•  

         Voici un poème de Rabindranath Tagore, tiré de l'Offrande Lyrique (traduit par André Gide). 

     

    Jal Mahal-Jaipur

     

        Mais comment Toi tu chantes, Maître, je l’ignore ! Et j’écoute toujours dans l’éblouissement silencieux.

          La lumière de ta musique illumine le monde. Le vital souffle de ta musique roule de ciel en ciel.

          Le flot sacré de ta musique à travers les digues de pierre se fait jour et se précipite.

          Mon cœur aspire à se joindre à ton chant, mais s’efforce en vain vers la voix. Je parlerais… Mais aucun chant ne se forme de mon langage et je me lamente confus. Ah ! Tu as fait mon cœur captif, Maître, dans les lacs infinis de ta musique.

     

    Sri Krishna

     

     


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  •         Pour faire suite à l'article publié récemment au sujet de Swami Ramdas, voici le texte d'Arnaud Desjardins que je vous avais annoncé.

            Il montre avec évidence l'abîme qui existe entre certains individus très sûrs d'eux pour avoir développé quelques pouvoirs et le véritable maître réalisé. 
     

    Alors qu’il séjournait dans l’ashram de Swami Ramdas, un des sages les plus vénérés de l’Inde, Arnaud Desjardins raconte :

     

         « Ce soir, un nouveau venu s’est encadré dans la porte toujours ouverte sur la campagne. Sans âge, grand, très droit, imposant, un crâne minutieusement rasé, un étrange regard perçant et impassible, partout on se retournerait sur lui. Il fascine et effraye en même temps. 

       Il ne se prosterne pas devant Ramdas : à peine une salutation des mains jointes. Quelques mots d’un swami qui l’accompagne et le présente à Papa [surnom affectueux donné à Ramdas] nous apprennent que c’est un yogi réputé qui s’insère dans une chaîne d’initiés fameux et a lui-même plusieurs disciples. 

       Il s’est assis au fond de la salle. Je ne peux détacher mon regard de lui et, pendant un moment, je me détourne de Ramdas. J’ai l’impression inquiétante que le pouvoir et la maîtrise qui se dégagent de cet extraordinaire yogi ont une puissance qui manque à Papa, si simple, si souriant, si enfantin. La joie inépuisable, la paix, l’amour, bien sûr, bien sûr. Mais la connaissance et le contrôle des énergies subtiles, des forces qui traversent notre univers, les mondes intermédiaires dont parle toute la tradition de l’ésotérisme, l’éveil des possibilités latentes en l’homme, les pouvoirs transmis secrètement de maître à disciple. Tout cela dont j’ai souvent entendu témoigner, je l’ai devant les yeux contenu en cet homme inhumain et surhumain. Un monde mystérieux et déroutant s’ouvre devant moi, auquel je ne pensais plus bien que j’en sache assez pour savoir qu’il existe. Et me voici face à face avec lui. 

       Mais je ne peux regarder plus longtemps vers le fond de la salle. Il faut bien que je me tourne du côté de Papa.

       Ce que je vis me laissa le souffle coupé. C’était clair, évident, éclatant, lumineux : je venais de me détourner d’un rêve et j’avais l’éveil devant moi. Certes je ne niais pas que ce yogi eût atteint un accomplissement fantastique. Mais dans le rêve, dans le rêve. Tous les plans occultes, qu’on les appelle astral, subtil ou causal, sont encore Maya, encore Maya. Oui, nous dormons, nous dormons, et devant moi, rayonnant, sublime, Vérité, Joie, Amour, le petit vieillard édenté est éveillé

         À côté de l’humble Ramdas, le grand yogi, tout simplement, n’existait pas.  » 


    Arnaud Desjardins, Ashrams - Grand Maîtres de l’Inde, 
    Albin Michel, coll. Spiritualités vivantes, 1982.

     

    Swami Ramdas

     

         Ce texte comme le précédent est emprunté à l'excellent site de Joaquim (à cette page), avec quelques soulignements en italique de mon cru.

