit pour ne pas l’éveiller,
    La laissant au soleil doucement sommeiller.

     
    Statue de Marioton, un sculpteur du XIXe siècle 

     

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    Psyché déposée par Zéphyr au jardin d'Eros
    Esquisse de George Romney


     
    N'oubliez pas d'accompagner votre lecture du fragment musical correspondant de César Franck (voir précédents articles) : à cette page, partie 3 (13'29).
     

    III – Psyché au jardin de l’Amour 

    Quelque chose pourtant fait que son rêve cesse ;
    Peut-être elle a senti que la fraîche caresse
    Et le doux bercement n’étaient soudain plus là.
    Le regard aveuglé par le splendide éclat
    De l’astre éblouissant alors tout proche d’elle,
    Assise, et détournant ses yeux de l’étincelle,
    Elle cherche à comprendre où elle est à présent ;
    Car elle voit sous elle un gazon fleurissant
    Qui rafraîchit son corps brûlé par la lumière
    Et elle a deviné que, par un grand mystère,
    On l’avait enlevée au roc et à la mort.
    Elle s’inquiète encor cependant de son sort :
    Qui sait si ce jardin merveilleux, si étrange,
    N’abrite pas les jours d’un dragon effrayant ?
    Peut-être ces douceurs, ces parfums attrayants
    Ne sont qu’une illusion pour tromper sa défiance ?
    Elle cherche à s’enfuir, mais la lourde indolence
    Qui emplit l’atmosphère, engourdit son esprit ;
    Elle ne sait comment déjà son cœur est pris
    Par le charme invincible émané de l’espace.
    Elle s’est relevée et a suivi la trace
    D’un tout petit sentier serpentant dans un bois.
    Elle va lentement, pleine d’un grand émoi.
    Les arbres et les fleurs aux espèces diverses
    Produisent sûrement ce poison qu’ils déversent,
    Qui envahit son corps d’une immense torpeur ;
    Son cœur est submergé d’un merveilleux bonheur
    Et d’une ivresse étrange : débordant de tendresse,
    Il est en même temps accablé de tristesse.
    Ravie, émerveillée, elle voit dans les airs
    Passer de temps à autre aussi vif que l’éclair
    Un oiseau magnifique à la traîne royale ;
    Il se pose, orgueilleux, entre les fleurs, étale
    Tout l’or de son plumage et toute sa splendeur,
    Et se met à chanter comme un chant de douleur.
    Une émotion poignante emplit alors son âme
    Et l’enfant sent surgir en son cœur une flamme :
    Son corps tout haletant de faiblesse et d’ardeur
    Goûte le douloureux charme de la langueur
    Qui la fait frissonner, alors qu’elle est brûlante ;
    Elle étouffe d’ivresse et se sent chancelante.
    Un chagrin inconnu remplit ses yeux de pleurs ;
    Pour la première fois elle sait la douceur
    Que peuvent procurer d’inexplicables larmes ;
    Elle se jette au sol, s’abandonnant aux charmes
    De sa mélancolie – et pleure de bonheur.
    Suffocante, elle entend la lutte de son cœur
    Entre les sensations vagues et violentes
    Qui s’emparent de lui ; son âme défaillante
    Ne sait que la douceur déchirante et sans nom
    Qui l’entraîne à jamais dans un gouffre sans fond.
    Elle meurt de vertige, expire de tristesse,
    Et son cœur qui bat trop l’enivre d’allégresse…

     

    Psyché (3)

    Psyché, par Gérard

     

     

     

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