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      Olivier Messiaen est un musicien contemporain qui paraîtra difficile à la plupart d'entre vous, je m'en doute bien. Et pourtant il faut le connaître, car c'est un personnage assez stupéfiant. 



    Olivier Messiaen

     

         Né en 1908 en Avignon en disparu en 1992 à Clichy près de Paris, il a comme Victor Hugo traversé le XXe siècle et laissé une marque impérissable, ne serait-ce que par le nombre d'élèves en composition qu'il a formés (parmi lesquels Pierre Boulez, Karlheinz Stockhausen, Marius Constant...). Cependant le plus important chez lui, est que ce fut un musicien totalement mystique : non content d'être fervent catholique (son nom l'y prédispose d'ailleurs !) il s'est inspiré des rythmes et de la philosophie de l'Inde pour écrire ses plus belles pages, notamment dans la Turangalîla Symphonie (1948).

        Organiste titulaire en l'église de la Trinité à Paris il a composé des merveilles pour l'orgue ; mais pianiste virtuose il a également illustré le piano en véritable Franz Liszt contemporain ; et enfin orchestrateur hors pair (n'a-t-il pas enrichi de façon spectaculaire le pupitre des percussions en important d'Asie toutes sortes de gongs !) il nous a laissé d'immenses chefs d'oeuvre avec voix et chœurs. Ajoutez à cela sa passion pour les oiseaux dont il a transcrit tous les chants en notation musicale et vous avez un portrait approché de ses principales caractéristiques...

     

    Messiaen-stèle
    Tombe d'Olivier Messiaen au cimetière de Saint-Théoffrey près de Grenoble

     

        Écouter Olivier Messiaen, quand on en pénètre le langage, c'est entrer dans un univers solennel et contemplatif, nourri de textes bibliques allant du Cantique des Cantiques à l'Apocalypse de Saint-Jean, en passant par les Psaumes ou les épîtres de Paul. Si le texte n'est pas lui-même chanté en latin, dans l'esprit du plain-chant grégorien, il est indiqué en exergue et comme commentaire du passage symphonique considéré (par exemple dans Des Canyons aux étoiles). Tout est donc prétexte à méditation... Et c'est là que je voulais en venir aujourd'hui.

         J'ai repris cette grande oeuvre austère qui s'intitule La Transfiguration de Notre Seigneur Jésus-Christ.

           Construite sous la forme de deux septénaires, c'est-à-dire de deux séries de sept parties dont chacune se termine par un majestueux choral, elle présente dans son premier volet, outre le récit de la Transfiguration selon Saint Matthieu, des extraits très émouvants de Psaumes, du livre de la Sagesse et d'épîtres de Paul ; et dans le second, qui me touche moins parce que plus discoureur, des citations de Saint-Thomas d'Aquin et de la liturgie du jour.

         Pour ceux d'entre vous qui l'ignoreraient, il s'agit donc d'un jour où Jésus, entraînant avec lui ses trois disciples préférés (Pierre, Jacques et Jean qui était son frère), gravit une montagne élevée afin de leur y apparaître en secret sous une forme transfigurée, éclatante, et devisant avec Moïse et Élie dans une nuée lumineuse (Évangile selon Saint Matthieu, chapitre 17).

         Quatre fois au cours de l'oeuvre est repris ce passage du Livre de la Sagesse (chapitre 7, verset 26) :

    « C'est la blancheur de la Lumière éternelle, Son miroir sans tache, et l'image de Sa bonté. »

       Ailleurs, un extrait de l'épître aux Hébreux de Saint Paul (chapitre 1, verset 3) apporte une image impressionnante de la vision offerte aux apôtres :

    « Christ Jésus, Splendeur du Père, effigie de Sa substance. »

         Plus loin un passage très doux emporte mes suffrages, il s'inspire du Psaume 84 (début) :

    « Que tes demeures sont délicieuses ! 
    Mon âme languit après les parvis du Seigneur...
    Mon cœur et ma chair ont tressailli de joie pour le Dieu vivant.
    - Tes autels, mon Roi et mon Dieu... ! »

