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          J'hésitais à aborder sur ce blog le thème pourtant d'actualité de la mort ; pourtant de nombreux décès dans mon entourage proche autant que l'écho de ce qui se passe dans le monde m'ont conduite à y penser avec une particulière acuité.

     

          Je m'y décide après avoir lu l'émouvant article de Jean, mais aussi, lui faisant écho en quelque sorte, celui de Daniel.

     

    Voici ce que dit Jean :

    «  D’une certaine manière mourir, c’est plonger dans l’inconnu. C’est pourquoi la mort, quoi qu’on affirme, est effrayante. On a beau dire qu’elle est une loi de la vie, qu’elle est inexorable, que le monde serait invivable sans elle… son masque est redoutable. »

    À quoi il ajoute, étant fervent chrétien :

    «  L’Évangile, tout en le constatant, nous montre cependant que cette plongée dans la mort peut être réussie. Le Christ lui-même en fait la démonstration. Il est descendu et il en est remonté à tel point qu’il a pu dire en parlant au passé : « J’ai été mort », Apocalypse 1.18.  »

    De son côté, Daniel cite Krishnamurti en ces termes :

    « La peur est une souffrance.
    La peur est la non-acceptation de ce qui " est ".  »

     

           Aujourd'hui, que nous soyons ou non inspirés par une religion ou une sagesse, nous avons de plus en plus de témoignages d'une vie après la mort du corps, nous sommes presque tous persuadés que notre existence ne se limite pas à ce séjour terrestre ; cependant la peur demeure avec l'incertitude car le corps lui, est limité. Le corps se sait mortel et entraîne avec lui nos émotions et affects, dont appréhension et angoisse font partie. Et tout travail sur soi, qu'il soit appelé "spirituel" ou non, qu'il soit inspiré par le Christ, le Bouddha ou tout autre enseignant, commence par l'acceptation de la mort. Car le corps avec ses sentiments et même ses pensées mourra de toute façon. 

          Cependant il existe un état que l'on appelle souvent "éveil" et qui peut correspondre à la qualification chrétienne de "ressuscité" dans lequel toutes les sensations, toutes les émotions et toutes les pensées propres sont mortes (on parle alors de "mort de l'ego" car il n'y a plus de personnalité pour dire "je"), sans que le corps apparent ait disparu. En ce cas la personne qui habitait le corps en question a vraiment eu l'impression de mourir, car elle s'est vidée de son identité en acceptant de se fondre définitivement dans l'Absolu, dans le Tout qui est la Vie. 

           C'est cette finalité, promise pour tôt ou tard à nous tous sans exception par le Christ mais aussi par tous les Grands Maîtres, que j'ai essayé de désigner dans une interprétation toute particulière de l'antienne "In Paradisum" autrefois récitée à l'entrée des cimetières et qui figure à la fin des Requiem de Gabriel Fauré et de Maurice Duruflé.

     

    Voici d'abord l'antienne en latin avec sa traduction officielle :

    In Paradisum deducant te Angeli ;
    in tuo adventu suscipiant te Martyres,
    et perducant te in civitatem sanctam Jerusalem.

    Chorus Angelorum te suscipiat,
    et cum Lazaro quondam paupere,
    aeternam habeas requiem.
    _ _ _

    Que les Anges te conduisent au Paradis ;
    qu'à ton arrivée les Martyrs t'accueillent
    et t'introduisent dans la Cité Sainte, Jérusalem*.

    Que le chœur des Anges te reçoive,
    et qu'avec celui qui fut jadis le pauvre Lazare** 
    tu jouisses du repos éternel.

    Notes : *  "Jérusalem" est ici la cité céleste évoquée dans l'Apocalypse de Jean (21, 10-27).
    ** Le "pauvre Lazare" est le mendiant couvert d'ulcères qui avait obtenu l'entrée au Paradis de préférence au riche orgueilleux qui ne l'avait jamais secouru (Luc 16, 19-31)

     

        Apportée comme un viatique au défunt que l'on s'apprête à inhumer, presque comme l'obole que l'on mettait dans la bouche des morts de l'antiquité pour payer Charon, le passeur du Styx, cette antienne porte en elle une puissance lumineuse que les musiciens cités ci-dessus n'ont pas manqué de souligner et que l'on ressent vivement à l'écoute des morceaux correspondants.

     

           Je vous propose donc ici une vision toute particulière de ce texte, partant déjà du principe que le "Paradis" n'existe pas en tant que Jardin d'Eden (c'est une allégorie tout comme les "Champs-Elysées" des grecs), mais qu'il s'agit plutôt de ce que Luc dans le passage indiqué sur le pauvre Lazare appelle "le sein d'Abraham", terme générique pour la plongée dans le Soi, l'Absolu. Par association d'idées je le traduis par "l'Au-delà du Dit" (para-dictum au lieu de "disum") ... et vous verrez que le reste s'ensuit.

