•        Le second chapitre du livre présenté dans le précédent article est également une merveille. Il mérite l'éclat de rire libérateur.

           Voyez plutôt.

     

    - 2 - Âge et vacuité

     

    Joshu était un maître
    qui avait commencé à étudier le zen à l'âge de soixante ans.
    Il trouva l’Éveil à l'âge de quatre-vingts ans.
    On dit qu'il enseigna ensuite
    pendant quarante ans.

    Un disciple demanda au vieux Joshu :
    « Vous enseignez que notre mental devrait être vide.
    Dans ma tête, il n'y a plus rien.
    À présent, que dois-je faire ? »
    « Expulse-le », dit Joshu.
    « Mais il n'y a rien, comment puis-je l'expulser ? »
    fit le disciple.
    Joshu poursuivit :
    « Si tu ne peux l'expulser, porte-le dehors, jette-le,
    mais ne reste pas là devant moi
    avec rien dans ton mental ! »


    Osho Rajneesh, Zen - Retour à la Source
    éditions Le Voyage Intérieur, 1994

     

        Le jour où un Éveillé vous tient ce discours, vous ne comprenez pas forcément tout de suite ; mais l'injonction est lancée. Elle fera son chemin, vous êtes fichu...

         Avec l'éclat de rire vient la Compréhension.

     

         Mais reprenons : le début de la fable est également délicieux.

         Nous apprenons que ce maître éminent a commencé à travailler sérieusement à l'âge de soixante ans !! Quel soulagement ! Moi qui craignais que l'âge n'entrave le bon fonctionnement de la pratique, le manque de souplesse empêchant par exemple la posture du lotus, ou le vieillissement cérébral entraînant je ne sais quel Alzheimer rédhibitoire...

         Mais l'âge, souligne Osho, ça n'existe pas pour le domaine de l'âme ! Tout ce qui a trait au temps, aux dates, aux âges, est du domaine matériel, du domaine de l'ego. Pour le Soi, ceci n'est qu'un rêve qui s'évapore instantanément au moment de l’Éveil.

         Alors si l’Éveil survient à l'âge de quatre-vingts ans, quelle importance...! Et si le nouvel Éveillé est alors capable d'enseigner pendant quarante ans, où est le problème ? Phène nous dirait qu'il y a à cela une signification symbolique : cela veut dire simplement que quand Joshu atteignit l'Éveil, sa personnalité ancienne était au terme de son existence ; et c'est  ce que nous traduisons par la notion de vieillesse car la Réalisation survient avec la mort de l'homme ancien.

         Un autre élément est cependant à souligner, et Osho insiste sur ce point très important : le Chemin vers l'Éveil n'est pas une course, et aucun de nos efforts n'en peut diminuer la durée. Tout comme nous ne pouvons décider de notre mort naturelle, de même l'évolution naturelle de la conscience à travers nous se fait en dehors de notre volonté.

         Nous n'avons qu'une chose à "faire" (si l'on peut dire) : n'avoir que cet unique objectif ; rester en permanence sous le regard de l'Absolu ; ne plus accorder d'importance à l'univers manifesté et encore moins à notre petite personne. Ainsi, il n'y aura jamais ni succès ni échec, ni avancée ni recul, ni gagnant ni perdant, ni compétition ni récompenses, mais seulement une exigence de patience totale, cette "patience dans l'azur" (pour reprendre la belle expression de Paul Valéry) qui équivaut à l'abandon  de soi. Une patience qu'Osho évoque extrêmement souvent, montrant des sannyasins n'aboutissant dans leur quête qu'à des âges très avancés, ou comparant cette lente maturation à la grossesse chez une femme.

          Avoir attendu vingt ans alors qu'il était déjà âgé prouve le désintéressement et la confiance de notre aspirant, là où d'autres auraient pu se désespérer et craindre de perdre la vie avant d'avoir atteint le but escompté.

    * * *

     
          Voyons maintenant la question du disciple.

         Elle est amusante car elle est classique. Elle reflète la naïveté du jeune candidat à l'Éveil, naïveté que nous traversons tous car nous sommes tous conditionnés à réagir ainsi.

