•     Voici un texte trouvé sur le site "Regards sur l'éveil" et publié sur son forum à la page consacrée à Swami Ramdas par Joaquim son auteur, qui y a joint quelques réflexions dont je le remercie.

       Comme le texte d'Arnaud Desjardin cité à côté et que je publierai ultérieurement il est très riche d'enseignement.

      

     

     

    Sami Ramdas
    Image tirée du site consacré au saint.

     

       Râmdâs (le nom qu’il s’est lui-même donné, et qui signifie “esclave de Râm”) abandonna tout à l'âge de 38 ans et prit le bâton de pèlerin, pour s'en remettre entièrement à la grâce de Râm. Il décrit lui-même ainsi le cheminement qui l'a conduit à l'abandon radical de lui-même :

     

         «  Pendant près d’une année, Râmdâs se débattit dans un monde plein de soucis, d’anxiétés et de peine. Ce fut, par sa faute, une période terrible d’inquiétude et de tension. Dans cet état de misère désespérée, un cri jaillit du cœur de Râmdâs : “Où trouver le soulagement ? Où trouver la paix ?” Sa plainte fut entendue, et dans le grand vide retentit une voix : “ Ne désespère pas, aie confiance en Moi, et tu seras libéré.” C’était la voix de Râm. Cet encouragement fut comme une planche de salut jetée au nageur en péril qui se débat dans la mer déchaînée. Une grande assurance tomba sur le coeur meurtri du malheureux Râmdâs comme une douce pluie sur la terre assoiffée. Dès lors, une partie du temps occupée auparavant par les choses du monde fut consacrée à méditer sur Râm, qui octroya, dans cette période, paix et soulagement véritables. Peu à peu, son amour pour Râm, le Donneur de Paix, augmenta. Plus Râmdâs répétait le nom de Râm et méditait sur Lui, plus il ressentait de joie et de soulagement. Les nuits, qui étaient libres de tout devoir terrestre, furent consacrées, à part deux heures de repos, à chanter les louanges de Râm. Sa dévotion pour Râm progressait par sauts et par bonds.


       Le jour, alors qu’il était envahi par l’anxiété et le souci que lui causaient des ennuis d’argent, des soucis de toute espèce, Râm venait à son aide d’une façon inattendue. Aussi, dès qu’il pouvait se libérer, même pour peu de temps, de ses occupations matérielles, se mettait-il à méditer en prononçant le nom de Râm. En marchant dans la rue, il répétait : Râm, Râm. Il perdait toute attraction pour les choses de ce monde. Habits recherchés et toiles fines furent remplacés par le grossier khaddar ; une simple natte fut substituée au lit. Pour sa nourriture, il réduisit à un seul les deux repas de la journée, et plus tard, ce repas ne consista plus qu’en bananes et pommes de terre bouillies. Les piments et le sel furent complètement abandonnés. Il n’avait plus goût que pour Râm, et sa méditation sur Râm devenait continue, englobant toutes les heures de la journée et les prétendus devoirs sociaux.

        À cette époque, le père de Râmdâs, inspiré par Râm Lui-même, vint le voir et, le prenant à part, lui transmit l’initiation du Râm-mantra : “Shrî Ram, Jaï Râm, Jaï Jaï Râm”, et lui assura que, s’il répétait continuellement ce mantra, Râm lui accorderait le bonheur éternel. Cette initiation par son père — qu’il considéra dès lors comme son gourou — fit faire au débutant de rapides progrès dans la vie spirituelle. Râm l’invitait constamment à lire les Enseignements du Seigneur Krishna dans la Bhagavad-Gîtâ, ceux de Bouddha dans Lumière de l’Asie, ceux de Jésus-Christ dans le Nouveau Testament, ceux du Mahâtmâ Gandhi dans Jeune Inde et l’Ethique de la religion. L’influence de ces grands hommes créa ainsi, dans l’esprit de Râmdâs, une atmosphère chargée d’électricité où grandit la jeune plante de bhakti (dévotion pour Dieu). C’est à ce moment que son esprit s’éveilla lentement à l’idée que Râm était la seule réalité et que tout le reste était faux. Tandis que l’attachement aux jouissances terrestres l’abandonnait rapidement, la notion du “moi” et du “mien” s’effaçait aussi. Le sens de la possession et des relations entre individus distincts s’évanouissait. Tout, pensée, esprit, coeur et âme se concentra sur Râm, Râm recouvrant et absorbant tout.

