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         La quête de la Vérité peut être comparée à un homme qui a soudain l'impression de ne pas voir clairement et se rend chez un opticien pour obtenir des lunettes.

     

    Optique-image Dreamstime

     

          Celui-ci lui pose alors sur le nez un drôle de petit appareil métallique assez lourd, dans lequel il va insérer successivement des verres ronds qu'il va changer, infléchir, disposer de façon variée.

           - Et là, c'est mieux ? dit-il... Et comme ça, c'est mieux ou moins bien ? 


     °   °   °


          L'homme passe par une série d'expériences de tous ordres qui lui présentent les choses plus ou moins floues, plus ou moins distordues, plus ou moins colorées lui permettant une appréciation toujours plus complexe et plus affinée de leur nature.

             Ces verres symbolisent  d'abord les études dans lesquelles il se lance...


    Etudes spirituelles



            En effet il est persuadé que la Vérité est quelque chose de très éloigné, qu'on ne trouve que dans de très anciennes traditions comme la Bible ou les ouvrages des Alchimistes. Il faut donc pour la trouver fournir de gros efforts intellectuels et bien sûr être particulièrement favorisé par une naissance qui vous y mène culturellement. Il se réconforte à l'idée d'être un élu, une sorte de Docteur Faust à qui est assuré un succès solitaire et exceptionnel.

          Mais plus il étudie, et plus le but de sa recherche lui paraît s'éloigner. Plus il approfondit son sujet, et plus celui-ci se complexifie. Plus un arcane lui semble plausible, et plus mille autres arcanes se présentent pour le contredire.

          Le verre proposé est donc complètement opaque ! Il ne voit rien à travers ces lunettes... Et l'opticien lui en propose d'autres, qu'il module plusieurs fois devant ses yeux en lui offrant un ballet de courbes gracieuses.


    Lecture


         Ce nouveau jeu de verres est à l'image de lectures beaucoup plus accessibles : des livres qui viennent d'être écrits, par des auteurs encore éloignés par rapport à lui ou récemment décédés mais déjà tellement plus proches de son vécu que notre ami s'y plonge avec délices !

             Un instant il y voit nettement plus clair. Ces ouvrages lui plaisent. Il y croit. Il pense que leur absorption par son esprit suffira à changer radicalement sa vie.

         Hélas cela ne fonctionne pas... Dès le livre achevé, la sensation de victoire et de compréhension qu'il suscitait disparaît. Ce que l'auteur présentait de façon si limpide ne s'adapte pas au quotidien de notre chercheur, car il ne peut le maintenir présent à sa pensée, l'intégrer à son expérience personnelle.

            Le verre ne convenait pas, la vision reste distordue et il faut en trouver un nouveau, encore plus fort.

              - Essayons celui-là, propose alors l'opticien.


    Méditation



           Le nouvel appareillage  pourrait s'apparenter à une mise en pratique des théories étudiées ou lues. Puisque qu'avaler mentalement ne suffit pas, notre personnage passe à l'action ! Il décide de tout mettre en oeuvre pour appliquer ce que préconisent les auteurs qui l'ont séduit.

           Plein d'enthousiasme à l'idée de voir se rapprocher de lui ce qu'il pensait à l'origine être si éloigné, il achète des objets lui permettant de s'investir totalement dans cet effort : un coussin de méditation, des encens ; un tapis de yoga, des huiles essentielles...; des pierres, un pendule, des tarots ... ; ou encore des croix, des icônes, des chapelets. Il s'inscrit à des stages, des retraites, des séminaires. Il suit des thérapies, des cours, se paie des sessions de transformation de soi. Il effectue des pèlerinages, s'offre des voyages vers des lieux sacrés, croit en le pouvoir d'un bain de nature vierge. Cela le nourrit intensément,  cela le passionne ! Il cherche à appliquer dans son quotidien des techniques de contrôle de la pensée, fait confiance au travail intérieur.

          Mais le verre n'est toujours pas adapté... La vision ne vient pas !