        Le "maître" est devenu pour lui un simple professeur, détenteur d'un savoir et susceptible d'en donner les clés à ses "élèves". Quant à l'élève, ce n'est qu'un prédateur, car il s'empare des éléments reçus du maître et croit avoir alors atteint son but ! Mais ce type d'enseignement, comme nous l'avons vu au chapitre précédent, n'est ni un savoir, ni transmissible par l'intellect ou accessible par l'imitation. Et de même que Jésus souligne que "les premiers seront les derniers", de même les "bons élèves" n'ont aucune chance de surpasser leurs condisciples dans ce domaine, puisqu'il n'y a dans la Réalité ni Bon, ni Mauvais comportement (si ce n'est la nécessité de la Foi et de la Persévérance).

         Le maître aurait donc évoqué la notion de Vacuité ; et le disciple se serait empressé de l'appliquer en méditant, comme beaucoup aiment à le faire aujourd'hui, sur "le Vide". Après certains efforts, il aurait réussi à faire le vide dans son esprit, et ne voyant rien surgir, demande au maître de simplement lui indiquer quelle est "l'étape suivante". On aime bien ainsi baliser le sentier et penser que l'on "avance"...

           Mais il y a là le signe d'une agitation et d'une précipitation hors de mise. Aussi le maître réagit-il brutalement ; et c'est sans doute ce dont le jeune homme avait le plus besoin à ce moment. En effet, où est la faute ? Un ego se vantant d'être rempli de "rien" est toujours un ego ! S'imaginer avoir remporté un succès est toujours une vantardise ! C'est l'ego qu'il faut expulser, et non son contenu ! Le véritable Vide qui est Dieu est en tout et partout, rien ne le définit ni ne l'arrête ; un individu planté là ne peut le contenir !

          Le geste du maître est donc à proprement parler libérateur, car "l'étape suivante" si l'on peut parler en ces termes est la principale - bien suggérée déjà au chapitre précédent - : disparaître soi-même.

        Une toute autre affaire.

     

    Retour à la Source 2

     À suivre ici.

     


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    Suite de cet article

     

    «  Ne cherchez pas Dieu ou la Vérité, libérez-vous de l'ego et le reste vous sera donné par surcroît. »

    Rajneesh, "Zen - Retour à la Source" - chapitre 5.

     

    L'ego

     

       Oui, mais comment ? Toutes les voies spirituelles, toutes les religions prétendent donner des recettes, la première de celles-ci étant "occupez-vous des autres"... Mais est-ce suffisant ? Osho explique lumineusement le problème sur 20 pages... Pourrai-je en exprimer ici le principal sans trop de longueurs ? Je vais essayer.

     

    I - Utilité de l'ego


         « Le nouveau-né ne sait pas qui il est et la première chose dont il prend conscience n'est pas lui-même, mais l'autre. (...) Progressivement il découvre son propre corps, mais ce dernier est également un "autre", il appartient au monde.(...) Peu à peu, par contraste avec ce qui est "autre" il se rend compte de lui-même. (...) L'enfant apprend ce qu'on pense de lui et mémorise quel comportement lui vaut un sourire (...), quel autre lui vaut une réprimande ou un rejet. (...) C'est ainsi que se forme son ego, un centre factice en lui. Il ignore sa nature réelle, tout ce qu'il sait de lui-même est fourni par l'extérieur.

         (...) Totalement isolé, l'enfant ne développerait pas d'ego et ce serait une calamité, car il ne dépasserait pas le stade animal. (...) Le Soi réel est trouvé grâce au faux "moi", l'ego. Pour percevoir la Vérité, il faut avoir vu ce qui n'est pas vrai.

          (...) La société favorise la fabrication de l'ego parce que les gens peuvent être manipulés par l'intermédiaire de leur "moi". (...) L'enfant a vitalement besoin d'être aimé, (...) tout au long de son existence il sera affamé d'attention et perpétuellement inquiet, l'appréciation extérieure étant sa seule référence. »


    II - Nature de l'ego

         « Ce que vous croyez être vient des autres. Les gens qui vous entourent vous présentent jour après jour des images de vous-même que vous acceptez comme étant votre "moi". (...) L'homme qui s'identifie à son ego est aliéné (...), il essaie de se conformer aux modèles extérieurs et quand il n'y parvient pas il se sent nul, désespéré. Sans valorisation sociale, son ego se dégonfle comme une baudruche.