        Ainsi Râm avait arraché Son esclave à l’étroit bourbier de la vie du monde et l’avait jeté dans l’immense océan de la Vie universelle. Mais Râm savait bien que pour nager dans ce vaste océan, il faudrait à Râmdâs de la force et du courage. Pour lui faire acquérir ces qualités, Râm fit passer son esclave ignorant et novice par une suite d’épreuves sévères sous Sa direction immédiate et avec Son aide. Une nuit, alors que Râmdâs savourait la douceur d’invoquer Son nom, Râm lui suggéra ces pensées :

        " O Râm, quand Ton esclave Te voit à la fois si puissant et si tendre, quand il sait que celui qui se confie à Toi obtient sûrement la vraie paix et le bonheur, pourquoi ne peut-il se remettre complètement à Ta miséricorde et renoncer à tout ce qu’il appelle “moi” ? Tu es tout en tout pour Ton esclave. Tu es le seul Protecteur en ce monde. Les hommes se leurrent quand ils disent : “Je fais ceci, je fais cela ; ceci ou cela est à moi.” Tout, ô Râm, est à Toi, et toutes choses sont faites par Toi seul. La seule prière que Ton esclave T’adresse, c’est de le prendre entièrement sous Ta direction et lui ôter son sens du moi."

       Cette prière fut entendue. Le cœur de Râmdâs poussa un profond soupir ; une vague de désir passa dans son esprit de renoncer à tout et d’errer par la terre en quête de Râm, sous la robe de mendiant. Alors Râm le poussa à ouvrir au hasard le livre La Lumière de l’Asie qui se trouvait devant lui ; il tomba sur la page où est décrite la grande renonciation du Bouddha : “Car maintenant l’heure est venue de quitter cette prison dorée où mon coeur a vécu comme dans une cage, et de trouver la Vérité que je chercherai désormais pour l’amour des hommes, jusqu’à ce que je l’aie trouvée”. Puis Râmdâs ouvrit le Nouveau Testament et lut le message sans équivoque de Jésus-Christ : “Celui qui, par amour pour Moi, a abandonné maison, frères et sœurs, père et mère, femme ou enfant et terres, sera récompensé cent fois et recevra la vie éternelle”. Il fut encore incité à ouvrir la Bhagavad-Gîtâ et y trouva le verset suivant : “Abandonne tous tes devoirs, cherche en Moi seul un refuge ; ne t’attriste pas, Je te libérerai de tous tes péchés.”

         Râm lui parlait ainsi par la voix de ces trois grandes Incarnations divines, Bouddha, Christ et Krishna, et tous trois indiquaient le même chemin : la renonciation. Râmdâs prit aussitôt la décision de quitter ce monde de samsara, de renoncer, pour l’amour de Râm, à tout ce qu’il avait serré sur son coeur et considéré comme sien. Il s’habilla très simplement de deux pièces de toile enroulées, l’une sur la partie supérieure, l’autre sur la partie inférieure de son corps. Le lendemain, il fit teindre en ocre rouge deux morceaux de toile ; la nuit suivante, il écrivit deux lettres, l’une à sa femme qui, grâce à Râm, n’était déjà plus qu’une sœur pour lui, l’autre à un bon ami que Râm lui avait fait connaître pour le délivrer de ses dettes ; et, à cinq heures du matin, il dit adieu à un monde qui n’avait plus d’attrait pour lui, et dans lequel plus rien n’existait qu’il pût nommer sien. Le corps, l’esprit, l’âme, il déposa tout aux pieds de Râm, l’Être éternel plein d’amour et de pitié.»

     

       Swâmi Râmdas, “Carnets de pélerinage”, Albin Michel, Coll. Spiritualités vivantes, 1973, p. 18.


     
      Cette renonciation totale me fait penser à celle de Saint François d’Assise, qui, conjuré par son père sur la place publique d’Assise d’abandonner sa conversion qui privait d’héritier l’entreprise familiale, se dévêtit intégralement et déposa ses habits au pieds de son père, pour ne plus dépendre des largesses de son père terrestre, mais uniquement de la Grâce de Dieu.

     


    6 commentaires

  •    J'ai déjà cité Sri Siddharameshwar Maharaj et son livre "Embrasser l'Immortalité".

