•      Comme vous sans doute, je reçois parfois des diaporamas qui m'amusent ou m'intéressent plus ou moins. Dans celui reçu ce matin il y avait une image qui m'a parlé.

     

     

     

    Lecture

     

               Cette image traduit la vérité de celui qui lit ce qui est derrière le texte... Bientôt son esprit s'empare de l'idée, et c'est lui-même qui crée le contenu de sa lecture.

          Cela est vrai dans une première approche, pour un lecteur de roman par exemple : ce dernier devient vite un "film" déroulé sous ses yeux, si bien que toute interprétation ultérieure sous forme cinématographique lui paraît fausser totalement l'idée qu'il avait de cette histoire.

           Mais cela est vrai aussi, de façon plus subtile, pour celui qui s'informe de notions à intégrer. Bientôt il ne suit plus "à la lettre" ce qui est écrit, mais son subconscient, son cœur s'en empare et comprend le sens caché.

         C'est une "lecture intime" qui est nécessaire notamment pour tous les écrits religieux et spirituels ; et les mauvaises interprétations surgissent parfois d'un attachement trop fort au texte et aux vaines ratiocinations autour de lui. Car

    « L'Esprit vivifie ; mais la Lettre tue. »

    (Saint-Paul, 2e épitre aux Corinthiens)

     

     


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  •     Durant mes études littéraires on m'a fait découvrir Goethe et parmi ses différents chefs d'oeuvre la magistrale ballade "Le Roi des Aulnes".
         Animée d'un puissant souffle romantique, elle n'est pas sans rappeler certains accents hugoliens et touche aujourd'hui les jeunes lecteurs par son aspect fantastique.

        Puis m'investissant davantage dans la musique j'en ai découvert l'interprétation donnée par Franz Schubert (voir ici), qui a plus que largement contribué à la faire découvrir et mettre en valeur, en y ajoutant le frisson d'une galopade effrénée. Malheureusement, si l'on en croit l'auteur de l'article sur Wikipedia, Goethe a snobé la superbe adaptation du tout jeune musicien viennois, qui n'avait alors que 16 ans et dont c'est l'opus 1...

    Le Roi des Aulnes
    (désolée, impossible de trouver l'auteur de ce tableau présent à plusieurs reprises sur le net)

     

              Inspirée paraît-il d'une légende danoise, selon laquelle le Roi des Elfes (et non des Aulnes, mais en allemand les mots se ressemblent à une consonne près) s'emparerait des voyageurs égarés en pleine nuit dans la forêt (légende qui a quantité d'échos dans notre folklore, par exemple en Bretagne avec celles entourant les korrigans, mais aussi en Berry, avec les contes inspirés de la peur du Malin ou Diable, chez George Sand...), cette ballade décrit la chevauchée angoissée d'un père portant dans ses bras son enfant vers une cour (de ferme ? Ce n'est pas précisé), et qui entend celui-ci se plaindre de plus en plus véhémentement qu'un spectre (qu'il ne voit pas lui-même) cherche à le séduire puis l'emporte de force. Or à son arrivée il trouve son enfant mort dans ses bras.

         On évoquera l'Ankou des Finistériens ; la Mort chez La Fontaine. On m'a d'ailleurs à l'époque indiqué que l'enfant était sans doute malade et que le père le conduisait chez le médecin ; ce qui rend alors évident le fait que, malgré la rapidité de la course et l'effort du père pour tenir son fils au chaud, celui-ci délire et ressent une douleur fulgurante qui le fait suffoquer, puis l'emporte. C'est ce que j'ai longtemps compris dans cette ballade, mais rien dans le texte ne l'indique. Comme tout récit fantastique, les faits y sont exprimés de façon brute et  nue, sans explication aucune, et le drame se déroule sous nos yeux de façon cinématographique, très visuel dans le texte et très émotionnel dans la partition musicale.

          Cependant il n'est pas sans évoquer des échos dans l'inconscient, et aujourd'hui j'aimerais vous faire partager ce qu'il m'inspire.

          Mais commençons par écouter l'oeuvre elle-même. Sur la vidéo ci-après, vous trouverez une traduction française affichée au fur et à mesure du texte, ainsi qu'en toile de fond quantité de peintures inspirées par le sujet. Quant à l'interprétation vocale de Dietrich-Fischer Dieskau (version vinyle remasterisée en 1988), elle est aujourd'hui encore considérée comme la meilleure connue. 

     

       

      Voici maintenant l'interprétation que je vous en propose.