         (...) Chasser l'illusion du "moi" n'est pas facile. Il faudra traverser une période intermédiaire durant laquelle la notion de "je" sera effacée, mais où vous ne saurez pas encore qui vous êtes ni où vous allez. (...) La mort de l'ego ressemble beaucoup à une dépression nerveuse. (...) Vos peines et vos soucis font partie de "vous", sans eux vous auriez l'impression de ne plus exister. (...) Soyez courageux, ne rebroussez pas chemin, ne retombez pas dans le piège. (...)

          Le grand avantage de l'ego est qu'il ne peut mourir puisqu'il n'a jamais existé. C'est un écran de fumée. En outre, il est facile à obtenir,(...) il vous est automatiquement fourgué par les autres. C'est dire qu'à moins de dépasser le mental et de partir à la recherche de l'inconnaissable qui est la source mystérieuse de votre être, vous n'êtes pas un individu, vous êtes brisé comme un miroir cassé en mille morceaux. Vous reflétez la foule, vous êtes multipsychique. (...) À cause de ce "moi", vous vous identifiez à un lieu, à une époque, à une langue, à un groupe humain.

        (...) Est-ce que cela ne vous a jamais traversé l'esprit que toutes vos souffrances pourraient être dues à votre "moi" ? L'enfer n'est rien d'autre que votre ego. (...) L'ego fait de vous un esclave. (...) Essayez de comprendre. (...) Chaque fois que quelque chose vous irrite ou vous peine, fermez les yeux, cherchez la cause de ce malaise. Vous verrez que c'est toujours une blessure d'amour-propre. (...) La cause de vos souffrances est toujours à l'intérieur de vous-même. »


    III - Se libérer de l'ego

         « Retenez toutefois que l'ego ne peut pas être supprimé délibérément. "Qui" luttera contre votre ego ? Votre ego. Ne le prenez pas de front, vous le rendriez très rusé. Il vous fera croire qu'il n'existe plus, que vous êtes devenu bon, sage et humble.

          La bonté, la sagesse, l'humilité ne peuvent être cultivées. Les qualités que vous créez sont hypocrites.  Quand l'idée d'une identité séparée s'efface, l'humilité réelle apparaît spontanément en tant qu'ombre projetée par votre temple intérieur. La sensation d'être quelqu'un de bien vient en ligne droite de l'ego. Le vrai sage n'est ni humble ni égoïste, il est naturellement simple. (...)

       Soyez très prudent et très attentif. L'ego est extrêmement malin. N'essayez pas de l'améliorer, contentez-vous de le débusquer, car tant qu'il subsistera, il vous trompera. Il restera le maître, quoi que vous fassiez. La seule solution est de prendre de la distance et de l'observer. (...) Le jour où vous serez définitivement centré dans l'état de témoin, il n'y aura plus d'ego. (...) La seule manière de se libérer de l'emprise du faux centre est de le reconnaître pour ce qu'il est : une illusion très pernicieuse qui défigure la vie. L'ego ressenti comme un poison est vomi. Ce n'est pas le résultat d'une étude ou d'une décision, ce n'est pas "vous" qui le laissez tomber, il tombe tout seul. »

        Rajneesh,"Zen - Retour à la Source" - chapitre 5

     

    L'ego

     À suivre ici.

     


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    Spirit of Flight - Josephine Wall

      

     

        «  Le monde n'existe que dans votre tête, ou mieux dit, votre monde est votre mental. Pour vous, il n'existe rien d'autre que votre esprit. Tout ce que vous voyez et ressentez et une projection de votre psyché.

         Ayant saisi cela, les hindous  ont déclaré que le monde est maya, illusion : un monde qui semble réel mais qui n'est qu'un décor de carton-pâte dans une boîte crânienne. Comment transcender une chose inexistante ?