     

           Cependant il me rappelle ce message véhiculé sur le Tarot de Rajneesh par la carte n°9, "Le plus grand des miracles" :

     

    Rajneesh -9-Le plus grand des miracles

           À son collègue de droite vantant les innombrables pouvoirs de son maître, le disciple de gauche répond :         

    «  Le plus grand des miracles accomplis par mon maître, c'est qu'il n'en fait pas ! »

     


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  •    Pour faire suite à mon article du 5 mars dernier "Méfiez vous des faux maîtres", voici un extrait du livre consacré à des Satsangs de Nisargadatta Maharaj (grand instructeur de l'Advaïta Vedanta, décédé en 1981) :  Je Suis (I Am That - chap. 83)




    Nisargadatta Maharaj

     

    «  Le maître, le disciple, l'amour et la confiance qui existent entre eux, tout cela n'est qu'un seul fait, et non autant de faits indépendants. Chacun d'eux est  une partie des autres. Sans l'amour et la confiance il n'y aurait [...] ni gourou ni disciple, et aucune relation entre eux. C'est comme de presser un interrupteur pour allumer une ampoule électrique. C'est parce que l'ampoule, le circuit électrique, l'interrupteur, le transformateur, les lignes à haute tension et la centrale forment un tout que vous obtenez de la lumière. Il ne faut pas séparer ce qui n'est pas séparable.

        Les mots d'un homme qui s'est réalisé ne manquent jamais leur cible. Ils attendent que de bonnes conditions naissent, ce qui peut prendre quelque temps et c'est normal car il y a une saison pour semer et une saison pour récolter. Mais la parole d'un gourou est une graine qui ne peut pas mourir. 

        Il faut bien sûr que le gourou soit un authentique gourou, un gourou qui est au-delà du corps et du mental, au-delà de la conscience même, au-delà de l'espace et du temps, au-delà de la dualité et de l'unité, au-delà de la compréhension et de la description. Les gens de bien qui ont beaucoup lu et ont beaucoup à dire peuvent nous  enseigner bien des choses utiles, mais ce ne sont pas de vrais gourous dont les paroles se révèlent toujours justes. Eux aussi peuvent vous dire que vous êtes l'ultime réalité mais où cela vous mène-t-il ?

         Si vous êtes capables de confiance et d'obéissance, vous trouverez très vite votre gourou réel, ou plutôt il vous trouvera.

        [...] Vous pouvez enseigner ce que vous connaissez : ici, la vision et l'enseignement ne font qu'un. Mais la réalité absolue est au-delà des deux. Le gourou qui s'arroge ce titre parle de maturation et d'effort, de mérite et d'accomplissement, de destinée et de grâce ; ce ne sont que les formations et les projections mentales d'un esprit intoxiqué. Au lieu d'aide, ce sont des empêchements.

        Ne faites confiance à personne jusqu'à ce que vous soyez convaincu. Le vrai gourou ne vous humiliera jamais, pas plus qu'il ne vous détachera de vous-même. Il vous ramènera constamment à votre perfection inhérente et il vous encouragera à chercher en vous, à l'intérieur. Il sait que vous n'avez besoin de rien, pas même de lui, et il ne se fatigue jamais de vous le rappeler. 

           Mais celui qui s'est lui-même institué gourou s'intéresse plus à lui qu'à ses disciples. »

     

          Lorsqu'on lit ce livre, on est frappé de l'extraordinaire simplicité de Nisargadatta ; de son naturel, de sa gentillesse, et de son infinie patience à répondre à toutes les questions posées par les visiteurs, de plus en plus nombreux et de plus en plus pressants...

          Heureux celui dont la route croise un tel être, qui l'inonde aussitôt de son rayonnement nourricier et régénérateur !

     

     


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  •      C'est encore à Olivier Messiaen (voir ici, mais aussi ) que je reviens, mais jeune, tout jeune et plein d'enthousiasme. Fils de la Poète (je n'aime pas beaucoup le féminin "poétesse") Cécile Sauvage dont le nom est en soi-même un poème (Cécile n'est-elle pas aussi la patronne des musiciens ?) et qui est surtout connue pour son recueil l’Âme en Bourgeon dans lequel elle évoque l'attente de son enfant puis sa naissance (mais Messiaen aura un frère : Alain), Olivier était lui-même poète également et ses écrits valent vraiment que l'on s'y intéresse. 

