• L'expérience de l'impesanteur

     
          L'envol de Thomas Pesquet pour la Station Spatiale Internationale m'a interpellée, comme beaucoup d'autres sans doute, car outre l'aspect intrigant de l'aventure et le fait que l'on nous en parle depuis fort longtemps, il faut bien dire que le jeune héros est particulièrement sympathique. 

      

    Mais au-delà de la curiosité qu'inspire ce voyage exceptionnel, c'est une des déclarations de Claudie Haigneré juste avant son départ qui m'a frappée et ne cesse depuis de me trotter dans la tête... Il est donc possible que le fait de développer ici ses implications me permette de libérer les questionnements qu'elle a suscités.

           Je m'interroge un peu sur l'exactitude de mon souvenir car il m'est impossible de retrouver ses mots sur les vidéos ou articles reproduits sur le net. Cependant voici ce que j'ai retenu : à la suite de la déclaration reproduite ici à 1'04 et qui me semble tronquée, elle a dit que lorsque l'on se retrouve en impesanteur, l'élément le plus frappant est que l'on ne sent plus son corps.

          C'est cette formule qui m'a conduite à de longues réflexions.

           L'expérience de l'astronaute est donc particulièrement instructive.

         Imaginez que vous ne vous sentiez plus de corps ; que vous n'ayez plus de sensations externes, ni internes ; juste, que vous voyez et entendez... Est-ce que cela vous empêche de sentir que vous êtes ?  Vous flottez au-dessus du monde comme si vous n'étiez pas incarné ; et vous pouvez alors concevoir à quel point les souffrances, les joies aussi, tous les drames et tous les espoirs humains sont dérisoires, microscopiques, presque noyés dans cette bulle de rêve qu'est la planète Terre au milieu de l'immensité cloutée de lumière.

          Lors d'une opération des jambes j'ai connu une rachianesthésie : on ne m'avait "endormi" que le bas du corps, et j'ai alors curieusement eu l'impression que je n'existais plus que jusqu'au thorax, et que le reste s'était diffusé dans l'espace. Comme j'avais un rideau devant les yeux j'étais persuadée de n'être constituée que d'une tête avec deux épaules et deux bras et tout en me trouvant un peu tronquée je ne me sentais aucunement diminuée dans ma nature profonde...

        Cependant dans le cas de Thomas, ce serait la totalité de son véhicule charnel qui disparaîtrait de son ressenti ! Plus de corps ! Et pourtant la conscience est toujours présente. Une conscience, qui non seulement est consciente d'elle-même, mais en plus peut contempler le monde et concevoir sa fragilité au vu de la rapidité des nébulosités qui fuient dans son atmosphère, constamment perturbée face à l'inaltérabilité de l'abîme cosmique. 

            Cette situation peut paraître effrayante évidemment, et c'est tout le sujet du film "Gravity" que j'ai visionné avec grand intérêt il y a quelques années. Il montre que nous nous ressentons comme des plantes issues de la Terre, et que la gravité qui nous rattache à notre planète est comme une racine d'où nous tenons à la fois nourriture et sécurité. Se perdre dans l'espace semble pire que se noyer dans la mer...

           Et c'est là que l'on touche à l'aspect maternel de cette planète qui nous porte et à laquelle nous empruntons tous ses éléments, car elle contient à sa surface d'Étoile transmuée en Jardin d'Eden tout le nécessaire à l'éclosion et à l'épanouissement de la Vie ; mais aussi, à l'insignifiance des éléments qui varient à sa surface : temps, distances, histoires personnelles... 

         Or par une étrange coïncidence il m'a également été envoyé ces jours-ci une vidéo illustrée par un chant merveilleux composé par un musicien que je ne connaissais pas (Craig Pruess) pour célébrer les 108 noms sacrés de la « Mère Divine ». Retransmise sur youtube sous de nombreuses vidéos différentes, cette évocation magnifique désigne notre "mère" comme un grand corps vivant dont nous ne serions que les éléments mouvants, tour à tour apparaissant et disparaissant, épanouis et meurtris, industrieux et flâneurs... Cependant à en croire les images montrées, elle dépasserait de loin le cadre de notre seule planète.