         En voici un autre extrait, correspondant à un satsang (enseignement émanant d'un maître et transmis gratuitement et simplement à tous ceux désireux de le recevoir) qu'il aurait donné le 15 décembre 1928 à Bombay (p. 159-160 du livre). 

     

    «   Le Soi est qualifié de saguna, c'est-à-dire "avec attributs" quand il est manifesté et nirguna, "sans attributs", quand il est non manifesté.

         Manifesté (saguna), il est la matière en constant changement, c'est la nature primordiale ou prakriti associée à la "Mère". Non manifesté (nirguna), le Soi stable et sans changements est purusha associé au "Père". L'homme est éveillé lorsqu'il devient UN avec sa propre nature.

         La connaissance est plus subtile que l'atome, c'est un point minuscule mais suffisant cependant pour dissiper la totalité de l'ignorance qui nous a recouvert ! Le sage parle de la connaissance comme d'une étincelle bleue luminescente. Saint Toukaram dit : "Vois dans ton mental ce point bleu qui est ta libération !"

        La Réalité ne peut pas être montrée. Elle ne peut être "vue" qu'après avoir transcendé les quatorze mondes qui font obstacle. Il s'agit des dix sens, du mental, de l'intellect, de la connaissance individuelle et enfin de l'ego (1). Faire comprendre ce qui ne peut pas être compris, c'est ce que fait le maître ! Sous sa direction vigilante le disciple peut "expérimenter" sa vraie nature. Mais vous devez pratiquer avec sérieux et vous rappeler que la persévérance est nécessaire pour surmonter la difficulté. Pratiquez en utilisant toute la finesse de votre intellect et tenez à distance les six passions (2). Savakash (sa, six ; avakash, garder au loin) est une pratique qui demande de la persévérance, elle consiste à garder les six passions à distance pour protéger les organes des sens des altérations : gorakshana (go, sens ; rakshana, protéger et contrôler). Gor signifie également "vache" et goruksha est celui qui protège les vaches. Krishna, le vacher, avait pour fonction de garder et protéger les vaches ; il s'acquittait de sa tâche avec diligence : il se préservait des six passions grâce au mantra qu'il avait reçu de son maître... Le mot gaye en marathi a deux sens : l'un est "chanter" et l'autre "vache" ; on dit que 330 millions de dieux et de déesses résident dans une vache, ainsi lorsque l'on chante le mantra donné par le maître, 330 millions de dieux et de déesses chantent avec nous ! Maintes histoires à propos de Krishna racontent qu'il se régalait de la crème volée dans les fermes environnantes. Cela signifie qu'il a baratté le beurre dans la méditation du mantra et s'est délecté de la crème de la connaissance de soi. »

    Sri Siddharameshwar Maharaj, 
    Embrasser l'immortalité (Amrut laya),
    Méthode pratique pour se libérer du faux.
    Éditions Les Deux Océans, Paris, 2007

    (1) Les écritures indiennes distinguent 5 organes perceptifs et 5 organes d'action, plus les quatre fonctions mentales précisées dans le texte.
    (2) Les six passions sont, selon le Vedanta : le désir, la colère, l'illusion (ou égarement), l'orgueil (ou arrogance), la cupidité (ou avidité) et l'envie (ou jalousie). 

     

    Krishna et les vaches

         Dans l'extrait que j'avais cité précédemment, le maître commentait et expliquait des passages du Dasbodh, un traité de spiritualité pratique écrit au XVIIe siècle par Saint Samarth Ramdas.

         Dans cette partie de l'ouvrage, il commente et explique les différentes légendes évoquées dans le Mahabharata, épopée que tous les indiens connaissaient par cœur - à l'instar de L'Iliade et l'Odyssée pour les grecs  - mais qui pour eux avait une valeur fondatrice équivalente à notre Ancien Testament. Il montre le sens caché et puissant de ces aventures héroïques dont la dimension mythique recèle un trésor d'enseignement.

         Ainsi "garder les vaches" peut signifier observer ses passions et les maintenir à distance ; et "baratter le beurre" puis "se délecter de la crème", évoque une méditation soutenue suivie du profit qui en est retiré. 

     


    23 commentaires

  •       Je vous propose aujourd'hui un petit texte de Siddharameshwar Maharaj et une très jolie musique.

