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            Ce récit initiatique est en relation avec celui du "Petit Poisson d'Or".

          Tandis que le premier conte évoquait la traversée du domaine émotionnel, symbolisé par l'eau, celui-ci s'attache à la traversée du domaine de la pensée, symbolisé par l'air.

         Le "pays des rêves" est au bout, mais peut-être y a-t-il encore un autre élément à traverser (l'éther-feu).

     

    Le ravin

     

          J’étais assise au bord d’un profond précipice et regardais avec délices les paysages merveilleux qui ondoyaient sur la montagne d’en face.

          Depuis longtemps c’était ma place préférée et il me semblait même avoir une chance extraordinaire, de pouvoir distinguer tant de beautés inaccessibles.

          Parfois je changeais légèrement de place et me posais bien en sécurité sur un surplomb rocheux, pour mieux admirer ces forêts de rêve, ces palais resplendissants où pas une âme n’apparaissait. Pourtant j'y percevais des voies bien claires, des chemins… Je m’y promenais donc par la pensée, j’en humais le parfum par supposition. C’était mon cinéma à moi. Mon pays imaginaire. C’était comme si j’y étais, sans y être.

           Je ne me rendais pas toujours compte que je souffrais ; mais parfois cela me faisait mal, tout de même, de savoir que le versant opposé me demeurerait à jamais hors d’atteinte. J’étais ici, c’était déjà bien, mais comment serait-ce là-bas ? Il suffisait de ne pas l’envisager, tout simplement… Et cependant je priais dans mon cœur pour que quelque chose vînt changer la donne.

         Un soir je m’endormis. Et voici qu’à mon réveil un être était là devant moi, le visage rayonnant de joie et de douceur, suspendu dans le vide et me tendant la main.

          Ma main était déjà dans la sienne quand précipitamment je la retirai, saisie d’effroi.

          -  Je ne peux pas marcher dans le vide, fis-je remarquer d'une petite voix.

         -   Si, tu le peux, affirma le personnage au regard lumineux.

         Avait-il des ailes comme les elfes pour se tenir ainsi dans l’air sans difficulté ?

          Secouant la tête je me recroquevillai plus triste que jamais.

          -   Ce pays t’appartient, reprit mon interlocuteur avec insistance. Si tu le souhaites, je t’y conduis.

          -  Bien sûr que je le voudrais ! m’écriai-je d’un ton plaintif, mais il faudrait alors que tu me portes, toi qui marches dans l’air !

          Le personnage sourit mystérieusement et disparut.

          Je me mis à pleurer et la nuit tomba.

          Au matin j’avais séché mes pleurs et me mis debout.

        Un grand brouillard avait remplacé mon paysage habituel. Je ne pouvais plus voir, ni les images que j’avais tant chéries, ni même le précipice et ses profondeurs rocheuses. Tout était pailleté de lumières vivaces et virevoltantes qui semblaient m’inviter dans leur danse. Elles voltigeaient et m’environnaient comme pour me rassurer sur la certitude d’un possible. Ma peur avait disparu et la curiosité avait succédé en moi à l’inertie. Le moment était venu pour moi d’essayer.

          Je fis un pas en avant et aussitôt retrouvai la main qui m’avait été tendue. Seulement elle ne me touchait plus... J’avançai donc pour la saisir, mais elle était toujours plus loin. J’avançai encore, me penchant en avant vers l’ami retrouvé… mais dans le brouillard, pas de main, pas de pieds, rien…

         Et soudain, dans une flaque de clarté, une ouverture dans la nue, je vis… que j’étais en suspension au beau milieu du ravin ! C’était donc vrai, le visiteur ne m’avait pas menti ! Je pouvais marcher dans le vide !!

         Un instant de ravissement indescriptible me fit trembler de tout mon être, mais déjà le brouillard m’avait reprise dans son cocon.

         Il ne me restait plus qu’à continuer droit devant moi, sans faillir ; et je toucherais tôt ou tard à « mon domaine »... Le pays de mes rêves !