       Si les trois personnages de cette ballade sont chantés par une seule et même personne, c'est manifestement qu'il s'agit d'une seule ; et que donc le drame est intérieur.

        Le père est le sujet principal. Il est à noter qu'il n'est pas mentionné "un" père, ce que Goethe aurait parfaitement pu faire, mais "le" père... comme si précisément c'était un personnage unique et central.

         Il possède deux "attributs" pour ainsi dire : son cheval, qui est son outil principal pour évoluer dans "le vent et la nuit", c'est-à-dire dans un milieu hostile, contraire à son propre bien-être ; et son fils, qui est comme le trésor de sa vie, car il le presse contre son cœur et le défend avec l'énergie du désespoir. Si l'on en croit les propos du Roi des Aulnes il est tout petit ("j'ai plein de jouets pour toi") et tout mignon ("j'adore ton joli minois !").

        Mais si le père est lucide (il sait qu'il n'y a rien à voir autour de lui dans cette nuit obscure qu'il est en train de traverser), malheureusement le tout-petit, ce que l'on sent être en définitive son enfant intérieur, c'est-à-dire la partie émotionnelle et très vulnérable de lui-même, se laisse ravir par toutes sortes d'illusions !
            Le roi des Aulnes lui parle à voix basse ; il  lui chuchote des promesses dans l'oreille...
          - Non ! dit le Père. C'est le vent dans les feuilles !
          Le Roi des Aulnes lui présente ses filles, qui comme des sirènes se mettent à danser et peu à peu l'entraînent dans une ronde qui l'ensorcelle ("et elles te bercent, te font danser, et t'endorment de leurs chants !").
         - Non ! crie le Père. Ce sont ces vieux saules qui te font peur ! (traduction de "grau" : couramment, cela veut dire "gris" mais comme le verbe "grauen" signifie aussi  "frémir d'horreur" j'ai tendance à les ressentir comme "effrayants" - le mot est réemployé plus loin dans ce sens :  "dem Vater grauset's", "le père est terrifié, il galope ventre à terre"... )

          On entend la voix doucereuse du spectre ; mais ce n'est pas un personnage réel. Il est le fruit de l'imagination de l'enfant ; et puisque l'enfant c'est lui-même : du Père.
         Le spectre insiste ; de séducteur, il se fait ravisseur.
        Mais jamais le Père ne cède à la tentation, par exemple de s'arrêter pour aller voir : il sait. Il sait que rester dans ces lieux fatidiques, c'est la mort au sens propre !

         Il presse donc son cheval, pour fuir, fuir et atteindre le lieu qu'il s'est fixé. Lequel ? "La cour" dit sobrement le texte. Est-ce chez lui ? Où il sera en sécurité  ? Est-ce chez un médecin ? Un médecin de l'âme sans doute...?

         Toujours est-il qu'en fin de parcours, quand la cadence infernale enfin ralentit, et qu'il atteint l'espace protégé "mit Müh' und Not", c'est-à-dire en français "avec toutes les peines du monde", on ressent toute cette tension qui tombe et le soulagement d'avoir traversé l'épreuve.
         Traversé, oui ; mais non sans y laisser comme l'on dit, des plumes...  L'enfant, cette naïve ignorance dont il n'acceptait pas la disparition, est mort. Ce petit être qu'il avait lui-même enfanté pour rêver sa vie, n'est plus en ses bras qu'un cadavre. Et personne non plus pour l'accueillir : le voici seul, face à lui-même ! 

         Mais qu'était-ce donc que son cheval ?
         Le cheval signifiait un mental à l'origine emballé puisqu'il l'a conduit en ces lieux inhospitaliers, mais peu à peu maîtrisé et enfin conduit fermement jusqu'au but par un être devenu adulte.
          

    Le Roi des Aulnes- Von Schwind
    Le Roi des Aulnes vu par Moritz von Schwind (1860)

         Si vous avez aimé cette oeuvre, vous pouvez l'écouter ici en version orchestrée. Elle est tout bonnement impressionnante ! Par contre, il n'y a pas d'images sur la vidéo, seulement le texte allemand ; c'est pourquoi je vous invite à la chercher sur youtube afin de lire en dessous le texte français qui l'accompagne (en cliquant sur "PLUS" sous la vidéo) ; vous y trouverez également d'étranges allusions à d'autres interprétations données, notamment l'une qui concerne le 11e Panchen Lama...

      


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  •      Après publication sur le blog "la Quête" (je ne sais plus trop à quelle date, celle d'ici est approximative), d'un "Sans-son" muet dans l'oeil du cyclone, je tiens à rééditer la formule initiale du dessin que j'avais consacré il y a quelques années à ce héros de la mythologie biblique, dont la personnalité m'impressionne beaucoup.

