• Berlioz, les Troyens (première partie)


             Pour faire écho à Viviane , qui sur son blog vient de brosser une magnifique évocation du compositeur anglais Henry Purcell (1659-1695) et de son œuvre majeure « Didon et Enée » (Opéra baroque, 1689), voici la version qu’Hector Berlioz, un des chefs de file du romantisme français (1803-1869), a donné du drame en 1858.

    berlioz

            Fils d’un médecin de la Côte-Saint-André (Isère), le jeune Hector a reçu une éducation bourgeoise, où les humanités comme la musique tenaient une grande place. C’est pour faire de lui un médecin également que son père, Louis Berlioz, le poussait à lire Virgile dans le texte, et il n’imaginait pas qu’en pleurant sur le sort de Didon son fils un jour révolutionnerait la vie musicale de son temps avec des compositions au lyrisme débridé.

             Cependant, bien que longtemps en conflit avec sa famille, Berlioz n’en demeura pas moins très méritant dans sa carrière, réussissant le prestigieux concours de composition « Prix de Rome » qui lui vaudra de passer un an en Italie et d’être consacré dans la profession, et devenant un critique musical de renom.

             Il attendra longtemps pour céder à son désir d’adapter l’Enéide de Virgile à l’opéra, ne pouvant supporter de la tronquer, et désireux d’y appliquer toute la démesure que les romantiques à la suite de Shakespeare avaient imposé au théâtre. Ce n’est qu’en 1856 qu’il s’attaque à ce travail gigantesque, dont il décide à l’instar de Richard Wagner d’écrire lui-même le livret, directement inspiré de Virgile.

              Voir par exemple cette réplique connue, mise par Virgile dans la bouche de Laocoon qui essaie de persuader les Troyens de ne pas faire pénétrer le cheval dans leurs murs :

    « Timeo Danaos et dona ferentes » (Enéide II,49) - « Je crains les Danaens (nom souvent utilisé pour les Grecs), même s’ils offrent des présents. »

    et librement remise par Berlioz dans la bouche de Cassandre :

    « Tout n’est que perfidie dans la bouche d’un Grec ! » (Acte 1 - Vous trouverez le livret intégral ici).

     

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             Le résultat effraiera tous les metteurs en scène, tant pour la longueur générale de l’œuvre qui dure quatre heures, que pour les moyens nécessaires pour la monter (n’introduit-il pas au début le cheval qui permet aux Grecs de vaincre les Troyens ?). Cependant petit à petit on l’a découverte en totalité, et elle a été jouée in extenso à Paris en 1990 pour l’inauguration de l’Opéra-Bastille, puis gravée sur disque et sur DVD (voir ici).

              Composée de cinq actes, on a pris l’habitude de la scinder en deux grandes parties : « La prise de Troie » (actes I et II) puis « Les Troyens à Carthage » (actes III, IV et V), et il est indéniable que les passages les plus célèbres demeurent extraits de la seconde partie,  particulièrement des actes IV et V dans lesquels se situe d’histoire d’amour malheureuse de Didon et d’Enée.

              C’est donc sur ces extraits que je m’arrêterai aujourd’hui.

              Comme dans l’Opéra de Purcell, fidèle lui aussi au texte initial, la rencontre fatidique entre les deux héros a lieu durant un orage, au cours d’une chasse. Et c’est il me semble le passage le plus connu de cette œuvre, car fréquemment enregistré de manière indépendante.

            Mais situons l’action.

             Le Prince Troyen Enée, averti en songe de l’invasion nocturne des Grecs, réussit à s’enfuir de Troie avec son fils Ascagne et quelques soldats, en portant sur son dos son vieux père Anchise. Le but est évidemment de lui faire fonder une nouvelle Troie, afin que la descendance de cette glorieuse nation ne soit pas perdue ; et surtout, de donner à Rome une origine divine, car ce sont les premiers fondements de Rome qu’il est sensé poser, lui dont la mère secrète n’était autre que Vénus. Hélas Junon ne cessera de s’acharner contre lui, comme elle l’a fait contre les Troyens dans sa jalousie meurtrière.

              Après bien des tempêtes il échoue sur le rivage de Carthage, qui n’est autre qu’une colonie phénicienne. La Reine Didon, qui le recueille dans la superbe cité qu’elle a elle-même conçue avec sa sœur Anna, écoute avec sollicitude le récit de ses épreuves. Rejetant depuis des années les demandes en mariage de rois africains dont elle connaît l’avidité et l’ardeur militaire, elle aimerait bien retenir Enée auprès d’elle et en faire le Roi de Carthage.

             Mais Enée a une mission ! Envoyé par les dieux vers le Latium, il doit y préparer la naissance de Rome… qui plus tard sera l’ennemie jurée de Carthage, à cause sans doute de ce déchirement initial.