       Toutefois il peut se sentir bien avec ces verres-là. Les trouver confortables, esthétiques. S'arrêter totalement de chercher et choisir d'apprécier la vie qu'il mène ainsi, heureux avec une vision des choses plus colorée, plus chaleureuse et plus riche.

        Après tout, bien d'autres s'en contentent ! Même si en lui demeure une impression d'inachèvement, il peut baisser les bras... du moins pour un temps, et tant que ne survient pas dans son existence un événement catastrophique propre à lui faire remettre en question tous ses acquis...

     

           Mais il peut aussi vouloir davantage.

         Et se réveiller soudain à nouveau avec l'impression que d'autres voient beaucoup mieux que lui ! La gamme de sa vision est incomplète, cela lui devient évident : autour de lui des témoignages de la Vérité incarnée affluent, se rapprochent... Ils ne sont plus dans le passé ; ils ne sont plus à des milliers de kilomètres ; ils ne sont plus étrangers ; ils lui apparaissent ! Autrement dit, le verre dont il s'était contenté s'avère présenter une grosse tache obscure en plein milieu qu'il n'avait même pas remarquée. 


    Ecoute de la Parole



          Un nouveau filtre est enfin offert à son regard : celui de l'écoute. L'écoute de la Parole perdue...

         Il a rencontré un être réalisé ; un être dont la puissance fulgurante l'attire irrésistiblement. Puissance bien invisible pourtant puisqu'elle ne se voit pas, bien au contraire ! Alors, qu'a-t-il bien pu percevoir à travers cette fenêtre déposée sur son nez ? C'est la question qu'il se pose !

          Par l'écoute, il lui est proposé de ressentir ; par l'attention fervente, d'absorber une qualité nouvelle, inconnue ; par la fréquentation, de se laisser imprégner d'un mode d'être qui lui échappait jusqu'alors.

         Mais la Vision se transmet-elle par simple contagion ? Hélas non, ce n'en est qu'une approche différente. Cependant ajoutée aux précédentes elle est plus vive : ses yeux le piquent maintenant !

     

          C'est la proximité qui compte ; c'est le fait que ce soit là, juste là, devant.

          Qu'il suffise d'un pas pour la toucher, juste un... 

     

           - Et là, est-ce que c'est mieux ? dit enfin l'opticien.

     

    °   °   °

      

            Soudain tout se déchire.

            Soudain l'homme s'aperçoit qu'il joue.

            Qu'il n'y avait ni verres, ni opticien.

             Qu'il n'y a jamais eu de vision floue.

             Que simplement il rêvait... !

            Rêvait qu'il y avait quelque chose à voir ; quelque chose qu'il ne voyait pas bien. Et puis qu'il était une personne en quête d'amélioration, face à un autre disposé à l'y aider.  

             Mais qu'y avait-il là au juste ?

             Personne !

             Ou plutôt si :

     

             Partout le même, le même, le même répandu à l'infini...

            Soi-Même miroitant à l'infini sous une infinité de formes mouvantes et variées.

             Soi-Même se souriant à Soi-Même à l'infini...

     

    Ange au sourire - Reims

     

     

           


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  •        Dans ma jeunesse j'entendais souvent mon père, romantique invétéré, entonner l'air de Don José dans Carmen :

    La fleur que tu m'avais jetée
    Dans ma prison était restée... 


     *  *  *

         
          Ce matin, alors que je méditais, mon Maître m'a donné une fleur. 

          Elle m'a inspiré cette histoire.

     

    La fleur

     

           Il était une fois dans un temps très lointain, dans un pays très lointain, un enfant qui se réveilla un matin dans le noir.

            Autour de lui tout était noir. Avançant les bras il ne trouvait que ténèbres ; sous ses pieds il ne sentait que ténèbres ; autour de son visage il ne respirait que ténèbres...

           Saisi de peur, il pleura.

          Il sentit alors quelque chose chuter légèrement à ses pieds. Alerté par le bruissement très doux que cela produisit il baissa les yeux et fut tout surpris d'apercevoir une lumière, une douce et subtile lumière qui se dégageait d'une jolie fleur rosée délicatement parfumée.