        Vers la fin, la Gloire du Tout-Puissant et la frayeur des apôtres est évoquée par cette formule, tirée de la Genèse (chapitre 28, verset 17) : 

    « Terrible est cet endroit : c'est la maison de Dieu, la Porte du Ciel. »

        Cependant malgré la beauté des textes, je me contenterai finalement de vous présenter le premier choral, intitulé Choral de la Sainte Montagne et qui s'inspire du Psaume 48 (verset 2). En effet, Messiaen cède constamment dans cette oeuvre à une emphase ponctuée de piaillements d'oiseaux qui peut agacer celui qui n'est pas totalement immergé dans un état contemplatif (et je dirais même : d'adoration !), et c'est le passage le plus stable et le plus harmonieux de l'ensemble.

         En voici la teneur (le texte est en latin) :

    Magnus Dominus, et laudabilis nimis ;
    In civitate Dei nostri, in Monte Sancto ejus.

    « Grand est le Seigneur et digne de toute louange,
    Dans la cité de notre Dieu, sur la Montagne Sainte. » 

     

     

          Vous apprécierez la manière qu'a le compositeur de partir d'accords classiques pour "tourner autour" en variant légèrement, en ajoutant des notes et en troublant l'ensemble pour revenir ensuite au clair... C'est à la fois intelligible et nouveau, à la fois déroutant restabilisant. Une des marques de sa personnalité.  

     

     


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         J'ai réalisé un montage photos pour illustrer sous forme vidéo une des plus belles pages d'Olivier Messiaen : Demeurer dans l'Amour, extraite de son œuvre de maturité "Éclairs sur l'Au-delà".

          Je vous le propose donc aujourd'hui. C'est une musique extrêmement émouvante, à condition que l'on prenne le temps de la pénétrer.



     

         Vous pouvez la mettre en plein écran...

            


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         La musique est un art merveilleux, sans doute mon préféré, parce qu'elle vous accompagne partout. Quel que soit votre état d'esprit, il y a toujours une musique qui y correspond. Quels que soient votre culture, votre humeur, vos besoins, il y a une musique qui y répond. Non seulement la musique demeure en toile de fond lorsque vous vivez et agissez (chez vous, dans votre voiture, à la gare ou au supermarché), mais en plus elle peut vous accompagner intérieurement, lorsque vous "entendez quelque chose dans votre tête", lorsque vous vous remémorez un morceau de musique et vous le passez intérieurement... 



    Oiseaux


        C'est d'ailleurs pourquoi beaucoup d'internautes lancent un lecteur automatique sur leur blog : ils pensent installer ainsi "leur ambiance" ! Quant à moi je me garde de le faire, l'ambiance de l'un ne correspondant pas forcément à l'humeur de l'autre...

          Nous-mêmes changeons d'atmosphère au cours de la journée : une musique va correspondre avec la gaieté du matin,  une autre avec la tranquillité de l'après-midi, une autre avec le vague-à-l'âme du soir ! En ce qui me concerne en tous cas, vous m'avez vu vous parler de bien des musiciens différents jusqu'à ce jour, et aujourd'hui je vais encore changer totalement de registre.

        J'ai intitulé cet article "le son primordial" : c'est peut-être ambitieux !...
        Mais que peut-il bien être, sinon cette pédale profonde et riche en harmoniques qui a donné naissance à l'accord parfait et qui sous-tend généralement la musique des Indes ?

    Vieilles rames de métro


         Lorsque j'étais jeune, le métro parisien n'était pas ce qu'il est aujourd'hui ; et passer d'une station à l'autre, avec le bruit des machines mêlé au frottement des roues et au déplacement des masses d'air, était un véritable enchantement : il s'élevait alors au fil de l'accélération une splendeur de sonorités telle que fermant les yeux je pensais :

          " - Voilà la  musique de l'avenir !!"

         Et le fait est que bientôt naquit ce qui devait s'appeler la "musique spectrale" et qui n'était nullement une musique de spectres, rassurez-vous, mais une musique de "masses sonores" dérivant comme dérivent les nuages, et plus ou moins inspirée des musiques orientales... 