         Bien sûr cette vision est subjective et toutes vos idées et objections seront les bienvenues. Mais une chose est certaine, et c'est pourquoi j'ai intitulé cet article "promesse" : nous nous y retrouverons tous, tôt ou tard...

     

    Qu'au-delà du Dit

    tes pensées pures te conduisent ;

    qu'à ton arrivée t'accueillent

    les souffrances que tu as subies,

    et qu'elles te mènent à ta Demeure Véritable 

     

     «  Je Suis la Paix  » 

     

    Que le Son Mystique te reçoive, 

    et qu'avec ce corps dont tu crus jadis être propriétaire

    tu pénètres

    à jamais

    l'Ab

    so

    lu

     

     

         Le dernier mot est inspiré de la fin du Requiem de Duruflé que je vous offre ci-dessous : en effet sur le terme final "Requiem" s'opère une descente graduelle qui donne l'impression de s'enfoncer peu à peu dans les profondeurs... de plus en plus avant vers l'abandon total de soi.

     

     

     


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    Dépouillement

     

          Le moment est venu de méditer sur Ce qui ne meurt jamais (selon la formule d'Osho)... Novembre fait son travail, la nature se dépouille de toute sa Vie apparente, et la fête d'Halloween nous a rappelé que les arbres ne seront bientôt plus que squelettes, à l'image de ce que deviennent nos corps quand s'en est enfui le souffle qui les animait.   

     

    « Mon Royaume n'est pas de ce monde »

      disait Jésus (Jean 18, 36), ajoutant :

    «  Heureux serez-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on vous calomnie à cause de moi. Soyez dans la joie et l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux. »  (Matthieu 5, 11-12)

       Et le fait est qu'il fut persécuté, calomnié et bien plus encore pour atteindre à la dignité céleste, illustrant la phrase-clef :

    « Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l'on aime. » (Jean 15, 13)

        En effet, comment trouver l'autre monde si ce n'est en donnant sa vie ? 

        Et comment donner sa vie, si ce n'est par amour ?

    Phénix

     

          Ceci me ramène à Attâr et à son Cantique des Oiseaux, qui chante cet amour d'une manière si incomparable qu'on ne peut éviter d'en être bouleversé.

    (Voir aussi mes précédents articles ici et )

           Je voudrais aujourd'hui citer un passage situé vers la fin de l'ouvrage. 

            Pour le resituer, rappelons que les oiseaux, qui représentent des humains en quête de la Vérité, ont écouté les conseils d'une huppe qui, inspirée par Salomon, s'est révélée être leur Guide spirituel.

         En lui posant d'abord toutes sortes de questions ils ont été instruits sur les exigences et les difficultés de la Voie. Puis ils se sont lancés dans la bataille et ont passé leur vie entière, jusqu'à parfois mourir sans parvenir au but, afin d'atteindre l'Oiseau Fabuleux que l'on appelle la Simorgh et qui représente la Divinité Suprême.

        Dans ce récit le féminin et le masculin sont constamment mélangés : le Tout-Puissant est considéré au féminin, tandis qu'au cours des multiples histoires évoquées dans le livre on voit souvent des sages mystiques mourir d'amour pour un personnage masculin. Le "genre" (je ne dirai pas le sexe car il n'en est aucunement question) est largement dépassé ici, le Soi ou Être Absolu n'en ayant aucun.

          Nos oiseaux ont donc traversé successivement sept vallées, qui sont semble-t-il autant d'abîmes... Car dès qu'Attâr les dépeint on retrouve constamment la même idée : celui qui y pénètre est englouti dans un gouffre sans fond, le but ultime étant, comme nous le verrons à nouveau dans l'extrait qui vient, de disparaître totalement dans le Divin ; de ne plus être pour que seul existe le Divin.

          Voici comment il nomme ces vallées :

    1. celle du Désir 
    2. puis de l'Amour 
    3. puis de la Connaissance 
    4. puis de la Plénitude
    5. puis de l'Unicité pure
    6. enfin de la Perplexité
    7. puis du Dénuement et Anéantissement

     

        Je me suis demandé un moment si elles étaient successives, et si on pouvait en dresser la cartographie comme pour une "Carte du Tendre". Mais à en suivre la lecture il semble bien qu'elles soient simultanées et presque imbriquées, ramenant toujours à la même idée directrice : plonger par amour dans un vide incandescent afin d'y disparaître totalement (il est d'ailleurs frappant de constater que la dernière vallée est marquée par deux termes, à la différence des autres, comme pour insister sur cette signification ultime).