           Né en 1908 en Avignon et retiré en 1914 en Dauphiné près de Grenoble chez un oncle, tandis que son père était mobilisé (ce sera sa patrie d'élection et c'est là qu'il sera inhumé), il gagne Paris pour intégrer le Conservatoire National Supérieur de Musique dès 1919 pour y faire des études fulgurantes, en piano, orgue, harmonie, fugue, contrepoint, puis composition.

        Il s'initie aux rythmes orientaux qu'il introduit dans sa musique, crée des "modes à transposition limitée" qui sont sa signature harmonique personnelle, adapte musicalement les chants des oiseaux dont il s'inspire de plus en plus.

     

    Messiaen en 1940

     

         C'est lorsque, mobilisé en 1940, il est retenu prisonnier par les Allemands au Stalag VIII-a, qu'il composera pour les quelques amis musiciens et les quelques instruments en mauvais état mis à leur disposition le très fameux Quatuor pour la Fin du Temps, inspiré par L'Apocalypse de Saint Jean et déjà inondé de sa très profonde Foi catholique. Claude Lelouch fait allusion à cet épisode dans un de ses films, Partir Revenir je crois dans lequel il parle de la seconde Guerre Mondiale. Vous pouvez en écouter ici un extrait, la superbe "louange à l’Éternité de Jésus".

         Mais revenons à notre sujet : c'est donc tout jeune et juste libéré qu'il compose cette partition jubilatoire que sont les "Trois Petites Liturgies de la Présence Divine" (1943-44), dont la première audition aura lieu en 1945 devant tout le gratin de la musique d'alors qui l'applaudit sans réserve.

          Outre un chœur de femmes chargé d'exprimer les textes qu'il a lui-même écrits, on trouve un orchestre assorti de percussions nouvelles et de ce merveilleux instrument qui fut trop vite éclipsé par l'invention du synthétiseur : l'Onde Martenot. Semblable à un très beau sifflet et parfois rappelant la "scie musicale", mais capable de beaucoup plus, ce "clavier à ruban" et à résonances multiples fut particulièrement affectionné par Messiaen qui lui a consacré des pages exceptionnelles (comme la Fête des Belles Eaux, composée pour sextuor d'ondes). Notons aussi que dans son texte il évoque sa vision des couleurs, qui pour lui sont en relation avec des harmonies pour évoquer des perceptions plus élevées (à l'instar des vitraux).

    Ondes Martenot

     

          Voici donc le texte de la 3e Liturgie, dont j'ai souligné moi-même certains vers (ceux dont vous remarquerez qu'ils sont généralement soulignés par la musique), et en-dessous son exécution si elle vous intéresse (particulièrement, si vous êtes pressés, de 3'40 à 13'10 : la 6e strophe - ou de 17' à la fin...).

     

    III.  Psalmodie de l'Ubiquité par amour
    (Dieu présent en toutes choses...)

     

    Tout entier en tous lieux,
    tout entier en chaque lieu,
    donnant l'être à chaque lieu,
    à tout ce qui occupe un lieu,
    le successif vous est simultané,
    dans ces espaces et ces temps que vous avez créés,
    satellites de votre Douceur.
    Posez-vous comme un sceau sur mon cœur.

    Temps de l'homme et de la planète,
    temps de la montagne et de l'insecte,
    bouquet de rire pour le merle et l'alouette,
    éventail de lune au fuchsia,
    à la balsamine, au bégonia ;
    de la profondeur une ride surgit,
    la montagne saute comme une brebis
    et devient un grand océan.
    Présent, vous êtes présent.
    Imprimez votre nom dans mon sang.

    Dans le mouvement d'Arcturus, présent,
    dans l'arc-en-ciel d'une aile après l'autre,
    (Écharpe aveugle autour de Saturne),
    dans la race cachée de mes cellules, présent,
    dans le sang qui répare ses rives,
    dans vos Saints par la grâce, présent
    (Interprétations de votre Verbe,
    pierres précieuses au mur de la Fraîcheur.)
    Posez-vous comme un sceau sur mon Cœur.