         Car c'est de l'Inde bien sûr que vient la vérité sur le son primordial ! Cette vibration secrète de l'Univers d'où dérive la "musique des sphères", que l'occident s'appropriera en créant les notes de la gamme.
          Et c'est ce que l'on appelle le son "OM".

     

    OM

     

         Pourtant l'on conçoit communément d'abord dans ce "mantra", dans cette syllabe, une parole. Et celle-ci, considérée comme sacrée, est épelée plutôt de façon trinitaire sous la forme  "AUM". Que de significations, que de résonances évoque-t-elle !

          Si l'on consulte l'article qui lui est consacré sur Wikipédia, on constatera d'abord que ce mot est sensé, selon les écritures sanskrites, contenir le divin dans sa totalité :

    1. A  représente le commencement, la naissance, et le dieu créateur Brahmā ;
    2. U  représente la continuation, la vie, et le dieu Vishnu ;
    3. M  représente la fin, la mort, et le dieu destructeur Shiva.


        Dans sa prononciation même, selon les instructeurs orientaux nous émettons le son le plus parfait que le corps puisse produire, puisqu'il émerge du fond de la la gorge avec le "a", puis roule sous le palais avec le "ou" pour se terminer sur les lèvres avec le "m".

     

    Le son primordial


       Mais le plus étonnant, c'est que ces valeurs se trouvent réapparaître de façon évidente dans le Christianisme, sous la forme AVM (l'alphabet latin en usage à l'origine ne connaissant pas le U et le remplaçant par le "V" alors prononcé "OU"), associée à tort à "Ave Maria" : 

          On l'énonçait alors "AOUM" et cela évoquait la nature transcendante du Christ qui, selon l'Apocalypse de Jean, est l'Alpha et l'Oméga, soit le début et la fin de l'alphabet grec, c'est-à-dire l'origine et la destination de toutes choses. (En cliquant sur l'image ci-dessus, accédez à un site étonnant d'un chercheur scientifique actuel).

           Plus simplement, lorsque l'on rencontre ce "OM" au début d'une invocation ou d'un mantra, nous l'associons spontanément à la voyelle-syllabe "Ô" qui chez nous, depuis les grecs et les romains, est la traduction systématique de l'adoration : lorsque l'on reste incapable de trouver le moindre mot adapté à ce que l'on ressent, c'est le seul son que l'on soit capable de proférer, face au Suprême... 


    Bol tibétain


        Mais revenons au "son primordial". Quelle peut bien être cette vibration profonde qui évoque en nous la plénitude, la perfection absolue ? Elle est communément perçue plutôt grave, mais avec un large spectre de résonances, comme celles que l'on perçoit à l'écoute des cloches ou des gongs. C'est comme une note qui une fois émise et amplifiée se diffuse dans toutes les directions ; et toutes les directions, sur le plan musical, c'est toutes les notes qui entrent en jeu une par une - mais selon un ordre bien défini ... Voyez dans le travail de Julien Gili pour l'Université de Paris VIII Vincennes (ici à la page 11) ce qu'il montre des "harmoniques naturels" (le texte cité en italique est de Jocelyn Godwin dans "Les harmonies du ciel et de la terre", Albin Michel, 1994).

     

    Julien Gili-Jocelyn Godwin-Harmoniques

     

        J'ai inséré ce feuillet (que vous pouvez encore agrandir un peu en cliquant dessus) pour ceux d'entre vous qui connaîtraient la musique et seraient curieux de cette majestueuse différenciation progressive du son  diffracté dans l'Univers... 

          Mais pour les autres, et pour finir "en beauté", je voulais surtout vous faire connaître (si vous ne la connaissez pas déjà) une merveilleuse composition de Anugama, musicien justement célèbre dans le domaine "ambiance" et "new age" pour ses œuvres extrêmement chaleureuses et apaisantes. On trouve maintenant pratiquement toute sa production en ligne, entre youtube et ici des  téléchargements mp3 gratuits.

         Vous verrez avec quel art consommé ce musicien diffuse les harmoniques dont je parlais ci-dessus pour créer un univers sonore merveilleusement réconfortant et ressourçant. 