         Si vous comprenez que c'est une illusion, vous êtes en bonne voie. Le rêveur conscient de rêver est sur le point de s'éveiller. »


        «  Le monde tel que vous le voyez est l'ombre de vos pensées, il s'efface en même temps que votre mental. Pour l'homme en état de non-mental on ne peut pas dire qu'il ne reste rien, que tout est annihilé ; simplement tout ce qu'il a connu jusque là est anéanti et il entre dans l'Inconnaissable, la Réalité que le mental ne connaîtra jamais.

        Le monde est une projection, l'Existence est réelle. Quand le monde disparaît, l'Existence apparaît dans son absolue Splendeur. »

    *

        «  La réalité est dure, elle fait voler vos rêves en éclats, mais vous n'en tirez aucune leçon et ne mûrissez pas. La répétition des mêmes cercles vicieux vous conditionne de plus en plus profondément : c'est cela, l'état d'ignorance.

         (...) La répétition est le propre d'un robot, non d'un être humain. Examinez votre passé : les mêmes gestes, les mêmes préoccupations, les mêmes colères et les mêmes tristesses (...).

         (...)  Il vous arrivera aussi d'être honteux le jour où vous comprendrez que votre vie a été une pantalonnade.

         Vos compagnons de route sont vos pensées. Ce que vous trouvez beau n'a rien de particulier, ce que vous trouvez laid non plus. Les choses qui vous semblent désirables n'ont aucune valeur et celles que vous négligez sont les seules qui en valent la peine. Tout est mis à l'envers, vous vivez dans le chaos.

         On me demande souvent : " À quoi sert un maître ?" Un maître est nécessaire pour vous inoculer quelque chose de nouveau, d'inconnu. Vous ne pouvez pas vous extirper tout seul de votre mental, c'est aussi difficile que de vous soulever vous-même en tirant sur les lacets de vos chaussures. Ce que vous faites est toujours une manœuvre mentale, votre ego tire les ficelles et vous fait croire ce qu'il veut. »
     

       « Krishnamurti affirmait que le maître n'est pas nécessaire. Il avait raison et tort à la fois. L'homme conscient comprend qu'il n'a jamais eu besoin de maître, mais de s'éveiller : "Je divaguais, j'aurais pu m'en rendre compte tout seul..." C'est ce qu'on se dit après coup ; mais avant que la métamorphose n'ait lieu on ne peut même pas l'imaginer, parce que l'imaginaire lui-même appartient au mental, au monde onirique ! Krishnamurti a eu ses propres maîtres : Annie Besant et Leadbeater.

         L'homme égocentré adore croire qu'il n'a besoin de personne. Nulle part on ne trouvait une aussi grande concentration d'égoïstes que dans le public de Krishnamurti. Ces gens étaient très satisfaits d'entendre qu'ils ne devaient pas s'abandonner à un maître : cela leur permettait de conserver leur ego intact. »


    Rajneesh - Zen, retour à la Source -
    chapitre 9 ("Il fut beaucoup moins ému...")

       Tarot de la transformation - Rajneesh

     

     


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  •       Tandis que les arbres semblent frappés d'une maladie mortelle et cependant se laissent dépouiller de leur substance dans un éclat qui nous inonde de lumière et de douceur ; alors qu'approche cette pleine lune (considérée comme "super" parce qu'on la verra plus grosse que d'habitude) qui, dans le mois du Scorpion, appelle à travailler sur les émotions liées en nous à la mort, j'aimerais citer ici quelques propos de Satprem (1923-2007), ce breton qui devint en Inde le proche collaborateur de Mirra Alfassa ("Mère", née à Paris en 1878, décédée à Pondichéry en 1973), la compagne d' Aurobindo (1872-1950) dont il avait fait la connaissance en 1946, son oncle étant le dernier gouverneur de ce comptoir français avant la décolonisation. 

     

    Dépouillement

     

           C'est en faisant du vide dans ma bibliothèque que je me suis retrouvée face au livre de Frédéric de Towarnicki : Sept jours en Inde avec Satprem (Robert Laffont, 1981) qui à l'époque m'avait intriguée tout en me laissant plutôt déconcertée par cette recherche d'une évolution "physique" de l'homme ; à cette époque on se faisait fort d'utiliser la science des Yogis pour transformer notre espèce sensée évoluer vers un organisme plus "subtil" et acquérir des pouvoirs... !