         C'est encore de cela qu'il est question au moment où les trente survivants parviennent au but (le chiffre trente n'est pas anodin mais je n'en parlerai pas aujourd'hui), et où la Divinité les rejette encore avec dédain.

         Morts, mille fois morts des épreuves de la route ils ne le sont pas encore suffisamment puisqu'ils sont là, sur son Seuil ! 

          Et pour illustrer cette situation extrême Attâr évoque donc l'histoire d'un derviche qui serait tombé follement amoureux d'un Prince aussi beau que le soleil (et qui est d'ailleurs merveilleusement décrit dans un langage d'une poésie délicieuse) ; l'apprenant, le Roi exige la mort du derviche, mais les pleurs de celui-ci réclamant de voir une fois seulement le visage de son Aimé avant de disparaître ont raison de sa colère et il envoie son fils auprès du malheureux.

        Voici ce passage, où le jeune homme comparé à Joseph, personnage biblique incarnant la beauté absolue, est donc représenté comme une manifestation divine (v. 4113 à 4119).

     

    « Le prince s'en fut donc, lui, Joseph de son temps
    À la rencontre d'un misérable derviche

    Lui, soleil éclatant et porteur de lumière
    Il s'en alla rejoindre un atome de l'ombre

    Lui, océan sublime et débordant de perles
    Il s'en alla étreindre une goutte de rien

    Oh, éclatez de joie ! Dansez, frappez des mains !  »


         J'adore particulièrement ce dernier vers qui souligne le miracle développé un peu plus bas... En effet l'immensité de l'abîme qui sépare Dieu de la créature est traduite par cette opposition entre l' "océan sublime" et la "goutte de rien". Voici la suite (v. 4127-4136) :

     

    «  Si tu es en amour dans la sincérité
    Celui que toi tu aimes se mettra à t'aimer

    C'est ainsi que le prince semblable à un soleil
    Fit la grâce au mendiant de l'appeler à lui

    Ce mendiant qui toujours le contemplait de loin
    Sans connaître pourtant le timbre de sa voix

    Releva donc sa tête couverte de poussière
    Et vit là devant lui la face souveraine... 

    Lorsque le feu brûlant rencontre l'océan
    Il aura beau brûler, l'eau à la fin l'éteint 

    Or, le derviche amant était lui-même un feu
    Qui se trouva soudain au cœur de l'océan !

    Son âme au bord des lèvres, il s'adressa au prince :
    " Ô mon roi bien-aimé, quel besoin de l'armée ?

    Tu vois qu'il te suffit d'être pour me tuer !"
    Alors il rendit l'âme et s'en fut à jamais.

    Après ce cri d'amour, le trépas le saisit,
    Il rit comme une flamme et puis il s'éteignit ;

    Comme il avait atteint l'union  avec l'Aimé,
    Rejoignant le néant, il fut annihilé. »

     

        À travers ces vers transparaît tant de Beauté qu'on ne peut qu'être transporté.

        Que pourrais-je ajouter ?

     

       


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  •       Voici d'abord une musique bouleversante qui m'a en partie inspiré ce poème. Il s'agit de Spiegel im Spiegel d'Arvo Pärt, musicien estonien né en 1935. 

          Écoutez-la tout en lisant.

         Ce morceau écrit initialement pour violon et piano mais arrangé depuis de mille façons (pour violoncelle ou alto à la place du violon, ou pour harpe, orchestre, voire synthétiseur à la place du piano et utilisé dans des films ou documentaires) signifie "Miroir dans le miroir" et s'organise dans le lent déploiement d'une mélodie qui semble épouser les contours d'un pur miroir vers lequel elle va peu à peu se confondre. Je n'ai pas voulu vous la livrer sous une de ses multiples formes youtube, aucune ne correspondant à l'intime reflet qu'elle imprime en notre âme.  


    Nicola Benedetti, violon ; Alexei Grynyuk, piano.
    Si cela ne fonctionne pas écoutez-la ici.

     

     

    Guerre

     

     

    Depuis l’éternité
    mon Bien-Aimé me berce dans ses bras
    Et moi brûlant de fièvre je vois partout des monstres
    cherchant à m’engloutir

     

    Parfois, ouvrant les yeux je perçois son Regard
    si doux posé sur moi
    et dans un élan fou je suffoque vers Lui
    Mais des larmes de peur de nouveau m’engloutissent

     

    Son Souffle délicieux me rafraîchit le front
    Sa Voix douce m’apaise
    La chaleur de son sein me porte et me soutient

      

    Ô pourquoi me débattre en de telles douleurs
    tant d’affres et de sanglots
    Quand Il est là tout près ?