           À la lueur créée il put alors découvrir avec étonnement qu'il était debout sur une terre humide, et que la fleur s'y était aussitôt enracinée.

          Il la regarda avec bonheur : quelle douce lumière ! Quelle merveilleuse couleur diaprée ! Quel réconfort elle lui procurait soudain !

             Il arrangea la terre qui se trouvait autour de manière à s'asseoir devant elle pour la contempler, tandis qu'il lui laissait un maximum d'eau pour sa subsistance... en effet elle semblait apprécier particulièrement le marécage où elle s'était nichée.

    Fleur-lumière

           Petit à petit la lumière s'accroissait tandis que sous ses yeux la fleur grandissait imperceptiblement.

         Et c'est ainsi qu'il aperçut peu à peu les contours de son univers. Il était prisonnier ! Ses yeux écarquillés dans l'obscurité percevaient maintenant des murs de pierre : des murs lisses de tous côtés et même par dessus lui, sans la moindre ouverture.

            Il était dans un cachot ! Peut-être même dans un tombeau !

        Aucune trace de vie ne subsistait dans ces ténèbres implacables, dans ce silence absolu, si ce n'est cette fleur miraculeusement tombée qui répandait sa grâce inlassablement, l'éclairant, l'abreuvant, le nourrissant lui semblait-il à chaque instant.

          Alors, il ne cessa plus de la regarder. Elle le rassurait et brillait si fort qu'il lui semblait qu'elle seule existait dans la pièce, comme si lui-même n'était même plus là. Et le plus intéressant, c'est que non seulement elle continuait de pétiller sa clarté magique, mais en plus elle grandissait. Elle grandissait !...

         Par moments il s'assoupissait, bercé par sa douce chaleur. Et quand il s'éveillait, elle avait encore grandi. La lumière émanant de son cœur était devenue un puissant rayonnement miroitant comme l'éclat de l'or. Ses fulgurations éclaboussaient les murs, semblant en ébranler la substance qui se floutait misérablement.

    Tarot Zen - Le courage



           Un jour, il la découvrit plus grande que lui. Non pas plus haute sur sa tige, mais gigantesque, magnifique avec son cœur flamboyant et ses fins pétales comme une maison de nacre prodigieusement ouverte devant lui, glorieusement épanouie, odorante et jaillissante comme une symphonie.

          Ce jour-là il éclata de rire. Il n'avait encore jamais ri comme cela ! 

           Il se sentait plus fort. Il se sentait plus grand. Il n'avait plus peur de rien. Il se savait immensément protégé.

       Il sentait que de cette fleur émanait une puissance incommensurable, contre laquelle rien ne pourrait lutter, pas même ces murs qui sous l'effet des radiations commençaient à s'estomper piteusement, inexorablement.

     

        Mais oui, il les voyait s'effacer, s'effondrer sur eux-mêmes comme un château de sable que la mer envahit ! 

       Et il voyait la Fleur immense traverser le plafond comme on traverse une ombre entre deux rais de lumière.

         Il voyait qu'il n'y avait jamais eu ni prison, ni ténèbres et que cela n'avait été qu'un rêve, un  simple nuage dans sa conscience.

     
       ... Il voyait enfin que la Fleur l'avait pris lui-même dans son embrasement et qu'il s'y était perdu, absorbé au centre même de la Lumière.

     

     Bouddha-lotus

     

    *  *  *

     

          Pour conclure par rapport à l'introduction et en relation avec l'article précédent : est-t-il utile de savoir qui a jeté la fleur ? La personne imaginée ne faisait-elle pas partie du rêve ? Existe-t-elle encore ?...

     

     

     


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          Voici une méditation qui fait suite aux articles concernant l'attachement (ici et ).

     

         Ce matin-là marchant dans une forêt balayée par le vent, Annaëlle interrogeait son Être intérieur :

             -  Maître, suis-je un individu séparé ? 

