•     Comme je vous l'annonçais sur le blog que je consacre à Robert Bichet, celui-ci a donné hier soir à Issoudun une conférence passionnante et très riche sur Villa-Lobos, compositeur brésilien du début du 20e siècle (1887-1959), aussi prolifique qu'étonnant par sa modernité. 

        Très connu dans son pays, il l'est beaucoup moins dans nos contrées où l'on entend surtout ses œuvres pour la guitare ou la célèbre vocalise des bachianas brasileiras n°5 que fit découvrir Joan Baez (encore ne sait-on pas toujours qu'il en est l'auteur !).

     

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        Je voudrais aujourd'hui vous faire découvrir son talent d'orchestrateur à travers une oeuvre fascinante : un ballet qu'il composa en 1917 et qui par bien des aspects peut faire penser au fameux Sacre du Printemps de Stravinsky (créé en 1913) - mais aussi au non moins contemporain Daphnis et Chloé de Maurice Ravel (1912) 1.

        En effet cette oeuvre, qui a pour cadre la forêt amazonienne et pour sujet l'amour (comme Daphnis et Chloé dont les amours étaient abritées par le bruissement des arbres), s'inspire des légendes indiennes primitives (comme le Sacre du Printemps qui puisait dans le fonds mythologique de la Russie profonde) et présente un chatoiement fabuleux grâce à des trouvailles instrumentales (piano utilisé comme percussion, glissandos aux cordes, étonnantes associations d'instruments et surtout imitation parfaite des chants d'oiseaux).

     

        Mais venons-en au fait : oui, le sujet de l'oeuvre est un oiseau, qui peut encore rappeler l'Oiseau de Feu de Stravinsky ; mais Villa-Lobos, autodidacte ayant puisé à toutes les sources d'inspiration (guitariste de rues, saxophoniste à ses heures il s'est intéressé à la musique populaire et au jazz ; aventurier de la grande forêt il a étudié la musique guarani et a noté tous les sons de la grande forêt... nous en aurons la preuve dans cette composition !) ne fait que se situer dans un courant, puisque l'oiseau qu'il met en scène est aussi l'Oiseau "fétiche" de tous les autochtones : celui que l'on appelle Uirapuru.

     

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       Cet oiseau au chant sublime mais qui ne chante que très rarement, en période de nidation et à l'aube, se nomme aussi "musician wren" en anglais, et - j'ai fini par le trouver à force de recherches ! - "troglodyte arada" en français, ce qui me permet de vous fournir en lien un site en français, le mot "Uirapuru" ne menant qu'à des sites portugais ou anglais.

        Le mot lui-même est évidemment transcrit de la langue guarani, et la merveilleuse mélodie qu'il exprime a tant frappé les hommes que, suivant les légendes, l'on disait tantôt que l'avoir entendu chanter une seule fois suffisait pour procurer un bonheur éternel, tantôt qu'en posséder chez soi un spécimen naturalisé pouvait procurer la chance à vie.

       Écoutons-le plutôt :


         Vous pouvez également l'entendre encore plus clair et pur ici, dans une vidéo qui se contente de reproduire mot pour mot l'article consacré à l'oiseau par wikipédia en portugais mais que son auteur refuse pourtant de laisser intégrer à un site... En écoutant la qualité musicale de ce chant vous ne serez pas surpris que tout un chacun en reste ébahi, et surtout qu'un compositeur s'en soit emparé !

     

        Et maintenant, venons-en au ballet.

       Si j'en ai bien compris l'argument, Uirapuru aurait d'abord été un jeune homme d'une beauté exceptionnelle, dont toutes les jeunes filles étaient amoureuses.
       Hélas, un jaloux l'aurait un jour pris pour cible, et frappé mortellement, il se serait alors changé en oiseau, et se serait envolé en chantant un chant sublime... le chant de l'Uirapuru (voir la légende ici).

     

        Je vous propose donc de l'écouter maintenant, grâce aux deux parties disponibles sur Youtube, accompagnées de splendides prises de vues de la forêt amazonienne qui s'accordent à merveille avec la somptuosité de la musique. Dès le début, si vous avez bien écouté tout à l'heure, vous percevez la transcription orchestrale du chant de l'oiseau, suivie de l'évocation de ce dernier à la flûte.  Puis nous sommes en présence des indiens, et enfin du merveilleux oiseau devenu jeune homme (un violon solo souligne sa beauté...) . A la 4e minute se fait entendre un saxophone alto - du jamais vu dans la musique d'alors ! sauf chez Darius Milhaud 2, un complice de Villa-Lobos car il a vécu très longtemps au Brésil - qui est peut-être la représentation de l'homme jaloux et mal intentionné.