     

    Cygne

     

     

    «  Dans le Hamsa guîta (chant du Seigneur Shiva), Sanaka demande au Seigneur Brahma de lui dévoiler le moyen d'atteindre le Soi. Ce dernier ne pouvant donner un tel enseignement, demanda conseil à Krishna  qui apparut à Sanaka sous la forme d'un cygne.

         Sanaka lui demanda de lui révéler sa véritable identité mais Krishna refusa, prétextant que celui qui faisait cette demande n'était pas prêt à recevoir cette révélation.

        Sanaka finit par admettre qu'il n'était pas libre des désirs qui limitent la conscience individuelle, et c'est alors seulement que le Seigneur Krishna lui enseigna que le seul moyen d'atteindre le Soi (= Krishna lui-même) était de vaincre tous les désirs qui entravent et limitent la conscience, et qu'ils ne peuvent être éradiqués que par la vénération au Soi

         Une dévotion indéfectible au Maître mène à l'accomplissement du Soi. Le Soi est si proche de vous qu'il peut être compris facilement ; mais un simple mortel qui brille de tous les feux de l'orgueil le trouve absolument incompréhensible, tant il est recouvert par l'ignorance. Aveuglé par l'ego, le mortel aspire pourtant à la conquête du monde, mais il ne pourra jamais, à cause de ce même ego, comprendre la nature unique du Soi. (...)

        La réalisation du Soi est le seul domaine dans ce monde où "qui perd gagne" ! Il est transfiguré dans le Tout-Puissant lui-même. Bien qu'il soit vivant, le vrai dévot est mort car son ego a été totalement détruit. Si le pot de terre comprend qu'il n'est rien d'autre que de l'argile, il cesse d'exister en tant que pot. »

    Embrasser l'immortalité, Ed. les Deux Océans.

     

    Lotus

     

     

          J'ai découvert récemment une merveilleuse musique composée par une jeune malaisienne du nom de Imee Ooi ; il s'agit d'un chant dévotionnel dédié au mantra :

    OM MANI PADME HUM 

    (qu'elle prononce à la tibétaine : "pémé" - vous en trouverez ici le sens).

        Elle vaut la peine d'être connue de tous ceux qui veulent exprimer cette dévotion pour le Parfait, l'Absolu, le Suprême.

     

     

    NB : cette vidéo contient une partie seulement du morceau (mais cependant l'essentiel car la suite reprend le début) ; si vous voulez l'entendre en entier, c'est ici ; et vous avez même une version où il est joué deux fois.

     

     


    9 commentaires


  • Cygne


          Le Parsifal de Richard Wagner m'accompagne depuis ma tendre jeunesse plongée en milieu musical, autant que le Perceval de Chrétien de Troyes transmis par mon père médiéviste.

         Jeté loin de moi à certaines périodes car parfois il faut souffler un peu, prendre du recul, vivre enfin, il a à tous les âges de ma vie fait résonner en moi des échos profonds, éveillant des compréhensions toujours nouvelles et toujours utiles à ces instants précis.

     

    *  *  *


         Toute jeune il me fit prendre conscience de la blessure cachée qui m'habitait.

          Cette blessure est présente en chacun des personnages du drame wagnérien si l'on y regarde d'un peu près : 

    • Le Roi-Pécheur, Amfortas, en est le premier représentant visible, se consumant dans le remords d'avoir cédé au plaisir de la chair alors que, prêtre, il avait fait vœu de chasteté.
    • Ensuite apparaît le cygne, blessé à mort en plein vol par le jeune Parsifal, ignorant et fougueux.
    • Puis vient Parsifal, qui à son tour est profondément blessé d'apprendre que sa fuite de la maison maternelle a entraîné la mort de sa mère ; puis qui se fait sévèrement réprimander par le chevalier Gurnemanz le traitant de parfait imbécile.
    • Enfin apparaît Kundry, la femme tentatrice que l'on présente comme une réincarnation de Salomé, mais qui en réalité se bat contre une malédiction terrifiante, condamnée qu'elle est à séduire les chevaliers du Graal alors que son désir n'est que de les servir. Elle aussi s'effondre aux pieds de Parsifal en évoquant son atroce blessure.
    • Mais derrière elle on peut encore signaler Klingsor, le diabolique sorcier qui la tient sous son contrôle, car celui-ci doit son pouvoir au fait de s'être lui-même châtré.


         Que représente donc cette blessure ?

        J'ai passé ma vie à le chercher ; mais surtout, je dois l'avouer, à chercher à la colmater, sinon à la guérir ! 