          La question restait en suspens. Et elle attendait, oubliait, y revenait…

         Enfin elle se fit cette remarque : habituellement, le Maître intérieur répond aussitôt. Pourquoi là ne répondait-Il pas ? Il devait y avoir quelque chose qui n'allait pas dans sa question... Elle devait faire une erreur.

           Elle s’assit sur un tas de bûches disposées par un forestier et contempla un moment les cimes des jeunes arbres agitées en tous sens, semblables aux vagues d’une mer déchaînée dont la surface serait très loin au-dessus de sa tête tandis que peu à peu elle se sentait devenir comme un petit poisson niché dans le calme des profondeurs. Le jeune tronc auquel elle était appuyée bougeait à la manière d’un animal vivant et le banc de fortune sur lequel elle était posée se mouvait aussi légèrement, entraîné sans doute par les racines que l’arbre étirait en se penchant. Cette sensation d’être incluse dans le paysage, de participer à sa vie et à sa danse tout en y étant totalement protégée était à la fois délicieux et sécurisant. Il lui semblait baigner dans la paix et l'harmonie, dans la douceur et l’amour, et ce vent puissant qu’elle entendait inlassablement dans les hauteurs lui évoquait le souffle de l’esprit errant comme un fou loin, loin au-dessus d’elle et de l’âme des choses.

           Elle se remit en route en se concentrant sur cette idée de séparation, et se demanda si cela correspondait à une réalité. 

           Si on est « séparé » pensa-t-elle, où commence la séparation ?

        Avec ses cinq sens elle percevait l’univers autour d’elle ; et si elle considérait par exemple la vision, celle-ci partait de son œil et s’étendait à tout ce qui l’environnait. De même pour l’audition : elle entendait à partir de l’oreille proprement dite et  jusqu’au loin. Quant aux sensations tactiles, c’était encore plus net, elles démarraient directement de sa peau. Était-elle donc séparée de ce qu’elle percevait ? Eh bien non, puisque cela la touchait, cela partait de l’organe lui-même. Cela débordait de l’organe vers l’extérieur ou se déversait dedans selon la manière dont on voulait concevoir le processus.

        De plus, elle constata que si elle nommait les choses, c’était tout simplement parce qu’elle les connaissait déjà ! Elle pouvait donc dire, non seulement qu'il n’y avait pas de séparation entre son corps et l’extérieur, mais en plus que les choses lui apparaissaient parce qu’elle les avait pensées ! En quelque sorte elle les « re-connaissait » !

         Était-ce pour cela qu’existait cet adage : « Lorsque le disciple est prêt, le Maître apparaît » ? Cela ne voulait-il pas dire tout simplement : « Lorsque le disciple a conçu clairement le Maître, il Le voit » ? Ainsi écrivait également Boileau : « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement » (autrement dit « apparaît avec clarté » !)

        Ces découvertes l’emplirent de stupeur. Soudain tout semblait devenir miraculeusement intelligible à son esprit.

          En effet peu auparavant elle avait entendu le Maître intérieur lui dire ceci :

          -  Ce que Tu vois, Tu l’Es ! Qui veux-tu être d’autre ? ...

         Et elle n’avait pas encore réussi à « digérer » cette réponse. Voilà pourquoi maintenant elle ne pouvait en entendre davantage !

         Si le Maître était suscité par son aptitude à Le concevoir, où pouvait être la séparation ?

         Par les cinq sens, elle se voyait reliée au monde sans la moindre coupure. Mais cela se limitait-il aux sens ordinaires, et certaines opérations mentales ne pouvaient-elles pas remplir la même fonction ? Par exemple lorsqu’elle écrivait à quelqu’un, n’était-elle pas également reliée ? La pensée, l’intention, ne jouaient-elles pas ici le même rôle qu’un organe sensoriel ? Sa main traçait des caractères, les caractères parvenaient jusqu’aux yeux de la personne, celle-ci répondait, sa réponse lui arrivait et touchait sa vision puis sa compréhension : il y avait une continuité parfaite, aucun obstacle…

        De même, lorsqu’elle se déplaçait en marchant, il y avait encore une sensation spatiale qui la faisait se situer par rapport à des données sensorielles : mais avait-elle jamais quitté cette totalité qui accompagnait en permanence sa perception ?