         Après une nouvelle danse de liesse des autochtones, à la 6e minute, surgit un silence "habité", destiné à camper le décor de la jungle chargée de menaces... avec pédale de piano dans le grave, suraigu des cordes, petits cancans au hautbois : un passage saisissant et très personnel !

     

     

       Dans la seconde partie se poursuit ce martèlement, puis ce balancement qui évoquent la menace planant sur le jeune homme dans la forêt et menant peu à peu au drame... Juste un long arpège de harpe semble indiquer la trajectoire d'une flèche3 pour atteindre celui qui jusque là dansait avec insouciance ; et bientôt un violon solo d'une grande tendresse, associé à la flûte en trilles, suggèrent l'envol du petit être libéré... Surtout, écoutez jusqu'au bout : la fin est bouleversante.

     

     

    1  Ou même au "Prince de Bois" de Bela Bartok (1917).
    2 Dans son ballet "La création du monde" (1923).
    3  À bien lire la légende, il n'est pas certain qu'il s'agisse d'une flèche ; et si le jeune homme est mort d'un simple ensorcellement alors la harpe décrit sa prodigieuse transformation.

     
     

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    (cliquez !)

     

         Comme je vous l'avais annoncé dans mon article du 8 décembre 2011, trois journées vont être consacrées à la musette de cour en la ville de Toulouse la semaine prochaine.

       En cliquant ci-dessous vous agrandirez l'intérieur du prospectus et pourrez lire le détail des opérations.

    Journees-musette-2012-02.jpg (Téléchargez ici le PDF)

     

        Il va sans dire que l'un des principaux intervenants est Jean-Christophe Maillard, que citait Viviane-Russalka dans son article sur les baroques méconnus au sujet de Michel Corette, et que l'on peut voir et entendre jouer dans quelques vidéos publiées sur le site Youtube (par exemple celle-ci) où il ne faut pas le confondre avec un guitariste du même nom.

    jcmusette.jpg


        Ces journées seront annoncées vendredi matin 13 janvier
    sur France-Musique par David Christoffel dans le cadre de son émission "Les oreilles sensibles", de 7h45 à 7h56. Pour ceux qui n'auraient pas la possibilité de suivre l'émission, elle est disponible en réécoute sur le site de France musique aussitôt terminée. Le lien ci-dessus est réactualisé au vendredi 13 janvier ; mais hélas j'ai remarqué que dans le cas d'une réécoute l'émission est mise en réserve le temps de son téléchargement, et remplacée par le direct... au cas où vous seriez surpris ! D'autre part David Christoffel n'arrive pas tout de suite, il faut d'abord laisser finir Christophe Bourseiller qui, à mon regret, ne semble pas vraiment comprendre toute la richesse de cet instrument délicieux qu'est la musette (voyez ma réaction ci-dessous dans une réponse à un commentaire). 

        Il faut rappeler que Jean-Christophe, ayant connu une formation musicale poussée avec la pratique de la flûte en même temps qu'il se passionnait pour la musique traditionnelle bretonne et pratiquait le biniou, a su ressusciter totalement la musette de cour tombée en désuétude depuis le XIXe siècle, en en faisant refabriquer par des luthiers d'après des gravures de l'Ancien Régime. Après en avoir fait le sujet de sa thèse, il en reste le principal interprète et enseignant avec le belge Jean-Pierre Van Hees, et la représente dans des tournées avec des orchestres baroques à travers le monde entier - particulièrement dans le répertoire de Rameau.

     

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        Pour faire suite à cet article, quelques mots encore de Villa-Lobos afin de le faire mieux connaître dans sa grande originalité et son génie d'orchestrateur.

        Bien qu'ayant composé pour les grandes formes classiques (des symphonies, des concertos, des sonates, des quatuors, des trios... mais toujours en prenant ses distances et en gardant sa liberté devant les structures), il s'est surtout singularisé par ses "Bachianas Brasileiras",  au nombre de neuf (comme les neuf Muses !), une forme qu'il a créée à partir des Suites de J.-S. Bach (d'où le mot "bachianas") mais en restant fidèle à l'esprit brésilien (d'où l'adjectif "brasileiras"), et par ses Choros (au nombre de quatorze ! Mais les deux derniers sont perdus), qui est une forme traditionnelle de musique de rue au Brésil (voir l'article ici).

     

        Outre la Bachianas brasileiras 5 évoquée dans l'article précédent, qui est très connue pour sa première partie, Aria (la seconde, vive et gaie, s'intitule Dança) et utilise un groupe de violoncelles - le premier instrument qu'ait pratiqué Villa-Lobos avant le piano, la clarinette et la guitare - , une autre Bachianas Brasileiras est également bien connue des violoncellistes : la première, avec son Prélude (Modinha, le second mouvement) .