    *  *  *


          Parsifal a toujours marqué les esprits de ceux qui ont rencontré cet Opéra. On a écrit dessus des fleuves - de même que sur Perceval ou le Roman du Graal, dont il s'inspire. 

          On en a fait des études "initiatiques" ; j'ai essayé de les lire, mais ai vite été dépassée. Il y a toujours là-dedans des références à des traditions, à des écrits... Cela entraîne un puits de savoir, autant dire que c'est é-puisant.

         Il y a ceux qui rapprochent l'oeuvre de Wagner de la Flûte Enchantée de Mozart et vont lui chercher des allusions franc-maçonnes ; il y a ceux qui évoquent l'initiation Rose-Croix, et en effet Parsifal fait partie des œuvres de référence que le Rosicrucien Max Heindel fait étudier à ses aspirants. Il y a ceux qui découvrent que ce n'est ni un opéra chrétien (malgré des signes très nets : la Sainte Cène, la Lance, le Vendredi Saint, le Baptême...), ni un opéra schopenhauerien (ce qui correspondrait pourtant à l'état d'esprit de Wagner à cette époque), ni un opéra "bouddhiste" (alors que l'on trouve dans l'analyse des noms attribués aux protagonistes des origines orientales - le mot "Parsifal" lui-même serait hérité du persan "Fal Parsi" qui signifie "fou pur" - , et que le Perceval de Chrétien de Troyes aurait du moins des accointances avec le shi'isme iranien).

          Pour ma part, suivant les flots tempétueux de la musique, je me rangeai d'abord aux interprétations psychanalytiques, qui me convainquirent durant de nombreuses années. Il y a à l'écouter un processus cathartique qui s'opère, mettant en relief une problématique œdipienne d'abord (souvent largement récupérée par les metteurs en scène, qui ensuite ont hélas tendance à obliquer vers des allusions historico-politiques) ; puis si l'on suit attentivement les rôles attribués aux différents personnages dans leur aspiration vers l'idéal, un exposé d'archétypes qui appelle une interprétation jungienne et conduit au seuil de l'alchimie. D'ailleurs selon Wagner Parsifal, adolescent presque nu au premier acte, apparaît dans sa quête revêtu d'une armure noire au second acte, puis couvert d'un vêtement blanc au troisième acte alors qu'il a conquis sa place de prêtre du Graal : passé par le feu de la tentation, il a donc atteint la blancheur de l'initié.


    *  *  *


         Et voici qu'aujourd'hui, au fil de ma quête qui s'inspire de l'Advaïta vedanta, je le vois encore sous un jour nouveau !

         Parsifal devient le disciple se posant la fameuse question : " Qui suis-je ? "

         En effet au premier acte nous avons l'image d'un enfant qui ignore absolument tout de lui-même et répond par "je ne sais pas" à toutes les questions qu'on lui pose. 

         Et comme dans les histoires une quête commence souvent par la poursuite d'un animal - un cerf que l'on chasse dans certains contes, un lapin blanc qui détale dans d'autres - ici c'est ce cygne atteint d'une flèche qui en marque le démarrage. Il faut je crois voir dans ce processus un symbole plus qu'un véritable assassinat : la flèche est l'image de la pensée que projette soudain le héros vers sa propre nature parfaite, immaculée, évoluant librement dans l'espace.

         Cette pensée en déclenche une seconde : celle de la prise de conscience de sa blessure intérieure.

            Et dans ce sens, oui, le cygne a réellement été tué car notre ami découvre qu'il s'est mutilé lui-même en se privant de sa nature parfaite immortelle et en se rabattant jusqu'au sol. La blessure, que clament TOUS les personnages du drame (à l'exception seulement de Gurnemanz qui fait figure d'initiateur), est celle d'être séparé de sa véritable nature, et d'évoluer dans un monde sensible alors que nous ne sommes pas de ce monde-là. Les allusions au Christ sont essentielles puisque c'est exactement son message ; mais il  importe évidemment d'établir la distinction (comme c'est le cas également avec Perceval) entre l'enseignement de Jésus et le christianisme ultérieur qui détruisit toute la part initiatique de la Parole originelle.