        J'avais étant enfant un livre illustré présentant son histoire, et me souvenais particulièrement d'une image sur laquelle il confiait à son amante Dalila : 

    « Ma force réside dans mes cheveux. »

        Hélas celle-ci, pour servir les sombres desseins de ses amis les Philistins, l’enivrait et profitait de son sommeil pour lui raser le crâne, afin que les Hébreux perdent leur principal défenseur et tombent sous le joug de son peuple.
          Heureusement, les cheveux de Samson finirent par repousser et celui-ci put rompre les chaînes qu'on lui avait infligées.

           J'appris très vite qu'il représentait une analogie avec le soleil, dont la puissance est à son maximum l'été avec sa "couronne" étincelante dans le ciel, et qui décline en hiver, plus faible en rayons.
        

          Plus tard, lorsque je m'avisai du jeu de mots que l'on pouvait réaliser avec son nom dans le sens d'une personne inaudible ("sans son"), je méditai sur l'alternative qui existe entre "se faire entendre" et "rayonner", et effectuai ce dessin qui me vint d'inspiration, sans trop en comprendre le sens.

     

    Le vrai visage de Samson

     

          Je savais seulement qu'avec ces prénoms qui gravitaient autour du "Soleil" inaudible mais rayonnant et portant la Vie, je récitais (en latin) une prière située dans les offices catholiques d'autrefois à la fin de l'Offertoire, juste avant le "Par Lui, avec Lui et En Lui, tout Honneur et toute Gloire...", la prière "pour nous-mêmes", qui demande une place au ciel parmi les saints et les martyrs, que sont en fait ces femmes... dont les noms sont infiniment évocateurs !

         En effet, à côté d'Agatha qui rappelle "le vert paradis des amours enfantines" de Baudelaire mais qui vient aussi de l'adjectif grec signifiant Bon, Noble, Accompli, ou qui répand le Bien, nous avons Perpétua (l'Éternité), Félicita (la Béatitude), et Lucia (la Lumière).

            De plus aujourd'hui, étrangement, Samson rayonne en émettant une voix audible... Voix qui fait frémir l'âme transportée à ses genoux :

    « Mon coeur s'ouvre à ta voix
    Comme s'ouvrent les fleurs
    Aux baisers de l'aurore... »*

         Mais là, c'est un autre mystère...


     * Samson et Dalila, Camille Saint-Saëns.

     


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  •      Un peu de musique... Des bribes, un rêve...

          Ce nocturne est un opus posthume ; ce qui me donne à penser (quoique ce soit une erreur, car il daterait de 1830, tandis que Chopin fréquenta George Sand de 1836 à 1847 et mourut en 1849) qu'il porte en lui quelque chose de la mort, ou de la fin de vie : il semble s'essouffler, ne faire entendre que des échos, échos étouffés de cette existence tumultueuse dans les salons, dont bientôt il ne reste plus que la complainte profonde d'un cœur qui s'éteint... ou s'ouvre à l'infini ?

         Le petit jeune d'origine polonaise qui l'interprète ici a le visage du Petit Prince, un vrai petit soleil, et je n'ai trouvé personne parmi les vieux croûtons qui l'entourent pour le valoir... Il faut simplement faire abstraction de l'enthousiasme de la foule, avant, et après l'exécution de l'oeuvre.

     

     


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  •     C'est l'hiver. Et ce gel qui nous emprisonne n'est pas sans m'en rappeler un autre, celui dans lequel était pris le Cygne, de Mallarmé, que j'ai déjà évoqué ici

     

    Cygne

       

         Ce matin, ce vers m'est revenu en tête :

    « Un Cygne d'autrefois se souvient que c'est Lui,
       Magnifique ! ... »

     

       Rien d'autre. En effet, il se souvient de Lui. De sa propre Magnificence qu'il avait oubliée ; enfouie ; "gelée".... Il se souvient de Qui Il Est.

          Et de même que les cheveux de Samson, rasés par son amante issue de l'Illusion, repoussent, de même le "Stérile Hiver" évoqué par Stéphane Mallarmé a une fin, et quand survient le dégel, le Cygne se souvient...

     

    Cygne-Martine Maillard

     

            Et comme en témoigne ce dessin* : il s'éveille.


     

    * Pour voir le dessin entier, ainsi que le poème de Mallarmé entier, reportez-vous à l'article cité en lien. 


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