           En fait ce qui aujourd'hui me frappe, c'est l'éveil que ce grand contemplatif, perpétuellement en quête d'immensité depuis son enfance de marin, a subitement connu lorsqu'il fut déporté en camp de concentration pour faits de résistance, à l'âge de 20 ans. 

           Voici quelques extraits de ses déclarations au journaliste qui l'interroge dans le livre mentionné ci-dessus, au sujet des camps nazis. Je reproduis exactement le graphisme et la ponctuation tels qu'ils apparaissent dans le texte (" T " représente Towarnicki).

     

    «   Ah ! ça... Ça, c'était la grâce brutale qui m'a été faite. Justement parce que j'avais tellement besoin de... de vérité - "vérité", enfin, je ne sais pas quel mot employer. Ce besoin D'ÊTRE, disons. Oui, ce besoin d'être.

        Parce que ce besoin était là, je crois que la grâce m'a été faite, brutalement, de commencer à toucher une vraie réponse !

    T : Les camps vous ont fait toucher le fond de certaines choses ?

          Ah ! Ils m'ont merveilleusement aidé d'une façon : c'est en démolissant toutes les valeurs humaines. Tout  a été saccagé, dévasté ; et pas seulement par ce que je voyais, mais par ce que je vivais. J'étais... J'avais vingt ans, n'est-ce pas - exactement vingt ans quand je suis allé là-dedans.

    ( ... )

    T : Ils vous ont emmené où ?

          On m'a emmené en prison. Et puis ça a commencé.

         Ça, ce ne sont pas des choses à... Ce ne sont pas des choses à évoquer.

      Mais enfin, tout cela a brisé... m'a brisé, m'a NETTOYÉ merveilleusement - affreusement, mais merveilleusement. Parce que j'aurais mis combien d'années à me dépouiller de tout ce revêtement social, familial, intellectuel, culturel, tout ce qu'on m'avait mis sur le dos pendant vingt ans ?  Vingt ans d'éducation occidentale.

          Eh bien, tout ce qu'on m'avait mis sur le dos a été brisé, moi y compris (ce que je croyais être moi).

           C'était une espèce de néant.

           Surtout ça : ce que je croyais être moi.

           Je croyais que c'était beaucoup de musique, de la poésie, de ceci et de cela, et puis tout cela, c'était cassé. Cassé devant une espèce de substance humaine qui tout d'un coup découvrait la mort, la peur, l'horrible chose humaine, et qui se disait : mais quoi, quoi, quoi, qu'est-ce... ? N'est-ce pas, à ce moment de l'existence, il n'y a plus de barrières entre l'homme qui fait mal et celui qui le subit. il n'y a pas "l'homme de la Gestapo" et "la victime de la Gestapo", ou le SS et le prisonnier. Il y a une espèce d'horreur dans laquelle on est. Il n'y a pas D'AUTRES, n'est-ce pas. On est... on est totalement dans l'horreur. L'horreur, ce ne sont pas les autres : on est dedans.

          Alors ça a été... ça a brisé d'une façon si... si radicale tout ce que je pouvais être, ou tout ce que je croyais être, que tout d'un coup j'ai été précipité dans... mais dans la seule chose qui restait : dans ma peau.

          Oui, tout d'un coup, ça a fait une joie extraordinaire. Tout d'un coup, j'ai été comme au-dessus de tout ça, je dirais presque "riant". Comme si, tout d'un coup, de cette dévastation, j'émergeais dans un lieu qui était... qui était "royal". Je n'étais plus prisonnier ; je n'étais plus attaqué ; je n'étais plus... J'étais au-dessus et je regardais ça avec... avec un rire presque.

