•     Aujourd'hui je vous propose un poème tiré de "La Courte Échelle - Harmoniques", un des recueils repris dans la vaste anthologie qu'est "Alphabet de l'Éclat". Publiés en 1994, ces poèmes, plus longs et plus lyriques pour certains que la moyenne, évoquent volontiers l'Afrique du Nord dont Nicole est originaire 
    et le Moyen-Orient d'où sont issus ses ancêtres.

        J'ai choisi celui qui suit pour les images chatoyantes qu'il nous offre, ainsi que pour le souvenir de Carthage qu'il rappelle, avec Salambô (l'auteure ne met qu'un "m" au nom de l'héroïne de Flaubert), et la reine Didon, fondatrice de la ville qui s'éprit du héros Enée enfui de Troie en flammes et fondateur de Rome (voir ici un article que j'ai consacré à l'opéra qu'en a tiré Berlioz).

     

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    Enfant
    j’ai grandi dans les
    enivrances des jasmins et
    l’ombrage des palmiers gros
    de fruits de miel
    là-bas la mer berçait Carthage
    d’où jadis Didon vit trembler les empires
    mosaïques de mirages
    biseaux de roses en sable blond
    diaprures sous les mains déambulantes
    au val des arêtes
    le coquillage accolé à l’oreille
    rapporte avec la rose échotière des vents
    l’amour de Matho pour la fille d’Hamilcar
    Salambô Salambô
    est-ce encore la beauté d’Ishtar qui enchaîna
    Ulysse sur son retour vers Ithaque
    les stèles du cimetière punique sous
    le mystère silencieux des astres donnaient
    à trembler
    à l’enfant que j’étais
    sa frêle petitesse
    dans l’histoire questionnée

     

    sur ma peau s’ourlent encor
    le sel marin
    l’huile de l’olivier
    les bractées violettes des bougainvillées
    sur ma peau aux ambres de Chaldée
    s’est inscrite la félicité
    de mes premiers étonnements

     

     

         J'aime particulièrement sa manière de passer à la ligne au moment où l'on s'y attend le moins, pour mettre en valeur les mots... Et comme vous le constatez, ni ponctuation, ni majuscules de début de vers ou de début de phrase : seulement aux noms propres.

         Dans le recueil, on reconnaît un début de poème au fait que (sauf cas exceptionnel où il possède un titre) il est précédé d'une astérisque (centrée en place de titre).

     

          Je vous propose en illustration sonore le second mouvement (andante) du concerto pour piano n°5 de Saint-Saëns, surnommé "l'égyptien" parce que le compositeur l'écrivit lors d'un voyage en Egypte et l'imprégna des sensations éprouvées dans ce merveilleux pays... J'y ai souvent pensé en lisant ces poèmes. C'est ici Sviatoslav Richter qui l'interprète avec l'orchestre des jeunes de Moscou.


     

     Début de la série d'articles ici.


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       En ce 11 novembre, je voudrais citer ce très beau poème de Louis Aragon, ou du moins l'extrait choisi par Léo Ferré dans le disque qu'il lui a consacré sous le titre "Tu n'en reviendras pas..." .

     

     

    Tu n'en reviendras pas toi qui courais les filles
    Jeune homme dont j'ai vu battre le cœur à nu
    Quand j'ai déchiré ta chemise et toi non plus
    Tu n'en reviendras pas vieux joueur de manille

     

    Qu'un obus a coupé par le travers en deux
    Pour une fois qu'il avait un jeu du tonnerre
    Et toi le tatoué l'ancien légionnaire
    Tu survivras longtemps sans visage sans yeux

     

    On part Dieu sait pour où ça tient du mauvais rêve
    On glissera le long de la ligne de feu
    Quelque part ça commence à n'être plus du jeu
    Les bonshommes là-bas attendent la relève

     

    Roule au loin roule train des dernières lueurs
    Les soldats assoupis que ta danse secouent
    Laissent pencher leur front et fléchissent le cou
    Cela sent le tabac l'haleine la sueur

     

    Comment vous regarder sans voir vos destinées
    Fiancés de la terre et promis des douleurs
    La veilleuse vous fait de la couleur des pleurs
    Vous bougez vaguement vos jambes condamnées

     

    Déjà la pierre pense où votre nom s'inscrit
    Déjà vous n'êtes plus qu'un mot d'or sur nos places
    Déjà le souvenir de vos amours s'efface
    Déjà vous n'êtes plus que pour avoir péri

     

     

     

     


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    Au petit jour, dans l'aube naissante,
    Un pigeon attend le soleil. 