     

     
       (Pour ceux qui auraient du mal avec la réception sur youtube, je ne l'ai malheureusement pas trouvé sur deezer).

       À cette occasion, je voudrais rappeler combien cette musique d'esprit encore très romantique quoique moderne dans l'harmonisation et la forme mélodique, me rappelle la célèbre "Vocalise" pour voix, ou violoncelle et piano de Rachmaninov (à écouter ici sur youtube) : en fait Villa-Lobos la connaissait certainement, car elle date de 1912 alors que la première Bachianas date de 1932.

     

       Mais c'est dans les Choros (du moins le premier) que l'on retrouve la guitare appréciée des joueurs de rue auxquels cette forme fait référence. Ce choros 1, vous le connaissez certainement ; vous le trouverez ici sur youtube, et ci-dessous avec deezer. 

     


         Après le Choros 5 pour piano, surnommé Alma Brasileira (ici sur youtube et dans la colonne de droite de ce blog avec deezer) qui date de 1926, passons au Choros 10 qui date de 1925 (donc antérieur) et associe à un orchestre flamboyant (comprenant batterie, maracas, et d'autres instruments traditionnels) des choeurs jubilatoires à la fin.

        Villa-Lobos reprend là, tout en martelant des rythmes issus du baião et de la samba, une chanson connue des brésiliens : « Rasga o Coraçao » (approximativement « Ouvre ton coeur »1), inspirée d'une mélodie écrite en 1896 par Anacleto de Medeiros mais dont le texte fut recomposé en 1912 par Catulo da Paixão Cearense (voir celui-ci sous la vidéo sur le site en cliquant sur "plus"). Une véritable splendeur, dont je vous propose l'écoute dans une interprétation fabuleuse sur Youtube. Parmi plusieurs trouvées, celle-là vaut vraiment d'être vue en vidéo, à la fois pour apprécier tous les instruments filmés, et pour découvrir la vitalité extraordinaire qui s'en dégage, les exécutants allant jusqu'à danser en jouant ou en chantant... qui plus est, le concert est donné dans une gare, à São Paulo, pour le Nouvel An ! 2
     

     
      On trouve aussi le choros 10 sur deezer, mais entier : il dure une quinzaine de minutes. 

    (L'interprétation sur deezer ne vaut pas celle en vidéo, mais on y entend mieux certaines choses, particulièrement la note suraiguë sur laquelle terminent les sopranes : un contre-ut dièze !)

     

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    La Baie de Rio, en accord avec le texte du poème chanté dans le Choros 10

     

    1 Littéralement la chanson semble dire :

    Si tu veux voir l'immensité du ciel et de la mer

    Qui réfléchit les éclats de la lumière du soleil

    Déchire (le voile qui recouvre) ton cœur ...

    J'en profite pour exprimer mes remerciements à Marie-Claude F. (peut-être ne souhaite-t-elle pas que son nom soit publié ?) pour son aide précieuse. Née en Amérique du Sud elle a vécu de longues années au Brésil et parle couramment le portugais.

    2 Je viens d'apprendre de Marie-Claude F. que la salle São Paulo est bien une salle de concert installée dans l'ancienne gare da Luz (São Paulo), et qu'elle est le siège de l'Orchestre Symphonique de São Paulo. 

     

     

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    Elle voulait toucher l'eau de son pied sûr...
    Elle a plongé,
    La vague sur elle s'est refermée.

    Elle visita les profondeurs nacrées,
    Les voûtes, les coraux ;
    Elle connut la vaste respiration des flots,
    Son cœur tel un cocon
    Ouvrit ses ailes dorées... !
    Elle vit l'innommable
    Et dormit dans le lit des sirènes.

    Mais elle a dit : "Mon île !
    Et mon trésor d'enfant !"
    Elle a lâché l'abîme et remonté les flots,
    En luttant désespérément
    Contre les courants intrépides.
    Elle a franchi les voûtes de la mer
      Pour remonter là-haut
    Une épave noyée,
    Une défroque usée
    Pâlie par l'abandon...

    Car elle préférait l'incendie de la plage
    Au mirage infini des grondants océans.
     
     

    Une barque sur l'Océan de Maurice Ravel              
    version orchestrale, dir. André Cluytens.
      Réédition : poème écrit à l'intention d'une personne ayant tenté, puis renié une voie spirituelle.
     
     
     
     
     
     
     
     

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    Il a gelé blanc

    Le chat grimpe en haut de l'arbre

    Ses yeux sont le ciel

     

     
     

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