     

             Parsifal, assistant à la scène du Graal, découvre donc sa propre blessure. Il entend de la bouche d'Amfortas les plaintes de son être intérieur bafoué, voit à travers l'exposition du Saint Graal la vérité de la Vie qui l'anime à l'origine, et découvre le mort-vivant  qu'est ce personnage de Titurel... Présenté comme le "père" d'Amfortas qui est l'actuel prêtre du Graal, Titurel est sensé être mort et à ce titre est perçu comme un gisant sur son tombeau ; et pourtant, à chaque apparition du Graal, il reprend vie ! Il y a là une représentation effrayante du détournement de la Force Vitale qu'est à l'origine Esprit Saint, en sang abreuvant et faisant fonctionner un corps matériel... Une vision vampirique évoquant le culte de l'apparence physique chez les peuplades adeptes de la momification.

          Qu'est-ce donc que cet attachement au corps ? N'est-ce pas lui qui entraîne le détournement de l'utilisation du Graal et donc la souffrance ?

           On comprend que Parsifal, assommé par ces brusques révélations, n'ait pas réussi à exprimer un avis sur la scène rencontrée.

             Mais Gurnemanz, impitoyable dans son rôle d'initiateur, le renvoie "garder les oies", le traitant comme je l'ai dit plus haut de parfait imbécile.

     *

            C'est une "claque" bien connue dans le bouddhisme zen, et qui peut évidemment servir à éveiller (voir ici). Quoi qu'il en soit, Parsifal est maintenant en quête de sa vérité : et c'est ce travail qu'il effectue sur lui-même au second acte.

           Là encore, je dirais que les différents protagonistes appartiennent tous à son propre psychisme et qu'il ne s'est nullement déplacé dans l'espace pour parvenir jusqu'au château du maléfique sorcier Klingsor.

         Pour moi, Klingsor est l'autre face de Titurel ; s'abreuvant indûment à la source du Soi, il fait apparaître l'univers matériel : tout un monde basé sur la sensation, sur le désir, sur le plaisir. Un monde qui répond à des lois : le temps, savamment orchestré par Klingsor avec des jours et des nuits, soit des naissances et des morts infligées à Kundry ; l'espace avec des fleurs qui apparaissent et disparaissent, qui poursuivent Parsifal et l'essoufflent ; une série d'illusions qu'il orchestre à sa guise car lui-même vit d'une vie imaginaire, s'étant castré pour ne pas avoir à désirer le retour à la Source, comme ceux qu'il tourmente. Ne s'est-il pas mutilé avec la Lance même qui perça le flanc de Jésus en croix ? Or que pointait cette lance, sinon le Cœur même du Fils de Dieu ?

           Qu'en conclure, sinon que Klingsor est la représentation de l'ego, grand maître des fantasmagories et créateur de l'univers dans lequel nous croyons évoluer ? D'ailleurs il se cache ; il met en place son piège avant que Parsifal n'apparaisse, et ne se dévoile qu'à la toute fin, quand le jeune homme l'y oblige pour avoir mis totalement en échec sa principale représentante, Kundry.


            C'est contre Kundry que Parsifal aura le plus à se battre. On dit qu'il doit vaincre la tentation de la chair. Oui, si l'on veut. Mais ce n'est pas de chasteté au sens pur qu'il s'agit. C'est de détournement du monde sensible. Les "filles-fleurs" qui attisent la convoitise charnelle du héros à son arrivée ne sont que les multiples tentations perpétuellement proposées à l'extérieur par notre mental : des pensées, des émotions, des sensations, tout ce qui "attire" l'esprit hors de lui-même, tout ce qui captive l'attention et l'empêche de se maintenir centrée en soi-même. 

          Le garçon y ayant résisté Klingsor, en habile tentateur, joue son va-tout en la personne de cette séductrice elle aussi à double visage, qui à la fois rêve de salut et se démène, use de tous ses charmes pour corrompre chaque chevalier.

           Mais qu'y voir, sinon la personnification même du mental ?

         En effet le combat que mène le jeune héros contre la tentatrice évoque constamment le travail de l'adepte pour maîtriser celui-ci.

           Tout d'abord, elle lui enseigne son nom : être un nom est le concept préalable à tout ressenti d'individualité ; c'est donc le premier piège du mental. Puis elle lui parle de sa naissance, de sa mère, le précipitant dans la présence au corps avec ses définitions et son histoire - autre piège du mental, qui si l'on en croit les maîtres, a pour principal support la conscience du corps et pour outils le temps et l'espace.