     

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    Il ouvre ses ailes et inspire !
    « C'est la prière du matin... » *
     

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     « Je t'adore, Soleil ! Tu mets dans l'air des roses,
    Des flammes dans la source, un dieu dans le buisson ! » *
     

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    Immobile, en méditation,
    Le pigeon s'offre à la Lumière... 
     

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    « Oh Soleil ! Toi sans qui les choses
    ne seraient que ce qu'elles sont ! » *

     

     

    * Extraits de Chantecler d'Edmond Rostand. J'ai mis en gras le mot "que" dans la dernière citation, car les gens souvent se trompent et disent "Ne seraient pas", alors que cette formule est tellement magnifique et riche de sens !! 

     

     

     

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  •       François Villon savait à merveille montrer combien la vie est peu de chose et éphémère.

     
        Cette ballade m'est subitement revenue en tête, et même avec la mélodie que lui ajouta le grand Brassens, car lorsque je l'ai étudiée, en seconde, le professeur avait eu à cœur de nous la faire chanter... sous ma direction ! 

     

    François Villon

    (Nota : j'ai modernisé certains mots ou leur orthographe pour la compréhension, d'autres sont expliqués en note ; ici le texte original avec les liens wikipedia pour repérer les personnages évoqués )

     

    Dites-moi où, n’en quel pays
    Est Flora, la belle Romaine ?
    Alcibiade, ne Thaïs,
    Qui fut sa cousine germaine ?
    Echo, parlant quand bruit on mène
    Dessus rivière ou sur étang,
    Qui beauté eut trop plus qu’humaine ?
    - Mais où sont les neiges d’antan ?

    Où est la très sage Heloïs(e)
    Pour qui fut châtré et puis moine
    Pierre Abélard à Saint-Denis,
    (Pour son amour eut cet essoyne1 ) ?
    Semblablement, où est la reine
    Qui commanda que Buridan
    Fût jeté en un sac en Seine ?
    - Mais où sont les neiges d’antan ?

    La reine Blanche comme un lys,
    Qui chantait à voix de sirène,
    Berthe au grand pied, Bietris 2, Allys,
    Harembourgis qui tint le Maine,
    Et Jeanne, la bonne Lorraine
    Qu’Anglais brûlèrent à Rouen,
    Où sont-ils 3, Vierge souveraine ?…
    - Mais où sont les neiges d’antan ?
     
    Prince, n’enquérez de semaine
    Où elles sont, ni de cet an,
    Qu’à ce refrain ne vous remène :
    Mais où sont les neiges d’antan ?

     

    1 essoyne : ici, épreuve.
    Pour Béatrice, l'inspiratrice de Dante.
     
    3 Mis pour "elles"


    L'interprétation de Georges Brassens 

      

             Je pense aujourd'hui à François Villon, qui a si bien montré le caractère éphémère des choses de la vie ; leur peu de valeur au regard de l'éternité. Car qu'est-ce que la mémoire, sinon une pensée sans plus de consistance qu'un rêve ? Qu'est-ce que l'histoire, sinon un enseignement destiné juste à nous servir de "modus vivendi" dans la jungle du monde terrestre ? Pas plus que la neige qui en fondant ne laisse aucune trace, ceux-ci n'ont eu d'existence réelle...

     


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  •       C'est chez les pauvres que nous trouvons la vraie beauté. Chez ceux qui savent vouloir le meilleur en se contentant du minimum. Admirez la force de ces enfants qui veulent étudier et qui accueillent pour le faire le support le plus élémentaire avec gratitude.

     

       De plus ils sont endimanchés, quoique devant faire des kilomètres à pied avant d'arriver.

     

       Puissions-nous retrouver cette humilité et cette foi que possédaient pourtant encore les petits paysans du 19e siècle en plein cœur de la France (à découvrir par exemple dans la première partie du roman pour la jeunesse d'Alain Grousset : Les Mangeurs de Châtaignes, qui se situe en Creuse juste après la révolution de 1848).

     

     


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