         Ainsi ses sens la reliaient, sa pensée la reliait, ses sensations internes la reliaient. D’où provenait donc le sentiment de séparation si intense, et pourquoi avait-elle ce besoin de se situer comme un « je » avec ses caractéristiques, face à un « tu » qu’elle définirait autrement ?

         Son investigation l’entraînait dans une sorte de glissade qui effleurait à peine sa pensée tout en la faisant trembler à l’intérieur.

          Si ce qui était perçu par ses sens prenait pour elle une signification, c’était uniquement parce qu’elle identifiait les choses et donc les « interprétait » : c’était une opération mentale. Le mental se collait sur les choses et les définissait, les délimitait, les cloisonnait, les classait, les jugeait… il se livrait à un travail de dissection incroyable qui modifiait totalement leur apparence. Comme à Babel, il « traduisait » dans sa propre langue tout ce qui est ; c’était un Alien qui déformait tout ! Par exemple elle croyait voir un arbre ; mais c’était juste une pensée : le mental avait simplement étiqueté « arbre » une partie de sa vision. Elle croyait sentir le vent souffler, mais c’était encore une pensée ! Le mental interprétait le son et la sensation à sa manière… Elle marchait, et c’était encore une pensée : le mental relevait des sensations internes pour en fournir son propre décodage. Et tout s’ensuivait : impressions, émotions, idées, tout ce qui apparaissait à sa conscience était interprété, traduit selon la fantaisie mentale.

        ...  Il en était donc de même du « je » qui avait surgi lui aussi, semblable aux nuages dans le ciel ou aux bourrasques subites… ! D’où était-il venu ? Où s’en allait-il ?...

         Quand elle disait : « je vois », qui s’exprimait ainsi ? … N’était-ce pas juste une pensée ? Qui voyait ? Qui disait « je » ?

          C’est là que tout devint très flou…

        En effet : qui voyait ? Qui entendait ? Qui réfléchissait ? Qui disait « je » ? Qui était reponsable des pensées, des sensations apparues ?

           Et enfin, qui était séparé, et de quoi ??...

           Elle perdit pied pendant quelque temps puis retomba, car rester dans cette position indifférenciée est aussi effarant que se trouver en apesanteur. Elle ne put s’y maintenir.

           Mais par contre il devenait tout à fait évident que sa question avait été mal posée. Car lorsqu’une phrase débute avec « je », il y a obligatoirement une entité distincte pour la formuler et la réponse ne peut être que : « oui, il y a séparation ».  

           Tandis que dans la Réalité ultime aucune séparation n’existe... Seulement il faut alors supprimer la question afin d'abolir la mise en vis-à-vis de personnalités séparées.

     


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          Une histoire me trotte dans la tête depuis ce matin... Peut-être pourrais-je vous la partager ? Si elle me poursuit, c'est qu'il y a quelque chose de caché à l'intérieur.

     

    Incendie

     

           La voici donc, à quelques détails près peut-être car ma mémoire peut me faire légèrement défaut. Elle se déroule en 1898 à Saint-Maixent, en France et peut-être l'été (je l'espère du moins).

     

           C'est une famille de tailleurs. C'est pourquoi ils habitent une belle maison dans cette ville où l'on apprécie la bonne facture des costumes militaires.

        Les quatre garçons (Marcel, 12 ans, Camille, 10 ans, Fernand, 8 ans, et Maurice, 4 ans) sont promis à un bel avenir, car très brillants dans leurs études ; de plus ils pratiquent tous un instrument de musique ou doivent s'y adonner sérieusement tôt ou tard. Et il s'y ajoute par bonheur une jolie petite fille de 6 mois (Suzanne).