     


     


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          Allez ! J'avais l'impression de me répéter, mais vous m'avez encouragée avec vos gentilles visites.

         Le fait est que je suis une fieffée bavarde, et c'est cela le trait "égotique" dont j'essaie de me débarrasser.

           Cependant pour en revenir aux remarques amusantes de Mooji, si l'ego est comme un "ex" qui vient subrepticement essayer de reprendre de l'ascendant sur vous, ça ne va pas ! Mais s'il s'agit de le trucider avec pertes et fracas, ça ne va pas non plus. L'ego nous a été donné pour notre bien (voir ici) : le tout est de lui faire comprendre que ce n'est pas lui qui commande, simplement.

          C'est pourquoi j'aime à évoquer la présence d'un "Maître" qui n'est pas "moi" ; mais qui est le Satguru (ou Maître intérieur) qu'on écoute dans son propre cœur et par lequel on se laisse inspirer... Comme dans cette petite histoire qu'il m'a lui-même soufflée.

     

    Le dessin du Maître

     

     

         Mon Maître fait un dessin magnifique.

        Sur les murs de la classe, il dessine, il dessine...

        À chaque instant il rajoute quelque chose et à chaque instant je me dis : "là le dessin est terminé, c'est trop beau !" et à chaque fois non, il change encore quelque chose.

         Et c'est beau ... !!

         Je regarde, captivée, les mouvements imperceptibles de sa main qui précise un point ici, en enlève un là... Efface ici, complète là... Reprend ici, ôte là...

         Et c'est toujours parfait, parfait... Parfois j'ai le souffle coupé devant ce qui surgit, tant c'est inattendu, tant c'est superbe !

         Et parfois c'est gris, parfois c'est sombre... mais c'est si poétique. Et parfois c'est sanglant, parfois ça explose, ça vit !! Ça éclate !! J'entends des cris, j'entends des voix ! J'entends des pleurs, j'entends des chants... C'est un dessin qui chante, un dessin qui vibre.

           ... Soudain, je suis dans la cour et je compte mes billes dans ma poche. C'est fatigant d'être attentive. Je n'en peux plus, il faut que je respire, que je coure, que je joue avec les copains.

          J'explose, je ris, je m'amuse, je joue avec mes billes. Je les compte. Je les compare avec celles des voisins. Oh ! la belle bleue ! Mince, il a une bille rouge, lui...? Si je pouvais la gagner...

          Je lance mes billes... Elles roulent partout ! Je cours après ! Je les ramasse encore : une verte, une noire, une bleue, une jaune... belles et transparentes bien sûr. Je les range dans mon petit sac...

          Et paf !!

        D'un grand coup de règle, le maître a frappé mon sac et toutes les billes sont tombées. Plus de billes !! Stupéfaite, je lève à nouveau les yeux vers le dessin au mur, comme réveillée d'un long rêve, et... ouah !! Comme il a évolué ! Tout a changé ! Mouvant, brillant, il scintille comme jamais ! Mais où étais-je donc ?

           Mais oui, des billes il y en aura toujours, il n'y a qu'à se baisser pour les ramasser ; mais le dessin du Maître, le dessin du Maître, comment cesser de le regarder ? Alors que peu à peu il s'y précise des traits... que je reconnais... que je crois reconnaître... que je connais... ?!

         Mais non, c'est encore changé. Tout a encore changé.

       Et le Maître rit silencieusement en continuant d'ajouter une touche par-ci, une touche par-là... ou d'effacer ici, d'effacer là... en grandes arabesques, en grandes volutes qui gonflent mon cœur et le font frémir d'une joie indicible.

     

    Le dessin du Maître

     


     


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    Komentétou

     


            C'est l'histoire d'un mental. Un mental qui commentait sans arrêt, qui observait sans arrêt, remarquant tout, donnant son avis sur tout... Si bien qu'on l'appelait "Komentétou".

     

        Dès le matin, ce mental observait : 

    - Il fait beau aujourd'hui !

        Ou bien :

    - Toujours ce fichu temps !

        Et puis :

    - J'ai bien dormi !