          J'ai trouvé à cette page des éléments de décryptage de cet émouvant hommage ; mais c'est en anglais et le texte semble éloigné de la formulation sanskrite qui évoque une à une les "Shakti" (ou aspects féminins) des différentes divinités hindoues. Avec la voix délicieusement inspirée de "Ananda", je vous propose de la découvrir ici dans cette vidéo qui n'en donne que le début :



     

        Vous la trouverez en entier (20'30) à plusieurs emplacements, mais avec une imagerie plus ou moins adaptée à notre goût (aucune ne me convient parfaitement d'où ma réticence à vous y envoyer)... C'est à cette page, où elle est jouée deux fois, que l'illustration choisie semble la plus appropriée car il s'agit de notre belle planète.

              

          

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  • Commentaires

    1
    danae
    Jeudi 24 Novembre 2016 à 12:48
    J ai bien aime ta reflexion et je trouve qu il y a une ressemblance entre se bouger dand l espace et en plongee dans la mer
    Admirable cette experience de thomzs
      • Jeudi 24 Novembre 2016 à 18:24

        Ah oui, de toutes façons il y a beaucoup de points communs entre la vie dans l'espace et la vie en plongée, entre le fait de créer un atmosphère artificielle et le fait de peser moins lourd - mais dans l'espace c'est bcp plus étendu et on ne pèse plus rien du tout !

    2
    Jeudi 24 Novembre 2016 à 17:57

    J'ai lu, puis relu, avec beaucoup d'intérêt tout ton développement sur l’idée de l'absence consciente du corps. Cela m'a passionnée et en plus ma formation philosophique, même si je m'applique à l'oublier, est sensible à la manière dont tu proposes et argumentes. Amitiés.

      • Jeudi 24 Novembre 2016 à 18:26

        Merci, Ariaga. Tu réchauffes mon coeur de cancre. Mais même si j'étais un cancre en matière de connaissance des textes philosophiques je réfléchis vraiment... Toutes mes amitiés.

    3
    Jeudi 24 Novembre 2016 à 21:03
    durgalola

    quand j'ai lu une première fois ton texte, je me suis rendue compte que j'avais mal à la hanche, fatiguée, un peu chaud. cela doit être particulier de ne rien sentir. Tu as relevé une phrase importante. Le seul moment où je ne sens pas mon corps est dans le rêve .. et pourtant je reste moi-même. Merci aussi pour la musique et les noms divins. Bises et bonne soirée

      • Jeudi 24 Novembre 2016 à 21:22

        Oui, je me disais aussi que dans le rêve en principe on ne sent pas son corps ; mais cela dépend de l'intention du rêve. Parfois, lorsque c'est important, on a un ressenti très fort. Ainsi il m'est arrivé de ressentir comme une brûlure au bras ou au dos parce que qqchose me "touchait" : je pensais donc retrouver cette sensation à mon réveil, et à ma grande surprise il n'en était rien. 

    4
    Jeudi 24 Novembre 2016 à 21:04

    Une excellente réflexion sur l'impesanteur, le poids de la conscience dans un corps que l'on ne sent plus... Peut-être un moyen d'oublier sa condition de simple mortel prisonnier de son corps physique... 

    Thomas vit une épatante expérience...

    Quelle divine musique !

    Bisous du jeudi soir Aloysia.

    Béa kimcat

      • Jeudi 24 Novembre 2016 à 21:25

        Oui, Thomas sort de la condition humaine classique. Mais comme on l'a entraîné à utiliser son corps même sans le sentir, qu'il a plusieurs compagnons et non seulement quantités de choses à toucher, mais en plus beaucoup de travail à faire - sans parler des liaisons téléphoniques et télévisuelles avec la Terre -, en fait cela restera pour lui une pure épreuve physique. Cependant le témoignage de Claudie Haigneré rappelle que l'on n'en sort pas indemne... 

    5
    Vendredi 25 Novembre 2016 à 11:07

    Oui c'est presque certain qu'il ne s'en sortira pas indemne. De même que les hommes qui ont marché sur la lune !

    Bisous Aloysia et bon vendredi.

    Béa kimcat

      • Vendredi 25 Novembre 2016 à 14:06

        Bises, Béa.