        Le voici donc face à la fameuse question : "Qui suis-je ?" au cœur de la démarche védantiste.

         Le jeune homme, troublé, manque de tomber dans le panneau... c'est-à-dire dans "les bras" de l'enjôleuse qui prétend lui apprendre qui il est ; mais il se souvient alors de sa blessure ! La brûlure ressentie dans son corps à ce moment, qu'il est facile d'associer au désir charnel, mais qui est en réalité le souvenir de sa véritable nature, qu'il a lui-même PROFANÉE.

         La vision terrible qu'il décrit alors est réellement celle d'un sanctuaire éventré, et le cri qu'il lance pour en obtenir le pardon est si puissant que l'on ne peut imaginer qu'il s'agisse seulement d'une histoire de sexe. Il s'agit en fait de la perte de la souveraineté sur soi-même ; de l'oubli de son origine céleste, puisqu'il évoque la voix "terriblement puissante du Dieu" (il veut dire Jésus au Mont des Oliviers) s'élevant dans son âme pour crier : "Pitié ! Sauve-moi de la souillure du Péché !"

        S'ensuit un débat haletant entre lui-même et la "pauvre malheureuse" - que j'identifierai maintenant comme "le mental" - celle-ci mettant tout en oeuvre pour le fléchir dans son refus de lui céder.

           Elle lui parle d'abord de la malédiction qui l'oblige à renaître et renaître sans cesse : on voit bien qu'il s'agit du mental, qui va sans cesse d'une pensée à une autre sans jamais réussir à se poser.

             Elle évoque ensuite son incapacité à s'assagir dans la douceur des larmes, et la folie qui la pousse sans cesse aux cris, à la rage, ou encore au rire insolent : ne voit-on pas là le côté théâtral du mental, qui se crée des rôles dans lesquels il collectionne sensations et émotions, et sa propension à faire l'étalage de ses douleurs, son goût pour jouer les victimes afin d'attirer l'attention, l'intérêt ?

           Enfin elle lui propose un ignoble marché... Marché dans lequel hélas tombent quantité d'adeptes de la voie spirituelle :

        - "Puisque c'est à travers moi que tu as pressenti le Divin, cède-moi complètement et tu seras complètement Divin ! Et tant pis si je reste à jamais l'immonde séductrice maudite."

          Ce marché n'est pas sans rappeler celui proposé à Ève par le serpent d'Eden...

           Et c'est ce qui arrive à ceux qui se fabriquent un "ego spirituel", c'est-à-dire qui à force de se projeter mentalement vers l'Illumination de leurs rêves, de se "muscler l'esprit" en travaillant à développer certaines qualités,  atteignent un état de puissance surhumaine trompeuse. En fait ils restent soumis à leur mental, un mental magnifié.

          Mais Parsifal affirme vouloir "la sauver elle aussi". Ce qu'il veut dire par là, c'est que le mental ne peut disparaître, mais qu'il doit être soumis, devenir obéissant ; ce qu'elle voulait à l'origine et fera à la fin : servir.

          Alors, explosant de rage, Kundry invoque contre lui le magicien dont elle dépend, Klingsor porteur de la Lance sacrée (l'Aspiration parfaite pointant vers la Source, qu'en profanant le sanctuaire il avait transformée en Désir pointé vers le monde extérieur).

          Usant de tout ce qui lui reste de force, elle lance contre le jeune homme une série d'imprécations redoutables, lui interdisant à jamais de retrouver le château du Graal dont il lui demandait le chemin.

            Ce passage évoque particulièrement la Maya, qui enveloppe l'adepte de sa toile invisible afin de le maintenir "soumis à son pouvoir". Mais si l'on revient à la signification de Kundry en tant que "mental", l'explication est plus simple : quel chemin mental pourrait-on bien emprunter pour atteindre le Soi ? Aucun ! Le Soi est hors du mental, au-delà de tout chemin. Donc ces imprécations apparaissent totalement vaines...

           Aussi Parsifal ne se démonte-t-il pas ; avec la Vision qui s'est imposée à lui, il a reçu la Force, la Force d'une Foi inébranlable en Soi-même.

            Et c'est à ce moment que Klingsor - l'ego - apparaît ; pensant terrasser à jamais l'impertinent il lui envoie la Lance ravie à Amfortas mais Parsifal la récupère sans en être touché, et l'utilisant pour dessiner un grand signe de Croix, anéantit l'univers entier dans lequel il était plongé... sauf Kundry à qui il donne rendez-vous "là où elle sait".