        C’est au cours d’une partie de chasse, qu'un orage au début du 4e acte va précipiter Didon et Enée, réfugiés dans une grotte, dans les bras l’un de l’autre. Tel un leitmotiv, on entend dans le lointain une voix qui rappelle le destin du jeune homme : « Italie » ! Ce mot, régulièrement scandé par Mercure le messager des dieux, frappe toute l’œuvre comme un glas… A part lui il n’y a pas de texte, c’est juste une pantomime dont voici le commentaire sur le livret :

    Une forêt d’Afrique, au matin. Au fond, un rocher très élevé. Au bas et à gauche du rocher, l’ouverture d’une grotte. Un petit ruisseau coule le long du rocher et va se perdre dans un bassin naturel bordé de joncs et de roseaux. Deux naïades se laissent entrevoir un instant et disparaissent; puis on les voit nager dans le bassin. Chasse royale. Des fanfares de trompe retentissent au loin dans la forêt. Les naïades effrayées se cachent dans les roseaux. On voit passer des chasseurs tyriens, conduisant des chiens en laisse. Le jeune Ascagne, à cheval, traverse le théâtre au galop. Le ciel s’obscurcit, la pluie tombe. Orage grandissant... Bientôt la tempête devient terrible, torrents de pluie, grêle, éclairs et tonnerre. Appels réitérés des trompes de chasse au milieu du tumulte des éléments. Les chasseurs se dispersent dans toutes les directions; en dernier lieu on voit paraître Didon vêtue en Diane chasseresse, l’arc à la main, le carquois sur l’épaule, et Énée en costume demi-guerrier. Ils sont à pied l’un et l’autre. Ils entrent dans la grotte. Aussitôt les nymphes des bois apparaissent, les cheveux épars, au sommet du rocher, et vont et viennent en courant, en poussant des cris et faisant des gestes désordonnés. Au milieu de leurs clameurs, on distingue de temps en temps le mot : "Italie" !

    Le ruisseau grossit et devient une bruyante cascade. Plusieurs autres chutes d’eau se forment sur divers points du rocher et mêlent leur bruit au fracas de la tempête. Les satyres et les sylvains exécutent avec les faunes des danses grotesques dans l’obscurité. La foudre frappe un arbre, le brise et l’enflamme. Les débris de l’arbre tombent sur la scène. Les satyres, faunes et sylvains ramassent les branches enflammées, dansent en les tenant à la main, puis disparaissent avec les nymphes dans les profondeurs de la forêt. La tempête se calme. Les nuages s’élèvent.

       Mystère ! Ça tombe tout seul de la toile !!

      Mais voici mon propre enregistrement, tiré de la version célèbre de Colin Davis avec l'orchestre et les chœurs de Covent Garden, plus Jon Vickers dans le rôle d'Enée et Joséphine Veasey dans celui de Didon.

     

        Entraînés par leurs sentiments, Didon et Enée vont bientôt s’afficher ensemble, pour un grand duo d’amour nocturne sur une terrasse du palais.

     
    DIDON, ÉNÉE

    Nuit d’ivresse et d’extase infinie !
    Blonde Phœbé, grands astres de sa cour,
    Versez sur nous votre lueur bénie ;
    Fleurs des cieux, souriez à l’immortel amour !

     DIDON

    Par une telle nuit, le front ceint de cytise,
    Votre mère Vénus suivit le bel Anchise
    Aux bosquets de l’Ida.

     ÉNÉE

    Par une telle nuit, fou d’amour et de joie
    Troïlus vint attendre aux pieds des murs de Troie
    La belle Cressida.

     DIDON, ÉNÉE

    Nuit d’ivresse et d’extase infinie !
    Blonde Phœbé, grands astres de sa cour,
    Versez sur nous votre lueur bénie ;
    Fleurs des cieux, souriez à l’immortel amour !

     ÉNÉE

    Par une telle nuit la pudique Diane
    Laissa tomber enfin son voile diaphane
    Aux yeux d’Endymion.

     DIDON

    Par une telle nuit le fils de Cythérée
    Accueillit froidement la tendresse enivrée

    De la reine Didon !

     ÉNÉE

    Et dans la même nuit hélas ! l’injuste reine,
    Accusant son amant, obtint de lui sans peine

    Le plus tendre pardon.

     DIDON, ÉNÉE

    Ô nuit d’ivresse et d’extase infinie !
    Blonde Phœbé, grands astres de sa cour,
    Versez sur nous votre lueur bénie ;
    Fleurs des cieux, souriez à l’immortel amour !

    (fin de l’Acte IV)
    Voir ici

    Descendu des hauteurs du net via OB et deezer, voici une excellente version avec Roberto Alagna dans le rôle d'Enée.

    Et maintenant ma version de référence, dans laquelle je regrette que la voix du ténor couvre un peu celle de Didon.

     

    Disque les Troyens

    À suivre ici

     
    « Les aventures de deux petits diables : FinBerlioz, les Troyens (fin) »

  • Commentaires

    1
    Jeudi 18 Février 2010 à 12:00
    Il y a tellement de légendes dans la légende, que, comme toute légende, elle a franchi et franchira encore nombres d'années. La mythologie est une mine d'inspiration, pour qui l'apprécie. En faire un opéra a du être un travail titanesque, je vois que la publication de ton article t'a demandé un sacré travail, tu as réussi, j'ai pu l'écouter - Bonne soirée Valentine bisous


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