    6
    kakushiken
    Vendredi 25 Novembre 2016 à 12:10

    Selon ma compréhension, les astronautes ne ressentent plus le poids du corps... Mais les sensations sont toujours là : froid, chaud, faim, soif, fatigue, etc...

    La conscience est aussi là. Sinon à quoi bon envoyé des types qui végèteraient et seraient incapable de bosser et d'interagir avec leur environnement...

    Je ne considère pas du tout les astronautes comme des héros... Ce sont des techniciens hyper-entrainés, des professionnels de l'extrême...

    Mais c'est là juste mon avis.

     

      • Vendredi 25 Novembre 2016 à 14:11

        Et c'est bien la vérité. Mais s'ils n'étaient pas chargés de toutes ces missions, et à chaque moment de repos (Claudie Haigneré s'en fait le témoin ici au 4e paragraphe de son interview), ils vivent une expérience inouïe qui  nous permet de comprendre que nos corps ne nous définissent pas, pas plus d'ailleurs que cette planète ou cet espace que nous pouvons contempler... 

    7
    Samedi 26 Novembre 2016 à 17:12
    Daniel

    Lorsque je médite mon corps n'existe plus ou du moins je ne le sens plus. Ma conscience est ailleurs. Difficile à expliquer. Mais je ressens que ma conscience peut voyager loin.

      • Dimanche 27 Novembre 2016 à 11:31

        Ça c'est super... smile

    8
    Dimanche 27 Novembre 2016 à 00:07

    Les pieds sur terre et la tête dans les étoiles : ce n'est pas simple d'être humain.

      • Dimanche 27 Novembre 2016 à 11:34

        C'est merveilleux d'être humain ! "Par la connaissance, égal à Dieu, par la destinée, égal à la créature..." (Wyschnegradsky) 

    9
    gazou
    Dimanche 27 Novembre 2016 à 22:16

    Merci pour cette belle musique !

      • Lundi 28 Novembre 2016 à 11:29

        Oui, elle est merveilleuse... sarcastic

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      Commentaire :


    10
    Mardi 29 Novembre 2016 à 11:32

    Ton récit me fait penser à un livre que j'ai lu il y a quelque temps : "La preuve du paradis" de Dr Eben Alexander. Ce médecin, revenu miraculeusement à la vie, raconte qu'alors que son corps était en état de mort cérébrale, sa conscience a voyagé et exploré des univers inimaginables. D'après lui, la mort du corps n'entraîne pas la fin de la conscience.

    Mes amitiés et merci pour ton passionnant article

    Alain

      • Mardi 29 Novembre 2016 à 18:33

        Oui, tout à fait, et il n'est pas le seul dans ce cas !! money

    11
    Thierry
    Mercredi 30 Novembre 2016 à 11:32

    Bonjour Aloysia , oui les spationautes s'entrainent en piscine car avec la poussée d’Archimède ça les rapprochen assez bien des conditions d'exécution des activités extra véhiculaires quand ils ont une combinaison et sont alourdis de plus de 100 kilos

    sinon on peut les suspendre avec des poulies comme les bébés avec les baby bouncer et là libéré de la gravité ils se meuvent sans effort prenant appui oui il peuvent, moins désorientés tout de même.

    Les vols paraboliques sont la seul opportunité de créer une micro gravité qui dure quelques dizaines de secondes au plus dans la ressource d'un avion qui les mets cette fois dans des conditions de ressentis (avec les effets pervers et les doggy bags) proches sauf que pour aller la haut ils auront aussi fait de la centrifugeuse car la fusée va leur appliquer quelques G et le retour en capsule aussi.

    On ne peut atteindre des vitesse de satellisation sans efforts à l'aller comme au retour , le retour à la normal implique ces fortes variations de vitesse.

    Flotter c'est étrange car les systèmes de repérage et le vestibulaire notamment sont dérangés , mais on peut aussi prendre la grosse tête car le sang se réparti plus uniformément dans le corps, et la tête justement :)

    que dire des os et muscles et du manque d'effort qui oblige sous peine d'être une larve au retour à des entrainements quotidiens de remobilisation des chaines musculaires.

    Après la révélation qu'on certains c'est affaire de sensibilité et d'imaginaire, assurément.

      • Mercredi 30 Novembre 2016 à 14:09

        Merci de ces intéressantes précisions matérielles.



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