     

          Tout est devenu simple, évident. L'ego démasqué, l'univers extérieur factice s'écroule. Amfortas prêtre du Graal est la vraie nature de Parsifal en tant que disciple. Son mental une fois purifié (libéré de l'emprise malsaine de l'ego) doit l'y retrouver.

     *

             Au troisième acte, nous en voyons la réalisation.

         Il semble qu'il se soit passé un temps énorme entre les deux actes. En fait nous sommes simplement sur un autre "plan de conscience". Kundry (le mental) s'éveille d'un profond sommeil ; mais elle ne sait plus parler : elle est devenue silence.

        Parsifal apparaît, portant la Lance de l'Aspiration parfaite. Il a mûri.

        Alors se produit ce que l'on appelle communément l'Enchantement du Vendredi Saint : la prairie se met à briller, à produire de délicieux effluves, la vie semble renaître et Gurnemanz, l'initiateur, proclame que la mort de Jésus sur la croix (c'est-à-dire la disparition de l'ego et de ses fantasmagories) a rendu la Nature à son Innocence première. C'est l'Éveil !

         Désigné alors pour remplacer Amfortas, Parsifal pénètre dans le château du Graal avec Kundry qui lui reste soumise et découvre que Titurel est enfin définitivement mort (ne vous disais-je pas qu'il était l'autre face de Klingsor, l'ego ?). Il tend la Lance à Amfortas avec ces mots lumineux :

          "La blessure ne peut être guérie que par l'arme qui l'a créée", ce qui semble indiquer que chacun est responsable de sa propre guérison et que personne ne peut rien pour un autre.

          Mais en fait Parsifal et Amfortas sont une seule et même personne et la Lance qui les réunit souligne cette guérison, faisant du deux UN.

    *

            Alors survient l'apothéose flamboyante de l'oeuvre...

         Parsifal évoque à nouveau le retournement de l'énergie spirituelle qui de l'extérieur, se ramasse vers l'intérieur - le Graal - , puis proclame que celui-ci ne doit plus JAMAIS être voilé. Il ordonne donc qu'on le découvre et que l'on ouvre la châsse. 

            Jésus n'a-t-il pas dit : "Ne laissez pas votre lumière sous le boisseau" ?

           
          Le Disciple illuminé devient alors Flamme éternelle, laissant couler sa lumière à l'infini...

      

    Coupe

     


    8 commentaires
  •  

          Il se passe en ce moment des choses affreuses.

          Mais si je vous dis que c'est un rêve vous allez vous fâcher et me dire que je suis sans cœur ! J'aurais pu évidemment passer dans ce secteur de Paris à ce moment-là et être pulvérisée par une balle bien ajustée. Ou perdre un membre et me traîner ensanglantée dans la rigole du trottoir. Ou être piétinée par des gens affolés. Ou arriver complètement paniquée parce que mon fils était là et que je n'avais plus de ses nouvelles !!

         Qu'importe. Tout est possible...

         Et voici une petite vidéo tout simplement géniale.


           Elle a été découverte puis traduite par Alex Kimpe, qui vit en Belgique et qui, après de longues années de pratique du yoga et de travail sur lui-même, a connu ce que l'on désigne couramment par l'éveil - mais qui n'est rien d'autre que la découverte de la Réalité du monde.


          Voici  ce qu'il en dit :

       Nathan a 5 ans et 3 mois fin Janvier 2010 quand il se met soudainement à discuter en prenant son bain.
       Il semble que beaucoup d'enfants prononcent ce genre de « bêtises »... Nathan a 5 ans et ne sait évidemment rien de la Non-Dualité, il dit simplement ce qui vient à lui ; et « accidentellement » cela coïncide de façon transparente avec l'Advaïta Vedanta (la non-dualité), une tradition vieille de plus de 1000 ans !
       Page originelle ici. Traduction par Alex Kimpe (avec l'accord du papa de Nathan).

     

     

        À cinq ans, un enfant peut encore nous rappeler ce que nous nous ingénions tant à lui faire oublier ... Et qu'ensuite nous pleurons des larmes de sang pour réussir à redécouvrir...

         Retrouver la fraîcheur de cet âge, c'est tout ce que l'on peut se souhaiter de meilleur.

     

     

     


    30 commentaires