         Mais voilà que cette nuit-là un violent incendie se déclare dans l’atelier, gagnant immédiatement la maison. Les parents, rassemblant en hâte leurs enfants, se précipitent dehors dans le noir... Ils se retrouvent dans la rue, en pyjama, à demi réveillés, regardant avec incertitude le brasier tandis que le père, fébrile, recompte tout le monde. La mère est arrivée avec Suzanne dans les bras et Maurice à la main, les deux grands sont là mais... il manque Fernand !!

        N'écoutant que son courage, le père se rue dans l'escalier fumant pour chercher son fils au milieu des flammes. Celui-ci, profondément endormi, n'a sans doute rien entendu ni compris de la situation.

         - Fernand ! Tu n'as pas entendu nos appels ! Il faut sortir tout de suite !

         Vite, le père l'attrape par le bras et fonce vers le palier. Fernand crie :

        - Papa ! Papa ! Je perds mon chausson !

        - C'est pas grave ! Tu le laisses ! répond le père en dévalant les marches.

        Ouf !! À peine ont-ils franchi la porte d'entrée que l'escalier s'effondre derrière eux. 

          Fernand se retrouve grelottant à l'extérieur avec les siens, un pied nu et un pied chaussé. Stupéfait.

          Sa famille sera ruinée. Il n'auront sauvé que leurs vies, et s'en remettront difficilement avec le soutien d'amis tandis que les garçons obtenaient le droit de poursuivre gratuitement leurs études de collège en raison de leurs excellents résultats... jusqu'à ce que leurs parents leur demandent de travailler pour les nourrir.

          Et puisque c'est aujourd'hui le souvenir de la guerre de 1914-18, ajoutons que Fernand survivra à son séjour dans les tranchées malgré une sérieuse blessure en 1917 ; mais que le petit Maurice sera tué sur le front  à l'âge de vingt-deux ans et ramené au camp quelques jours plus tard par son frère Camille, qui était brancardier dans les environs.

         Quant à Camille, il verra son propre fils né en 1923 mourir quasiment au même âge (1945) au camp de Mauthausen, où il fut enfermé pour faits de Résistance.

     

        Si je pense à cette histoire aujourd'hui, c'est bien sûr en relation avec la quête qui consiste à détruire l'ego.

         En effet si l'on parle de destruction, c'est que pour le mental elle semble réelle et s'accompagne de toutes les émotions et impressions correspondantes, comme par exemple celle d'être pris dans l'incendie de sa maison.

        Un jour, tout s'écroule ! Et là, ce n'est pas le moment de regarder en arrière... De même qu'Orphée échoua dans sa quête lorsqu'en sortant des enfers il eut la faiblesse de rechercher derrière lui l'image d'Eurydice ; de même Fernand serait mort avec son père s'il s'était baissé pour ramasser son chausson.

        On perd tout ! Gare au petit sentiment, au petit souvenir que l'on veut sauvegarder ! Pour une épine de ce monde que vous voudriez conserver, vous perdrez votre Vie véritable : c'est ce que le souligne Attâr avec véhémence à la fin du "Cantique des Oiseaux", affirmant que l'anéantissement doit être total (voir ici).

           Cependant, cette image de l'incendie d'une maison reste plus positive car elle nous rappelle que l'enjeu - être Vivant - est suffisant pour conduire au renoncement de façon quasi évidente.

     

     


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    Tarot Zen-La Solitude - modifié

     

         Une loupiote brille dans la nuit. Une petite voix s'élève :

    - C'est encore loin ? 

         La nuit paisible s'étend à l'infini, rayonnante de sérénité.

         La petite voix reprend, comme se répondant à elle-même :

    - Peut-être qu'en réalité on n'avance pas... 

         Le silence est plus profond qu'un tapis de soie.

    - Peut-être qu'il faut attendre ici ?

         La loupiote stationne un instant, tentant de percer les ténèbres plus obscures que jamais.

    - Je ne comprends pas, il me semblait bien qu'il y avait quelqu'un devant moi tout à l'heure, et maintenant je ne vois plus l'autre lumière... Il y a quelqu'un ?... Non, il n'y a personne...

         Silence.

         Soudain : zzzz-sclatsch !!

    - Aaaaahhhh !