         

     
      Des pièces comme "Healing Earth" et "Shamanic Dream", avec des tenues profondes et des voix, ou Aquarius avec des timbres qui tintent, ont les mêmes vertus curatives. L'ajout de chants d'oiseaux, de sons de flûtes ou d'eau qui coule ne gâte rien.

         Entrer dans le mystère de cette musique, c'est vraiment se recentrer, et revenir à soi dans la plénitude : c'est pourquoi cette musique m'évoque irrésistiblement le son "OM" primordial...

      


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  •      Je vous ai parlé plusieurs fois d'Olivier Messiaen, musicien et poète d'une grande foi catholique.

           Malgré sa formation très poussée rendant ses œuvres parfois difficiles d'accès au profane il baigna sa musique d'un tel amour pour Dieu que certaines pages sont pure contemplation. 

      C'est le cas notamment dans le gigantesque opéra mystique sous-titré Scènes Franciscaines qu'il composa à la fin de sa vie en hommage à Saint François d'Assise (voir ici).

          Il en écrivit lui-même le livret en s'inspirant de textes franciscains et un passage m'a particulièrement frappée : celui où, dans le 2e acte, François cherche à s'approcher du Mystère de Dieu, quoique sachant que ce mystère n'est que Silence et Invisibilité.

     

    Saint François d'Assise

          Voici comment il s'exprime : 

    FRANÇOIS : « Ô Dieu éternel, Père Tout-Puissant, (...) montre-moi combien est grande l'abondance de douceur que tu as réservée à ceux qui te craignent ! »

        S'approche alors un ange resplendissant de lumière tenant dans sa main gauche une viole et dans la droite un archet recourbé (en fait l'Ange était là depuis quelque temps, connaissant François et l'affectionnant particulièrement...). Voici leur échange et surtout, ce que dit l'Ange : 

    FRANÇOIS : « Pardonne ma prière, bel Ange de Dieu. 

    L'ANGE      :    Ah ! Dieu nous éblouit par excès de Vérité. La musique nous porte à Dieu par défaut de Vérité. Tu parles à Dieu en musique : Il va te répondre en musique. Connais la joie des bienheureux par suavité de couleur et de mélodie. Et que s'ouvrent pour toi les secrets de la Gloire ! Entends cette musique qui suspend la vie aux échelles du Ciel, entends la musique de l'invisible... » 

     
        Cette vision de l'Art qui selon Messiaen permet une approche du Divin par défaut de Vérité, me séduit particulièrement, et je vais vous faire entendre de quelle manière le compositeur fait jouer à l'Ange la "musique de l'invisible"... 

     

    Ange jouant de la viole - Memling

     

       Évidemment il va utiliser pour remplacer la viole que l'on voit sur les peintures du moyen âge le son délicatement flûté de l'Onde Martenot, cet instrument rare et précieux qu'affectionnait Messiaen, dont j'ai déjà parlé ici  et sur lequel vous trouverez des détails inspirants accompagnés d'une belle présentation vidéo ici.

     

        En voici le résultat : 

     

     

          Dans l'Opéra, Saint François s'évanouit en l'entendant... 

        Si vous êtes intéressés, l'oeuvre est disponible dans son entier sur youtube et vous pouvez écouter cette scène en particulier ici à partir de 42'10 (développez les commentaires  dessous pour avoir les débuts des différentes plages).

     

     


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  •    Dans la première des Années de Pélerinage, consacrée à la Suisse, Franz Liszt composa une pièce méditative superbe : la Vallée d'Obermann, inspirée du roman épistolaire de l'écrivain français établi en Suisse Étienne Pivert de Senancour



       L'oeuvre est précédée de cette citation :

    «   Que veux-je ? Que suis-je ? Que demander à la nature ? … Toute cause est invisible, tout fin trompeuse ; toute forme change, toute durée s’épuise… Je sens, j’existe pour me consumer en désirs indomptables, pour m’abreuver de la séduction d’un monde fantastique, pour rester atterré de sa voluptueuse erreur. »

    Etienne de Sénancour, Obermann, Lettre 63

      

     

     


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