         Ou encore :

    - Il faut se lever ! Je suis crevé !

    - Quelle tête j'ai ce matin ! Je vais m'arranger un peu...


       Enfin, vaille que vaille la journée se déployait et on l'entendait faire ses remarques au fil du temps :

    - Regarde comme il conduit celui-là ! Ce n'est pas possible... Il va me mettre en retard !

    - Chic ! Une place comme j'aime ! J'ai de la chance aujourd'hui !

    - Il y a un monde au supermarché...   

    - Tiens, mais c'est untel ! Qu'est-ce qu'il fait là  aujourd'hui ? «  Bonjour ! Comment vas-tu ? ... »

    -  Oh ! Le dernier Bobin au rayon livres ! Je vais le feuilleter... Allez, bon, je le prends... Ça va me faire une nouvelle lecture pour ce soir. 

    - Oh ! Mince ! J'ai encore choisi la mauvaise file de caisse, ça bouchonne. 

      L'après-midi se présente, et avec lui la promenade.

    - Par où je vais ? 

    - Qu'est-ce que je mets sur mon dos ? J'ai un peu froid. 

    - Ah ! Non, finalement j'ai chaud en marchant ! Zut, je n'aurais pas dû prendre ça.

    - Les feuilles jaunissent ; ça sent l'automne... C'est joli avec ce rayon de soleil !

         Etc... etc...


        Et vous, vous observez... Un petit peu comme l'auteur d'un roman face à son héros, vous découvrez ce personnage qui frétille à l'intérieur de vous.

           Il s'appelle "Komentétou" : rien ne lui échappe, il voit, il entend, il commente ; il décide, il réfléchit, il choisit.

    - Qu'est-ce que je vais faire dimanche ? 

    - Qu'est-ce que je vais faire demain ?

    - Qu'est-ce que je décide pour Noël ?!... 

      Ou bien :

    - Cette haie est vraiment mal taillée et avec la maladie du thuya qui fait des espaces roussis, ce  n'est pas joli. 

    - Oh ! Chic ! Mon autoradio diffuse juste ma musique préférée !

     Ou encore :

    - Le monde va de plus en plus mal... Quelle tristesse !

    - C'est vrai, on se plaint mais il y a vraiment plus malheureux que soi. 


         Ce personnage qui voit, qui entend, qui pense, est-ce vraiment vous ?

       Ou n'est-il pas plutôt contenu en vous, beaucoup plus petit que vous qui l'observez, tantôt absorbé dans ses sentiments, émotions et sensations, tantôt amusé de ses réflexions et conscient d'en être distinct ?

          A-t-il vraiment le choix de ses actes, lui qui pense réfléchir utilement ? Ses jugements sur ce qu'il voit, entend ou ressent lui sont-ils d'une quelconque utilité ? A-t-il  le moindre poids sur les aléas de son existence, qu'il voit se dérouler avec une forme d'anxiété permanente, un sentiment de responsabilité aussi puissant que s'il tenait la barre d'un navire ?

           Quel est ce petit "je" qui pérore sans arrêt dans votre tête, avec ses pensées, ses idées, ses désirs, ses peurs, ses douleurs et ses joies ?

     
              Il n'est pas "vous". Il est juste un agglomérat de pensées et de ressentis dont vous prenez acte, mais sans plus.

          Vous n'êtes pas ce mental, pas plus que ce corps qu'il anime comme une marionnette et dont il prétend traduire les besoins.

       
            Par contre tous les ressentis, toutes les pensées, tout ce que vous percevez et éprouvez, tout cela vous prouve que vous êtes, tout cela vous renvoie à votre Vérité, Vérité pure et immuable contemplant son propre déploiement à l'infini.

             Et en découvrant ce murmure perpétuel du mental qui, comme l'eau d'un ruisseau, chante en s'écoulant, vous comprenez que tout est Beauté, tout est Joie, tout est Votre Vie s'ouvrant comme une fleur dans un perpétuel épanouissement.

     

    Chemin de forêt

     

     

     


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