     

    Eclair

     

         Un éclair fulgurant a traversé la nuit, inondant tout de sa clarté. 

          La loupiote a fait un bond gigantesque sur place, de surprise.

    - Qu'est-ce que c'était ? J'ai vu quelque chose ! J'ai vu quelque chose ! Mais c'était quoi ? C'était quoi ? Je ne peux pas me rappeler ! Je n'arrive pas à me rappeler !!

         Elle se remet à avancer dans les ténèbres retombées.

    - Comment cela s'est fait ? Qu'est-ce que j'ai bien pu faire pour provoquer ça ?! Voyons... C'était : "Silence"...

          Silence ...

           Silence ...

    - Ça ne marche plus... Je n'y vois toujours rien...  Je suis désespérée...

          La lumière tremble et dans l'obscurité feutrée il y a comme une douce complicité. 

     


         La musique s'écoule comme une source et parle avec une voix amie.

       Si j'ai choisi cette version de la "Louange à l’Éternité de Jésus" tirée du Quatuor pour la Fin du Temps d'Olivier Messiaen, c'est pour la beauté de l'interprétation comme celle de la prise de vue, et non pour la question "Qui est Jésus ?" qui vient l'orner de façon incongrue. Mais pourquoi ne pas se la poser en effet ? 

       Avec l'approche de Noël, il semble que le moment soit venu de comprendre, avec cette musique, que si Jésus est véritablement éternel, il n'est forcément jamais ... or s'il n'est jamais né, il n'est non plus jamais mort

        Et dans ce cas, que s'est-il donc passé en cette fameuse "nuit" que l'on place traditionnellement au 25 décembre parce que c'est la période où nous connaissons les ténèbres les plus profondes, les nuits les plus longues et même les jours les plus sombres ? Que s'est-il passé, dans les profondeurs du désert et de la solitude ? 

          Est-ce vraiment un évènement du passé, un évènement historique ? Ou n'est-ce pas un conte, un mythe destiné à nous rappeler symboliquement ce qui se déroule justement au plus profond de nous-même ?

     

    Subitement une grande lumière est apparue... 

    C'est bien ce que disent les chants de Noël, n'est-ce pas ? 

    Michaud veillait le soir dans sa chaumière
    Près du hameau : il gardait son troupeau.
    Le ciel brillait d'une vive lumière,
    Il se mit à chanter : "Je vois ! Je vois !
    Je vois l'étoile du berger !"

    (Noël traditionnel de Gascogne)


          Il "veillait" : comme la petite loupiote, sa "veilleuse" restait allumée.

        Il "gardait son troupeau" : c'était un être humain, il avait conscience de posséder des organes vitaux, de ressentir des émotions, d'être vivant, mais cependant de n'être pas que cela (voir ici, Krishna en gardien des vaches).

         Et soudain en effet, la fulgurante lumière lui est apparue, non plus pour disparaître comme l'éclair, mais de façon continue : l'Étoile s'allume et il voit !

     "Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique, plein de grâce et de vérité." Évangile de Jean, I, 14.

       C'est cette gloire resplendissante que l'on croit entendre alors sous la forme d'Anges qui chantent et sonnent de la trompette ! Mais en vérité il n'y a rien qui soit "né" : c'est juste la Lumière du Verbe qui s'est manifestée en nous, alors qu'elle était déjà présente à l'état latent et qu'on ne la voyait pas.

     

    Omkara-la syllabe primordiale

     

         Et pourtant n'ayez crainte, il y aura une crèche dans ma maison. Je suis attachée à ces traditions si bonnes pour le cœur, car ce petit bébé auquel nous apportons nos prières et nos présents, c'est nous-même : si l'on ne devient pas semblable à un petit enfant on n'entrera pas dans le Royaume des Cieux, a dit celui que nous appelons justement Jésus et qui semble-t-il, serait tout de même né et mort à un certain moment de notre "histoire" intime, y laissant une trace indélébile, un sillon parfait, une note indestructible...

           Dans le mystère de la nuit, tout devient limpide... 

     


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