         Et alors, brusquement, c'était comme le gosse qui était en mer, en bateau, qui était comme un roi. » 

     
         On se demande souvent pourquoi Dieu permet la souffrance, et cela conduit certains à rejeter l'idée de Son existence. Pourtant dès le premier Testament nous trouvons le Livre de Job, dans lequel nous Le voyons autoriser Satan à infliger les pires épreuves à celui qui est son meilleur serviteur ; puis dans le second, nous avons l'exemple de Jésus, qui acceptera les outrages et la torture par amour pour Son Père. Non pas, comme on le prétend souvent, "pour nous les éviter"... mais pour nous montrer la route.

        Nous nous étonnons souvent du courage exemplaire, et même de la tranquillité apparente dont font preuve ceux qui sont confrontés à une situation catastrophique : c'est qu'alors leur véritable nature a enfin l'opportunité de se faire jour.

        Bien sûr, souffrir ne sera jamais une obligation et il est naturel que nous nous en détournions ; mais les souffrances ou la violence subie sont souvent la voie royale vers la compréhension de qui nous sommes vraiment, et nombreux sont les cas rencontrés, chez les "saints" d'autrefois ou les "éveillés" d'aujourd'hui, pour qui une grande souffrance a été le déclencheur de leur réalisation spirituelle.

          Et qu'on aille pas parler de "sublimation" ou d'une quelconque aliénation mentale ! Satprem le souligne bien comme tant d'autres : la peur de la mort a été transcendée, et il en ressort une sensation de FORCE si puissante qu'on éclate de JOIE en permanence.

        « Et alors quand il n'y a plus rien, justement, eh bien il y a tout d'un coup un "quelque chose" qui est subitement d'une plénitude à craquer.

      (...) Je n'ai pas le souvenir d'un instant privilégié là-dedans, sauf celui où, tout d'un coup, dans cette effrayante nullité, j'ai émergé à une indicible joie... (je ne peux pas dire, je ne sais pas quel mot employer, parce que ce n'est pas "joie").  Tout d'un coup, j'ai émergé dans quelque chose qui était extraordinairement pur et fort - FORT, n'est-ce pas, FORT : plus rien ne pouvait me toucher.

          (...) Une force - une force, n'est-ce pas. Quelque chose qui faisait que j'étais comme subitement invulnérable. Et plus rien ne pouvait rien sur moi.

           C'était cela le premier contact avec... (maintenant, comme je le comprends !), le premier contact avec la vérité, avec ce que l'on EST - ce que tout homme EST, entendons bien, parce que quand on touche à ce commencement d'ÊTRE là, on touche à ce qui est là partout. Dans un autre homme, ou dans une plante, ou dans un animal, on touche à l'être même du monde. Et l'être même du monde, c'est quelque chose qui est plein, puissant et... "royal".   »

     

    Satprem

     

     


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             Après maints détours aujourd'hui je reviens à Kabîr... Un poème de Kabîr s'impose. Mais lequel choisir, quand ils sont tous si beaux ?

        Allons, ce sera celui-ci dont le numéro est si parfait que même les médecins s'en servent...

     

     

    Un poème de Kabîr

     

    XXXIII

     

         Où est l'utilité des mots puisque l'amour a enivré mon cœur ?

         J'ai enveloppé le diamant dans mon manteau : pourquoi le découvrir à tous moments ?

         Quand le plateau de la balance était léger, il montait... à présent qu'il est chargé à quoi bon peser sur lui ?

         Le cygne a pris son vol jusqu'au lac qui est là-bas derrière les montagnes ; pourquoi rechercher les mares et les fossés ?

           Ton Seigneur est en toi ; pourquoi tes yeux s'ouvriraient-ils au monde extérieur ?

     

         Kabîr dit : « Écoute mon frère ! mon Seigneur m'a ravi et m'a uni à Lui... »

       

         (La Flûte de l'Infini - traduction de Henriette Mirabaud-Thorens -
    Gallimard poésie)

     

    NB : Il semble que Kabîr n'ait jamais rien écrit, étant illettré. Mais il avait de nombreux disciples, qui notaient ses paroles. Et c'est ainsi que sont arrivés, plusieurs fois traduits dans les différentes langues indiennes, ces poèmes dus ici à l'interprétation anglaise de Rabindranath Tagore. J'en ai légèrement modifié la ponctuation...

     

     


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