    Un cœur pur est votre repos,
    lys en arc-en-ciel du troupeau,
    vous vous cachez sous votre Hostie,
    frère silencieux dans la Fleur-Eucharistie,
    pour que je demeure en vous comme une aile dans le soleil,
    vers la résurrection du dernier jour.
    Il est plus fort que la mort, votre Amour.
    Mettez votre caresse tout autour.


    Violet-jaune, vision,
    Voile-blanc, subtilité,
    Orangé-bleu, force et joie,
    Flèche-azur, agilité,
    Donnez-moi le rouge et le vert de votre amour,
    Feuille-flamme-or, clarté,
    Plus de langage, plus de mots,
    Plus de Prophètes ni de science
    (C'est l'Amen de l'espérance,
    Silence mélodieux de l'Éternité.)
    Mais la robe lavée dans le sang de l'Agneau,
    mais la pierre de neige avec un nom nouveau,
    les éventails, la cloche et l'ordre des clartés,
    et l'échelle en arcs-en-ciel de la Vérité,
    mais la porte qui parle et le soleil qui s'ouvre,
    l'auréole tête de rechange qui délivre,
    et l'encre d'or ineffaçable sur le livre ;
    mais le face-à-face et l'Amour !


    Vous qui parlez en nous,
    vous qui vous taisez en nous,
    et gardez le silence dans votre Amour.
    Vous êtes près,
    vous êtes loin,
    vous êtes la lumière et les ténèbres,
    vous êtes si compliqué et si simple,
    vous êtes infiniment simple.
    L'arc-en-ciel de l'Amour, c'est vous,
    l'unique oiseau de l'Éternité, c'est vous !


    Elles s'alignent lentement, les cloches de la profondeur
    Posez-vous comme un sceau sur mon cœur.


             [Reprise du début]


    Vous qui parlez en nous,
    Vous qui vous taisez en nous,
    et gardez le silence dans votre Amour,
    enfoncez votre image dans la durée de mes jours.

     

     

     


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  •    J'avais l'intention ce matin de citer un poème de Tagore ; et puis voici que celui-ci s'est interposé, comme s'il devait être mentionné avant ! Je remets donc Tagore à demain ou après-demain, pour commencer avec ces images de départ.

         En effet c'est ma dernière visite à Ariaga, dans son dernier article, qui m'a conduite à me remémorer ce cycle de poèmes de Jean de la Ville de Mirmont (né à Bordeaux en 1886 et mort à Verdun à l'âge de 28 ans) mis en musique par Gabriel Fauré (avec des coupures et quelques remaniements) : l'Horizon Chimérique.
     

             C'est évidemment à mes yeux une allégorie, mais accompagnée aujourd'hui d'une certitude : l'horizon n'est pas "chimérique", mais resplendissant ! Et si le petit Jean, dans la strophe délaissée par Fauré à la fin de ce poème (voir ici) s'inquiète de savoir si Les sauvages accepteront son coeur, je sais pour ma part, que Le Resplendissant l'a déjà accepté.

        J'ai cherché sur youtube un enregistrement de ce poème seul, qui est le second sur les quatre retenus par Fauré pour son cycle de mélodies (alors qu'il est le dernier sur XIV dans le manuscrit du jeune poète bordelais). Cependant ma préférence va à l'enregistrement de Charles Panzera (suivre le lien et démarrer à 1'18), qui est le dédicataire de l'oeuvre et qui l'interprétait sur le disque par lequel je l'ai découvert, en 1967.

     

     

    Je me suis embarqué sur un vaisseau qui danse
    Et roule bord sur bord et tangue et se balance.
    Mes pieds ont oublié la terre et ses chemins ;
    Les vagues souples m’ont appris d’autres cadences
    Plus belles que le rythme las des chants humains.

    À vivre parmi vous, hélas ! avais-je une âme ?
    Mes frères, j’ai souffert sur tous vos continents.
    Je ne veux que la mer, je ne veux que le vent
    Pour me bercer, comme un enfant, au creux des lames.

    Hors du port qui n’est plus qu’une image effacée,
    Les larmes du départ ne brûlent plus mes yeux.
    Je ne me souviens pas de mes derniers adieux...
    Ô ma peine, ma peine, où vous ai-je laissée?

     

     


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