     

    Ô Bien-Aimé je brûle
    quand Tes yeux sont miroir et Silence infini
    Lac pur inaltérable
    Océan de clarté Abîme de fraîcheur

      

    Mais n'est-ce pas plutôt
    pour sentir davantage les flots de Ton Amour
    Que je frissonne encore et T’appelle au secours ?

     

      

    Psyché et l'Amour - Canova

     

     


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    Jaillissement

     

     

     

    À la racine du Je

     

    Jaillit

     

    Le Joyau de Pure Lumière

     

      

     


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          Une histoire me trotte dans la tête depuis ce matin... Peut-être pourrais-je vous la partager ? Si elle me poursuit, c'est qu'il y a quelque chose de caché à l'intérieur.

     

    Incendie

     

           La voici donc, à quelques détails près peut-être car ma mémoire peut me faire légèrement défaut. Elle se déroule en 1898 à Saint-Maixent, en France et peut-être l'été (je l'espère du moins).

     

           C'est une famille de tailleurs. C'est pourquoi ils habitent une belle maison dans cette ville où l'on apprécie la bonne facture des costumes militaires.

        Les quatre garçons (Marcel, 12 ans, Camille, 10 ans, Fernand, 8 ans, et Maurice, 4 ans) sont promis à un bel avenir, car très brillants dans leurs études ; de plus ils pratiquent tous un instrument de musique ou doivent s'y adonner sérieusement tôt ou tard. Et il s'y ajoute par bonheur une jolie petite fille de 6 mois (Suzanne).

         Mais voilà que cette nuit-là un violent incendie se déclare dans l’atelier, gagnant immédiatement la maison. Les parents, rassemblant en hâte leurs enfants, se précipitent dehors dans le noir... Ils se retrouvent dans la rue, en pyjama, à demi réveillés, regardant avec incertitude le brasier tandis que le père, fébrile, recompte tout le monde. La mère est arrivée avec Suzanne dans les bras et Maurice à la main, les deux grands sont là mais... il manque Fernand !!

        N'écoutant que son courage, le père se rue dans l'escalier fumant pour chercher son fils au milieu des flammes. Celui-ci, profondément endormi, n'a sans doute rien entendu ni compris de la situation.

         - Fernand ! Tu n'as pas entendu nos appels ! Il faut sortir tout de suite !

         Vite, le père l'attrape par le bras et fonce vers le palier. Fernand crie :

        - Papa ! Papa ! Je perds mon chausson !

        - C'est pas grave ! Tu le laisses ! répond le père en dévalant les marches.

        Ouf !! À peine ont-ils franchi la porte d'entrée que l'escalier s'effondre derrière eux. 

          Fernand se retrouve grelottant à l'extérieur avec les siens, un pied nu et un pied chaussé. Stupéfait.

          Sa famille sera ruinée. Il n'auront sauvé que leurs vies, et s'en remettront difficilement avec le soutien d'amis tandis que les garçons obtenaient le droit de poursuivre gratuitement leurs études de collège en raison de leurs excellents résultats... jusqu'à ce que leurs parents leur demandent de travailler pour les nourrir.

          Et puisque c'est aujourd'hui le souvenir de la guerre de 1914-18, ajoutons que Fernand survivra à son séjour dans les tranchées malgré une sérieuse blessure en 1917 ; mais que le petit Maurice sera tué sur le front  à l'âge de vingt-deux ans et ramené au camp quelques jours plus tard par son frère Camille, qui était brancardier dans les environs.

         Quant à Camille, il verra son propre fils né en 1923 mourir quasiment au même âge (1945) au camp de Mauthausen, où il fut enfermé pour faits de Résistance.

     

        Si je pense à cette histoire aujourd'hui, c'est bien sûr en relation avec la quête qui consiste à détruire l'ego.

         En effet si l'on parle de destruction, c'est que pour le mental elle semble réelle et s'accompagne de toutes les émotions et impressions correspondantes, comme par exemple celle d'être pris dans l'incendie de sa maison.

        Un jour, tout s'écroule ! Et là, ce n'est pas le moment de regarder en arrière... De même qu'Orphée échoua dans sa quête lorsqu'en sortant des enfers il eut la faiblesse de rechercher derrière lui l'image d'Eurydice ; de même Fernand serait mort avec son père s'il s'était baissé pour ramasser son chausson.

        On perd tout ! Gare au petit sentiment, au petit souvenir que l'on veut sauvegarder ! Pour une épine de ce monde que vous voudriez conserver, vous perdrez votre Vie véritable : c'est ce que le souligne Attâr avec véhémence à la fin du "Cantique des Oiseaux", affirmant que l'anéantissement doit être total (voir ici).

           Cependant, cette image de l'incendie d'une maison reste plus positive car elle nous rappelle que l'enjeu - être Vivant - est suffisant pour conduire au renoncement de façon quasi évidente.

     

     


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